Une histoire de la Bibliothèque universitaire de Lille / 6.
La première guerre mondiale vient interrompre les débuts prospères de la bibliothèque universitaire.
Précédents épisodes :
1. Origine de la Bibliothèque des Facultés de Lille
2. La bibliothèque universitaire en 1909
3. Les bibliothécaires de l’université de Lille entre 1883 et 1923
4. Il est difficile de compter les livres dans une bibliothèque
5. Le catalogage à la Bibliothèque universitaire de Lille
La ville de Lille est occupée d’octobre 1914 à octobre 1918 soit 1465 jours. Grâce à la fermeté de Georges Lyon1, recteur de 1903 à 1924, les bâtiments des facultés ne sont pas réquisitionnés pour le logement de l’armée allemande. Le bibliothécaire continue d’assurer son service du temps de paix. Les Annales de l’Université de Lille indiquent qu’ « en vue d’éviter toute occupation allemande, même d’ordre intellectuel, la bibliothèque a maintenu la fermeture de sa salle de lecture2. Mais elle restait accessible de façon ininterrompue aux professeurs de l’Université, et, d’autre part, le prêt de livres aux étudiants désireux de travailler chez eux continuait à être assuré par l’intermédiaire du secrétariat des facultés de Droit et des Lettres. »
23 avril 1916 : l’incendie de l’Hôtel de ville de Lille
En mars 1916, Paul Vanrycke, qui exerce les fonctions de bibliothécaire de la ville de Lille depuis le 14 mars, visite la bibliothèque municipale, installée dans les locaux de la mairie, place Rihour. Il constate le mauvais état des lieux : « En visitant les locaux, j’ai été frappé dès ma première visite des dangers d’incendie que présentait la Mairie et de la difficulté qu’il y aurait dans un dépôt aussi fragmenté et où les livres étaient entassés par deux ou trois rayons d’épaisseur à assurer en cas de sinistre l’évacuation des volumes »3. Il demande que des mesures urgentes soient prises.
Dans la nuit du 23 au 24 avril 1916, vers 9 heures du soir, un incendie se déclare au 2e étage de la mairie de Lille dans les bureaux du Service de l’hygiène. De cause probablement accidentelle, il se propage rapidement aux autres bâtiments, laissant seulement indemne la salle du Conclave et les services financiers. La coupure du téléphone empêche l’intervention rapide des pompiers. « Monsieur Vanrycke, bibliothécaire en chef, prévenu, se rendit sur place où il rencontra Monsieur Théodore, conservateur des musées de la ville, et il organisa rapidement le sauvetage de la bibliothèque avec le concours de diverses personnes de la municipalité et de l’autorité allemande4. »
L’université montre sa solidarité avec la ville en acceptant que les documents sauvés soient stockés dans la bibliothèque universitaire5. On fait vite : on aménage des étagères pour 50 000 volumes secs. 30 000 volumes mouillés, envahis par les moisissures, sont ouverts, mis à cheval sur les tables de la grande salle de lecture et séchés à l’aide de deux ventilateurs électriques loués pour l’occasion. « Soigneusement entretenue par les pompiers qui trois jours après l’incendie arrosaient encore les dépôts de livres, l’humidité avait causé de graves dégâts, et étalés sur des tables et des planches dans tous les locaux du rez-de-chaussée les livres, recouverts de chapelets de moisissures multicolores, vertes, saumons, roses, noires, chocolat (sic)6. » Chaque page est brossée et nettoyée de ses moisissures et les volumes ensuite déposés au 2e et 3e étages sur des rayonnages provisoires.
Les chiffres et les rapports sont contradictoires et permettent seulement de connaître les ordres de grandeur. Sur les 185 000 volumes de la bibliothèque municipale, 110 000 à 125 000 livres sont sauvés dont les manuscrits (1500 environ) et les incunables (plus de 200). Les fonds partiellement atteints sont les fonds Desmazières, Godefroy, Debray, Desrousseaux, la Musique et la bibliothèque générale. Les bibliothèques de prêt et les livres de la Société des sciences sont détruits7 ainsi que les cartes et plans. Les collections de la bibliothèque de la Commission historique du département du Nord transférées de la Préfecture en 1907 sont détruites en grande partie8. Le catalogue a brûlé. Au total, les rapports comptent 18 299 volumes détruits et 82 700 volumes intacts ou partiellement détruits9. Dans les locaux de la bibliothèque universitaire, les imprimés de la bibliothèque municipale occupent 1600 mètres de rayonnages au 3e étage et 1700 mètres au 4e étage plus trois petites salles pour les périodiques ; les manuscrits sont placés au sous-sol10. C’est une très longue cohabitation qui commence puisque les collections municipales restent dans les locaux de la bibliothèque universitaire jusqu’en 1965, date de la construction de la bibliothèque municipale, rue Edouard Delesalle.
« La bibliothèque universitaire ne fut pas seulement un asile pour les livres et les collections mais elle joua, dans une certaine mesure, un rôle d’ordre moral »
Pendant la première guerre mondiale, la bibliothèque universitaire abrite également des collections particulières et sert de refuge à plus de 900 000 volumes. Toutes les précautions matérielles sont prises contre les bombardements, les caves sont fortifiées. « Le 17 octobre 1918, les allemands ont quitté Lille sans causer aucun dommage à la bibliothèque et les alliés prennent pacifiquement possession de la ville. La bibliothèque est intacte ! Les occupants, au cours de la guerre, ne l’ont dépouillée que de ses appareils d’éclairage en cuivre. Elle peut ouvrir à nouveau les portes de sa salle de lecture et reprendre sa vie normale. Son personnel n’est pas resté inactif. En dehors des services du prêt de livres et des travaux de déménagement ou de protection des dépôts, il a continué la confection du catalogue général, avec plus de 100 000 fiches, et achevé le catalogue des thèses françaises depuis l’an 1800. Parallèlement, plus de 100 000 autres fiches ont été établies pour remplacer celles du catalogue de la bibliothèque municipale incendiée. (…) La bibliothèque universitaire ne fut pas seulement un asile pour les livres et les collections mais elle joua, dans une certaine mesure, un rôle d’ordre moral. Elle avait pu commencer et elle continuait une collection de tous les quotidiens reçus à Lille. Aussi de nombreux professeurs s’y donnaient-ils rendez-vous soit pour lire les journaux, soit pour en entendre lire la traduction « à la française » par le bibliothécaire : occasion pour les uns et les autres de se réconforter, mutuellement, en échangeant leurs idées, leurs pronostics et, principalement, leurs espoirs »11.
À la fin de la guerre, une grande partie du personnel est encore absent pour de longs mois. Le travail ne manque pas. Il faut reconstituer les collections non reçues entre 1914 et 1920, réorganiser les échanges et rétablir le service des périodiques. Pendant six ans, la bibliothèque n’en a reçu aucun. L’occupation a été difficile et Paul Vanrycke est très marqué par cette période. En 1920, il reçoit la croix de la Légion d’honneur. À la séance du 21 janvier 1921 de la Société des sciences, de l’agriculture et des arts de Lille, dont il est membre, Paul Vanrycke demande des récompenses pour des personnes s’étant dévouées au sauvetage et à la conservation de la bibliothèque et des archives. Il demande de décerner une médaille d’argent à MM. Fauvarque, employé et Pierreuse, garçon de salle aux archives départementales, Frémery et Mme Serré, concierge à la bibliothèque universitaire12.
À suivre
Isabelle Westeel
Épisode suivant :
7. Réflexions sur le métier de bibliothécaire au début du 20e siècle
Crédits photographiques
Lille : Hôtel de ville. Photographie de 1920. Format 17,1 x 22,8 cm. Bibliothèque municipale de Lille. Cote : album B13, 100. Lien : http://numerique.bibliotheque.bm-lille.fr/sdx/num/album_B13/Alb-B13-1_100_ ; Frankreich, [Lille], Zerstörungen : Attribution: Bundesarchiv, Bild 146-2008-0074 / CC-BY-SA (Wikimedia Commons)
- La bibliothèque universitaire de Lille 3 conserve le Journal de guerre tapuscrit de Georges Lyon au sein de la Réserve commune des trois universités lilloises. Sur Georges Lyon voir http://irhis.recherche.univ-lille3.fr/00-SiteUniversite/htdocs/lyon-georges.html [↩]
- Annales de l’Université de Lille 1914-1919. Rapports annuels du Conseil de l’Université, Lille, 1926. Rapports sur la situation de l’enseignement supérieur pendant l’année 1917-1918. p. 152-153. [↩]
- Bibliothèque municipale de Lille. Archives [↩]
- BM Lille Archives [↩]
- Annales de l’Université de Lille. Rapport année 1915-1916. [↩]
- BM Lille Archives [↩]
- Arch. dép. Nord 2 T 605. Réunion universitaire du 24 mai 1916. [↩]
- Arch. Dép. du Nord, 15 J 93. Catalogues de la bibliothèque détruite en 1916 (15 J 90). [↩]
- Isabelle Westeel, « Histoire de la bibliothèque municipale de Lille » dans La bibliothèque municipale de Lille fête les 40 ans de la médiathèque Jean Lévy, coord. Par Didier Queneutte et Isabelle Westeel, Lille, Médiathèque Jean Lévy, 2005, p. 37-38. [↩]
- Arch. nat. F17 17381 [↩]
- Annales de l’Université de Lille 1914-1919. op. cit. p. 154. [↩]
- http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57015563 [↩]
Lire aussi sur Insula :
Isabelle Westeel, « La bibliothèque universitaire de Lille pendant la Grande Guerre », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 12 avril 2013. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2013/04/12/bibliotheque-universitaire-lille-pendant-la-grande-guerre/>. Consulté le 21 November 2024.
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