Un exemple de médiation scientifique et culturelle.
Le Service éducatif des Archives nationales fait l’objet d’un livre paru aux Presses universitaires du Septentrion. Alors que les universités souhaitent de plus en plus partager les résultats de la recherche scientifique à des publics larges, il est intéressant de rendre compte ici de ce témoignage d’une expérience de médiation acquise depuis 1950.
Un lieu, des fonds, un Service éducatif
En 1949, Charles Braibant, directeur des Archives de France, écrit qu’il faut rendre « les archives plus vivantes, les enrichir d’attributions plus actuelles, sans rien leur enlever, bien entendu, de leur fonction historique, qui est leur raison d’être »1. C’est à son instigation que les Archives nationales et la plupart des services d’archives territoriaux se dotent dans les années 1950 de services éducatifs disposant de professeurs mis à disposition par l’Éducation nationale : « dès l’origine, ces derniers ont pour missions fondamentales de mettre les publics scolaires au contact de ces sémiophores quelque peu spécifiques que sont les documents d’archives et de les initier à des pratiques qui viennent compléter l’enseignement prévu dans les programmes d’histoire »2.
Si le Musée créé au XIXe siècle remplissait déjà un rôle dans la connaissance des archives, il était nécessaire de créer une médiation vers ces derniers. De fait, les documents du Musée des Archives nationales ne sont qu’une infime partie des fonds utilisés par le Service éducatif. Par ailleurs, si dans l’esprit du public les Archives forment un monde de vieux papiers, de parchemins, la grande diversité du patrimoine national des Archives se retrouve également dans le lieu-même, l’Hôtel de Soubise3, dans la possession d’objets, de mobiliers, d’oeuvres d’art …
Un Service éducatif, des publics variés
« Il n’y a pas de République sans archives », écrit G. Braiban en 19964. Les Archives sont un refuge juridique potentiel pour tout citoyen ayant à défendre ou revendiquer des droits. Tout citoyen doit donc pouvoir connaître la richesse de fonds qui le concernent et le protègent. Les Archives ont donc vocation à faire de la médiation également auprès des adultes. De fait, à partir des années 2000, nombre de services éducatifs des archives territoriaux sont devenus des services éducatifs et culturels.
Le but du Service éducatif des Archives nationales est bien entendu de valoriser une institution culturelle mixte, à la fois archives et musée, en exhumant des documents qui sont dans l’obscurité des dépôts pour maintenir le « contact » des élèves avec le document « original ». Si certains corpus devant être protégés et très consultés sont numérisés dans la base de données Archim, accessible à tous5, la volonté est bien de donner accès à des sources originales, manipulables. Dans sa mission, le Service éducatif doit donc chercher à concilier l’approche de l’archiviste, de l’historien et du pédagogue, transposant le discours savant pour les publics scolaires, en complémentarité avec le cours et les manuels scolaires. S’il s’agit d’instruire en s’amusant, la gageure de la vulgarisation scientifique est de ne pas déboucher sur une simplification extrême du propos. Le pari semble réussi : le Service éducatif propose « une initiation ludique, vivante et très rigoureuse » souligne par exemple un professeur d’école élémentaire.
Le service éducatif doit s’adapter à des auditoires très différents et reçoit le public jeune « de la maternelle à l’université ». Les étudiants proviennent de licence, de master mais aussi de doctorat, en particulier dans le cadre d’une initiation à la recherche en archives. Si les étudiants en histoire sont largement majoritaires, d’autres étudiants se spécialisant dans les champs disciplinaires différents profitent de l’extrême variété des fonds conservés aux Archives nationales (étudiants en musicologie, en architecture, en lettres, histoire de l’art, sociologie…). De même, pour les élèves, il existe un « concert de disciplines autour de l’histoire » : le document source invite l’élève, dans nombre d’ateliers, à extraire des savoirs historiques, mais aussi littéraires, artistiques ou scientifiques.
Le livre présente divers ateliers proposés par le Service éducatif, qui se révèlent être des instruments de médiation souvent inventifs, parfois étonnants (on pense par exemple à la confection de la charlotte « à la parisienne » dont les dosages sont indiqués en unités anciennes). Il est impossible ici de tous les décrire. On retiendra l’étude des sceaux et des chartes ornées.
Sceaux et chartes
Deux ateliers montrent bien les interactions possibles entre le document, son étude iconographique, historique, et scientifique à travers des ateliers pratiques : l’étude des sceaux et celle des chartes ornées.
La sigillographie est « une science née aux Archives nationales »6. « Grâce à sa richesse iconographique, le sceau est un support pédagogique de première importance, permettant d’appréhender de manière variée, immédiate et surtout tactile, les images d’un monde disparu, à la fois lointain et étonnamment proche de nous » (p. 84-85). L’atelier « Les sceaux, témoins de leur temps » est ainsi un moyen d’aborder la réalité de la société médiévale, en faisant découvrir aux élèves une source originale, immédiatement accessible, de l’histoire du Moyen Âge. Support très riche, dans la mesure où son propriétaire s’attache à donner une image de lui-même ou de ce qu’il représente dans la société (p. 87), la fabrication de reproductions de sceaux permet également de donner forme au discours sur les sceaux au travers d’une activité manuelle : les élèves peuvent ainsi découvrir, outre l’approche iconographique, les techniques de scellement et les matériaux constitutifs des sceaux.
Par rapport à la Bnf, les Archives ne possèdent ni Bibles ni livres d’heures, ni chroniques, où se déploie tout l’art de l’enlumineur mais des chartes ornées, nouveau champ de recherche7. Ces chartes ornées, qui véhiculent les images associées à la personne royale, sont étudiées en histoire des arts, en particulier dans le cadre de la thématique « Arts, Etats et pouvoir » du programme d’histoire des arts au collège. Ces chartes offrent également la possibilité d’étudier les couleurs de l’enlumineur : l’orpiment, le lapis-lazuli, la malachite, le cinabre, etc. La première expérience menée conjointement par le service éducatif et un professeur de sciences a précisément porté sur l’étude des encres utilisées au Moyen Âge dans les documents. Les élèves ont pu ainsi réaliser eux-mêmes des pigments et les appliquer8.
Un récit d’expériences
Actualité des Archives
Deux expositions très différentes donnent accès à des archives.
Aux Archives nationales (Paris) jusqu’au 16 juillet 2012 est présentée l’exposition « Des minutes qui font l’histoire ». L’occasion de découvrir parmi les archives des notaires les contrats de mariage des grands de ce monde ou les testaments d’inconnus.
De manière plus sensationnelle, sans doute, le Vatican expose ses archives secrètes à Rome : jusqu’au 9 septembre 2012, l’exposition « Lux in Arcana », présentée au Musée du Capitole dévoile en particulier le long parchemin relatant le Procès des Templiers, le procès de Giordano Bruno, l’excommunication de Martin Luther, etc. Site internet de l’exposition : Luxinarcana.
Notre compte rendu laisse de côté nombre d’ateliers proposés par le Service éducatif. L’ouvrage que les Presses universitaires du Septentrion consacrent au Service éducatif des Archives nationales, rédigé sous la houlette de Véronique Castagnet, Christophe Barret et Annick Pegeon, est une œuvre polyphonique. En effet, ce sont pas moins de 56 contributeurs, attachés aux métiers des Archives, chercheurs, enseignants-chercheurs du Supérieur, enseignants du Secondaire, artistes, qui ont participé à sa rédaction, tissant un véritable « récit d’expériences ». Il ne manque finalement dans ces 249 pages que le témoignage du public, ces élèves qu’on dit heureux et intéressés des expériences proposées. L’ouvrage est rendu vivant par la variété des sujets abordés à partir des archives, et par une très riche iconographie (108 illustrations dont certaines en couleur). Il devrait intéresser les enseignants soucieux de présenter autrement leur programme, mais également les institutions et tous ceux qui souhaitent créer un lien entre leurs collections, leurs savoirs, leurs recherches, et des publics larges.
Pour en savoir plus
Véronique Castagnet, Christophe Barret, Annick Pegeon, Le service éducatif des archives nationales : par chemins de traverse, (Éducation et didactiques, ISSN 1281-7597 ; 1314) Presses universitaires du Septentrion, 2012. 249 pages. ISBN 978-2-7574-0350-1. Site internet de l’éditeur.
Le site internet du Service éducatif des Archives nationales.
Projet scientifique, culturel et éducatif pour les années 2013-2016 des Archives nationales.
Base de données Archim.
La page internet des Activités culturelles et éducatives des Archives départementales du Nord.
Très riche dossier « Travailler avec les archives locales » par Lucie Meunier & Yann Cruiziat sur le site Savoirs CDI [avril 2012].
- Charles Braibant, Les Archives de France : hier, aujourd’hui, demain. Conférence faite à la Société de l’Ecole des chartes, paris, 1949, p. 7. Cité page 19. [↩]
- Pierre Fournier, dans Le Service éducatif des Archives nationales, p. 15. Voir la Circulaire Braibant sur le site Savoirs CDI (pdf). [↩]
- Les Archives nationales présentent en effet la caractéristique de réunir en un même lieu patrimoine architectural et patrimoine archivistique, dans ce qui est nommé le « Quadrilatère ». La visite de l’Hôtel de Soubise est une des activités proposées par le Service éducatif, initiant les élèves à la vie quotidienne dans un hôtel parisien des XVIIe et XVIIIe siècles tout en étudiant le style rocaille. [↩]
- G. Braibant, Les Archives en France : rapport au Premier ministre, Paris, La documentation française, 1996. [↩]
- On pense en particulier aux Grands documents de l’histoire de France, ceux contenus par l’Armoire de fer, du Musée des documents français constituant le fonds initial du Musée en 1867. [↩]
- Fondé en 1857, le service des sceaux des Archives nationales a deux objectifs principaux : conserver et diffuser une collection riche de près de 100 000 moulages, ainsi que la restauration et le conditionnement des sceaux originaux. [↩]
- La base iconographique Mandragore de la Bnf est un reflet de cette richesse de la Bnf. [↩]
- Cet atelier a été l’occasion de souligner la toxicité de certaines substances et la recherche de substituts fournis par la chimie actuelle. [↩]
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « Le Service éducatif des Archives nationales », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 27 avril 2012. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2012/04/27/service-educatif-archives-nationales/>. Consulté le 21 November 2024.
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