Arkeos : un nouveau Musée-Parc archéologique à Douai

Entretien avec Pierre Demolon.

Insula a rencontré l’archéologue Pierre Demolon qui nous présente le Musée-Parc archéologique Arkeos de la communauté d’agglomération du Douaisis, dont la partie musée a ouvert ses portes en juin 2014 et dont le parc de reconstitution de sites médiévaux ouvrira en 2016.

Pierre Demolon a été Directeur du service archéologique de la communauté d’agglomération du Douaisis, après avoir été responsable du service archéologique municipal de la ville de Douai.

Hugues Van Besien : Comment en êtes-vous arrivé à la conception du Musée–Parc archéologique Arkeos ?

Intérieur du musée Arkeos (Mission archéologique de la Communauté d’agglomération du Douaisis)
Intérieur du musée
Arkeos (Mission archéologique de la Communauté d’agglomération du Douaisis)

Pierre Demolon : J’avais en tête l’expérience de l’exposition des objets sortis de nos fouilles au Musée de Douai. Cela m’a montré que ce qui était évident pour nous ne l’était pas pour tous les visiteurs. Quand l’archéologue trouve des trous de poteaux, il voit une maison, le public ne voit rien. Nous avons cherché le moyen de restituer les résultats de nos fouilles à la collectivité, c’est un retour naturel en direction des citoyens contribuables qui supportent les services archéologiques via la dépense publique, et il s’agit aussi d’attirer des fractions de la population qui ne vont pas dans les musées, notamment parce que les gens pensent que ce n’est pas pour eux. Nous avions dès le début l’idée de montrer le résultat des fouilles, soit un choix raisonné et restreint d’objets, avec des explications, beaucoup d’explications, des panneaux, des photos, et les maquettes qui sont un élément très importants, et de doubler cette histoire « morte » par l’histoire vivante des reconstitutions. C’est pourquoi le musée devait avoir un parc de reconstitution permettant d’accueillir des activités en plein air. Comme il fallait 10 hectares, cela a commandé le choix d’un site hors du centre-ville, sur les bords de la Scarpe. Cela semble marcher. J’ai hâte de l’ouverture du parc, dans un an, mais les animations archéologiques des deux jours d’inauguration ont attiré 10 000 visiteurs. C’est un lieu où les gens viendront se distraire ET découvrir l’archéologie préventive.

Hugues Van Besien : Des trous de poteaux aux trous de poteaux … Il y a déjà des trous de poteaux au départ de votre travail d’archéologue, ceux de Brebières. Des trous fondateurs, au début des années 70 ? En Allemagne, en Pologne, on fouillait des trous de poteaux depuis les années 1930, voire 1920 …

Pierre Demolon : La fouille a été faite en 1965. La publication plus tard, en 1972. Tout a commencé par une découverte fortuite à Brebières. En fouille, j’ai trouvé des trous. Je me suis demandé ce qu’ils mettaient dedans ! L’archéologie française dans ces domaines était balbutiante. C’était l’époque où Agache identifiait les villas romaines, mais l’archéologie était encore dominée par l’approche monumentale d’Ernest Will1. Et puis, lors d’un cours de Philippe Jessu à Lille 3, au début des années 1970, il nous a montré des photos d’un chantier allemand et le rapport s’est fait avec ce que j’avais sous les yeux.

Hugues Van Besien : le musée–parc conclut une carrière de fouilleurs. Vous avez été l’un des premiers, sinon le premier archéologue embauché par une collectivité territoriale.

Pierre Demolon : Le premier, si on excepte des gens à Lyon pour faire du terrassement. En 1971, la ville de Douai a créé un emploi et installé une mission archéologique au sein du musée, pour entreprendre des fouilles scientifiques. Les collections archéologiques du musée avaient été détruites pendant la guerre, il s’agissait de les reconstituer. Le recours aux bénévoles a continué, comme auparavant. Parmi les bénévoles des débuts, il y avait un instituteur qui illustrait une longue tradition scolaire de collecte d’objets archéologiques, Roger Félix, et Jean-Pierre Mohen, un douaisien, qui a eu la carrière nationale qu’on sait à la Direction des Musées de France et au CNRS. Le deuxième emploi permanent a été créé en 1978, largement quand le maire de l’époque a constaté de visu l’affluence aux journées portes ouvertes sur le chantier de La Fonderie. Il a été confié à José Barbieux. En 1984, nous avons commencé à employer des agents contractuels, dans un cadre associatif. En 2002, à la création de la communauté d’agglomération, le maire, Jacques Vernier, constatant que le service travaillait de fait sur le territoire des communes environnantes, a obtenu que l’archéologie soit transférée à la communauté. Tout le monde a été repris sous statut de la fonction publique territoriale ou sous CDI. Cela coïncide à peu près avec la loi de 2001 sur l’archéologie préventive qui introduit l’agrément des services archéologiques.

Sépulture néolithique de Brunemont (Mission archéologique de la Communauté d’agglomération du Douaisis)
Sépulture néolithique de Brunemont (Mission archéologique de la Communauté d’agglomération du Douaisis)

Hugues Van Besien : Il a fallu 20 ans pour arriver à l’institutionnalisation du service et à son autonomie de moyens actuelles.

Pierre Demolon : Je trouve la situation bizarre. Nous sommes plus contrôlés que la médecine. Les services sont agréés en fonction de la compétence du personnel, nominativement. Nous devons prouver notre compétence, nous sommes soumis à un contrôle quinquennal, il faut un accord préalable de la Direction Régionale des Affaires Culturelles pour l’ouverture des fouilles, il y a des contrôles pendant et après, sur les rapports de fouilles.

Hugues Van Besien : Qu’est-ce qui a présidé au choix de présentation du Musée ? Les objets ? Les sites ? Votre périmètre n’est pas un périmètre administratif, en même temps, il ne couvre pas des unités géographiques historiquement constituées, qui seraient du reste variables selon les époques : l’Atrébatie antique, la vallée de la Scarpe, la Flandre peut-être ? On ne perçoit pas vraiment ces échelles lors de la visite.

Vue de l’intérieur du musée Arkeos (Mission archéologique  de la Communauté d’agglomération du Douaisis)
Vue de l’intérieur du musée
Arkeos (Mission archéologique de la Communauté d’agglomération du Douaisis)

Pierre Demolon : La zone où nous avons fouillé et où nous fouillons, et qui est relativement pertinente historiquement, est l’Ostrevent, le Pagus Austrebantum, entre Scarpe et Escaut. Nous sommes limités dans l’approche des échelles parce que nous ne fouillons malheureusement pas forcément là où il faudrait fouiller, ce sont des opérations de sauvetage dictées par la localisation des aménagements, les fouilles programmées ont été exceptionnelles, au nombre de deux. Il y a des villages où on ne va pratiquement pas parce qu’il n’y a pas plus d’un chantier individuel tous les cinq ans … Et depuis 2003, les opérations de fouilles sont soumises aux règles de mise en concurrence. Par exemple, nous n’avons pas remporté le marché pour les fouilles à Courcelles Les Lens, où j’ai fouillé il y a trente ans. Mais notre agrément est national, de sorte que nous ne sommes pas limités au périmètre de la Communauté d’agglomération.
Le musée présente un choix d’objet organisé par séquences chronologiques, je crois important de transmettre la structure chronologique, et, au long de la chronologie, l’évolution des conditions matérielles de nos ancêtres. Le public a une réelle difficulté pour se situer dans l’histoire. Nous présentons des objets matériels mais aussi des concepts et des évolutions comme par exemple la mise en place du territoire et des paysages.
Certains sites permettent de donner une vue plus large de l’évolution du territoire, comme la genèse urbaine à Douai, la mise en place d’un parcellaire agricole à Brebières. L’un des avantages de l’archéologie préventive est qu’elle permet parfois de travailler sur de grandes surfaces et pas seulement sur la petite maison, et donc sur des tranches chronologiques étendues, parfois de la proto-histoire à l’antiquité ou au haut moyen âge sur le même site. À Lauwin Planque, la fouille couvrait 110 hectares.

Hugues Van Besien : Pouvez-vous revenir sur quelques chantiers particulièrement importants qui trouvent leur place dans les collections du musée ?

Pierre Demolon : On peut citer la nécropole du haut Moyen âge à Hordain, à proximité de l’Escaut, le site de la Fonderie ou l’abbaye de Wandignies-Hamages.
À Hordain (1974), les habitats sont inconnus, mais la nécropole livre une évolution longue et intéressante, depuis son installation, la partition du noyau fondateur qui recouvre probablement une évolution de la structure du groupe dirigeant local, l’apparition d’incinérations et d’inhumations de chevaux qui signalent l’arrivée d’éléments germaniques, la construction d’une chapelle qui doit correspondre aux opérations d’évangélisation du VIe siècle connues par les textes, le fait que la christianisation prend difficilement, parce que la chapelle ne dure pas et parce que les dépôts d’accompagnement persistent jusqu’au début du VIIIe siècle.
Wandignies-Hamages, fouillé par Étienne Louis en 1992 est le seul exemple connue d’installation monastique mérovingienne fouillée complètement. C’est une fouille programmée qui a mis au jour la partie féminine d’une abbaye double fondée vers 650. Les premières constructions, des cabanes de moniales, de forme rondes, s’inscrivent dans le monachisme colombanien (Colomban de Luxeuil, 543-615). Ensuite, édification d’une église en bois. Les bâtiments sont élargis avec l’adoption des prescriptions de la réforme de Saint-Gall, et encore modifiés à l’époque carolingienne pour correspondre au modèle classique de l’abbaye avec un cloître. Fin IXe-début Xe, à l’époque du passage des Vikings, le site est abandonné, livré aux labours, et il ne s’y passe plus rien parce que c’est l’abbaye de Marchiennes toute proche qui va concentrer l’activité ecclésiastique, ce qui fait que les séquences les plus anciennes ont été conservées pour l’archéologie. Émouvante, par exemple la découverte des récipients à boire des moniales sur lesquels elles avaient inscrit leur nom.

Wandignies-Hamage - Maquette de l'abbaye Carolingienne (Mission archéologique de la Communauté d’agglomération du Douaisis)
Wandignies-Hamage – Maquette de l’abbaye Carolingienne (Mission archéologique de la Communauté d’agglomération du Douaisis)

Et, puis, bien sûr, le site de Douai, où on assiste à la naissance d’une ville sur une surface restreinte, de l’ordre de 1000m², depuis les premières cabanes, le village rue des années 920-930, la première fortification comtale et ses développements. Les travaux de fortification des comtes de Flandre ont emmotté le site d’origine, noyé de terre, ce qui a préservé des structures de bois et de terre qui ont dû exister ailleurs mais qu’on n’a pas retrouvé. Tout est en bois et en terre jusqu’au donjon de Philippe d’Alsace au XIIe. C’est un processus de naissance de la ville médiévale qui affecte l’Europe du Nord et dont Douai représente la marge méridionale.

Hugues Van Besien : Pouvez-vous nous présenter le bâtiment du musée, qui comporte quelques particularités discrètes ?

Le musée et sa passerelle sur la Scarpe vers le parc (Arkeos, Mission archéologique  de la Communauté d’agglomération du Douaisis)
Le musée et sa passerelle sur la Scarpe vers le parc
(Arkeos, Mission archéologique de la Communauté d’agglomération du Douaisis)

Pierre Demolon : Comme l’archéologue qui se repère grâce au quadrillage des coordonnées, le projet architectural et paysager, mais aussi la muséographie et la scénographie d’exposition, s’appuient sur la notion de carré, de carroyage, afin de guider le visiteur : à l’extérieur ce sont les parkings et le parvis qui annoncent ainsi le bâtiment ; à l’intérieur, le dialogue se poursuit avec le parcours de l’exposition permanente.
L’ensemble des matériaux et couleurs du musée s’exprime dans des tonalités naturelles issues de la référence au végétal, aux couches sédimentaires ou aux matériaux des constructions des époques évoquées dans les reconstitutions du parc. Les parois béton expriment les « couches archéologiques  , elles sont réalisées en panneaux de béton matricé reprenant le dessin des croûtes sédimentaires et lasurées dans une teinte couleur terre.
Depuis le parking, les stationnements sont organisés comme une succession de clairières délimitées par des haies taillées de type fusain d’Europe ; ces clairières sont lovées dans le quart de cercle créé par la courbe du bâtiment-talus, qui protège le parc des bruits de la route. Elles font écho aux prairies bocagères, animées par des alignements de vieux saules têtards, présentes actuellement de l’autre côté de la Scarpe. Le parvis est rythmé par des frises de pavés représentant le carroyage. Cette végétation se poursuit sur les toitures-terrasses végétalisées.
Le projet est d’une forte qualité environnementale par sa structure, son intégration dans l’environnement, ses faibles consommations énergétiques et son confort. Le choix des matériaux favorise le béton pour son inertie thermique, le bois pour son aspect environnemental et son inertie hygrométrique, recommandée dans les salles d’exposition. La gestion des eaux de pluie se fait à la parcelle, principalement par infiltration et évaporation. Ses besoins en énergie sont limités par une conception bioclimatique valorisant les apports solaires.

Musée - Parc ARKEOS

4401 route de Tournai
59500 Douai
Tel : 03 27 71 18 00
Mail : anim.archeo@douaisis-agglo.com
Facebook : facebook.com/arkeos

Janvier / Février / Mars / Novembre / Décembre :
tous les jours de 10h à 12h et de 14h à 18h sauf le mardi.
Avril / Mai / Septembre / Octobre :
tous les jours de 10h à 18h sauf le mardi.
Fermé les 1er janvier, 1er mai et 25 décembre

Bibliographie sélective

  • DEMOLON Pierre (dir.), Archéologie en Douaisis : regards sur un territoire : l’Ostrevent. – Douai : Communauté d’agglomération du Douaisis, Direction de l’archéologie préventive, 2010. – 197 p. – (Archaeologia duacensis ; n° 30). – ISBN 978-2-908038-60-6 – [Notice bibliographique]
  • DEMOLON P., E. LOUIS, H.HALBOUT, M. LOUIS-VANBAUCE, Douai Cité Médiévale, bilan archéologique et d’histoire. – Douai, Société archéologique de Douai, 1990. – 110 p.+ plans. (Archeologia duacensis) – ISBN 978-2-908038-60-6 – [Notice bibliographique]
  • DEMOLON Pierre & LOUIS Étienne, « Naissance d’une cité médiévale flamande : l’exemple de Douai ». In: Archéologie des villes dans le Nord-Ouest de l’Europe (VIIe-XIIIe siècle) Actes du IVe Congrès International d’Archéologie Médiévale (Douai, 26, 27, 28 septembre 1991). – Caen : Société d’Archéologie Médiévale, 1994. pp. 47-58. (Actes des congrès de la Société d’archéologie médiévale, 4) – En ligne sur Persée : https://www-persee-fr…
  • DEMOLON P., Le village mérovingien de Brebières (VIe-VIIe siècles). – Arras : Commission départementale des monuments historiques du Pas-de-Calais, 1972, 339p. (Mémoires de la Commission Départementale des Monuments Historiques du Pas-de-Calais, XIV) – Sudoc http://www.sudoc.fr/009660852
  • DEMOLON P. (dir.), La Nécropole mérovingienne de Hordain (Nord) : VIe-IXe siècles après J.-C.. – Douai : Communauté d’agglomération du Douaisis, Direction de l’archéologie, 2006. – 269 p.+Cd-Rom, (Archaeologia Duacensis ; 20, ISSN 1142-8113). – ISBN 2-908038-20-X – [Notice bibliographique]
  • LOUIS E, Hamage, abbaye mérovingienne et carolingienne. Douai : Service archéologique de Douai, Douai (1996). 6 p.
  • LOUIS E., « Aux débuts du monachisme en Gaule du Nord : les fouilles de l’abbaye mérovingienne et carolingienne de Hamage (Nord) », in ROUCHE, Michel (dir.), Clovis, histoire et mémoire, Presses de l’Université de Paris Sorbonne, t. 2 (1997), pp. 842-868.  – Sudoc http://www.sudoc.fr/004351819
  • LOUIS E. Archéologie des bâtiments monastiques, VIIe-IXe siècle : le cas de Hamage (France, Département du Nord) »; in De Boe, G. & Verhaeghe, F. : Religion and Belief in Medieval Europe : papers of the Medideval Europe Brugge 1997 Conference, Instituut voor het archeologisch patrimonium, Zellik, 1997, p. 55-63.  – Sudoc http://www.sudoc.fr/079233147
  • LOUIS E. Hamage (Nord) : espaces et bâtiments claustraux d’un monastère mérovingien et carolingien », in Pratique et sacré dans les espaces monastiques au Moyen- Âge et à l’époque moderne, Actes du colloque de Liessies-Maubeuge (26-28 septembre 1997), C.A.H.M.E.R., Laboratoire d’Archéologie, Université de Picardie et C.R.E.D.H.I.R, 1998 p. 73-97.  – Sudoc http://www.sudoc.fr/086511416
  • LOUIS E. & BLONDIAUX J. L’abbaye mérovingienne et carolingienne de Hamage (Nord). Vie, mort et sépulture dans une communauté monastique féminine », in Alduc-Le Bagousse, Armelle : Inhumations de prestige ou prestige de l’inhumation ? : expressions du pouvoir dans l’au-delà (IVe-XVe siècle. Caen : Publications du CRAHM, 2009, p. 117-150 Sudoc  – Sudoc http://www.sudoc.fr/131496875
  1. Ernest Will (1913-1997) a été enseignant à la Faculté des lettres de l’Université de Lille de 1951 à 1963. voir : Agache Roger, Blanchet Jean-Claude. Nécrologie d’Ernest Will (1913-1997). In: Revue archéologique de Picardie. N°3-4 1997. En ligne sur Persée : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pica_0752-5656_1997_num_3_1_2248 []

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Citer ce billet

Hugues Van Besien, « Arkeos : un nouveau Musée-Parc archéologique à Douai », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 10 septembre 2015. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2015/09/10/arkeos-musee-parc-archeologique-de-douai/>. Consulté le 21 November 2024.