Les graffitis antiques sont à l’honneur de notre Actualité de l’Antiquité : une exposition est consacrée à ce sujet à Bavay jusqu’au 15 janvier 2012 et un petit livre est paru récemment aux éditions les Belles lettres sur les inscriptions électorales de Pompéi. Quant à la revue Antiquity, elle vient de consacrer un article à une série de graffitis retrouvés à Londinium réalisés par un groupe Punk et de poser la question sur leur légitimité comme objet archéologique …
Les murs murmurent à Bavay
Sous le titre « Les murs murmurent« , le Forum antique de Bavay, musée archéologique du département du Nord propose une exposition consacrée aux graffitis gallo-romains jusqu’au 15 janvier 2012. Réalisée par le Musée romain de Lausanne-Vidy en Suisse, présentée pour la première fois dans le Nord de la France, l’exposition propose au visiteur de regarder, à la lueur d’une lampe de poche, les graffitis, ces témoignages, humbles mais parlants, de gens qui s’expriment en direct de l’époque romaine. Pour la première fois est réunie une collection de graffitis antiques originaux, trouvés en France et en Suisse, riches d’enseignements sur le quotidien et la société antiques. Sur le mur, qui sert d’ardoise ou de pense-bête, les thèmes abordés sont nombreux, incisés dans les enduits peints de manière plus ou moins habile. On trouve sur les murs des « tags d’humeur », des exercices de stylets, des calculs, des dessins d’enfants et des exercices scolaires, des dessins représentant les gladiateurs, témoignant de l’engouement pour ces spectacles, des représentations d’animaux et de chasses, du monde marin, des inscriptions religieuses et, bien entendu, des graffitis à contenu sexuel. Si l’exposition ne concerne que les inscriptions trouvées en France et en Suisse, comme l’écrivent les auteurs du catalogue, pour la recherche d’inscriptions érotiques « c’est immanquablement vers Pompéi que l’on se tourne ». C’est tout aussi immanquablement vers Pompéi que l’on trouve le plus important corpus d’inscriptions électorales …
« Allez, secoue-toi, va voter ! »
Les murs faisaient parfois plus que murmurer. L’irruption du Vésuve en 79 a conservé sous la cendre les murs de Pompéi et près de 3000 inscriptions peintes en noir et rouge qui, renouvelées chaque année, vantaient ou dénigraient les candidats aux élections locales. Les éditions les Belles lettres viennent de publier Fièvre électorale à Pompéi, de l’historien allemand Karl-Wilhelm Weeber. Cet ouvrage restitue d’un ton alerte un échantillon de 195 de ces inscriptions peintes ‒ tituli picti ‒ éditées en latin avec traduction, élégamment présentées dans un petit livre rouge. On y découvre les voisins, les corporations et même les femmes (qui ne votaient pas) soutenir les Julius Polybius ou autre Holconius Priscus, parmi les plus cités des candidats. Les murs exhortent à aller voter et clament une préférence pour tel ou tel candidat aux magistratures de l’édilité et du duumvirat décrites par l’auteur. Les grosses lettres acclament un candidat en louant son intégrité, sa générosité, sa vertu, son honnêteté et assurent qu’il ne dilapidera pas le trésor municipal. Ou, au contraire, les inscriptions fustigent l’adversaire en lui donnant pour soutien la lie de la ville de Campanie : les chenapans, les soûlards, les assassins et les esclaves en fuite. Un chapitre est consacré à ceux qui traçaient à larges coups de pinceaux le nom de leur favori ou de celui de leur commanditaire. Parmi les vingt-cinq scriptores dont on a conservé le nom, l’un d’eux – Aemilius Celer – s’inquiète que son inscription dédiée à son candidat puisse être détruite : « va donc, gros jaloux, si tu sabotes mon travail, que la peste t’emporte ! ». Près de vingt siècles plus tard, on peut la lire encore …
Les graffitis des Sex Pistols : objet archéologique ?
Un récent article de la revue Antiquity est formel : John Schofield (de l’Université de York) déclare que les graffitis laissés dans les années 70 (du vingtième siècle) par le groupe punk Sex Pistols dans l’arrière-boutique d’un magasin londonien sont aussi importants que les traces laissées par l’homme dans la Grotte de Lascaux. Pour John Schofield et Paul Graves-Brown, les auteurs de cet article controversé, « l’archéologie moderne inclut les périodes récentes dans ses objets d’étude ». Leur utilisation doit permettre de saisir à la fois les périodes du passé mais également d’avoir un regard critique sur la modernité elle-même. « Le fait que le graffiti soit considéré comme grossier, insultant et source de malaise amplifie le statut et la signification de ces peintures. Car, après tout, c’est tout ça le punk ». Les murs ne murmurent pas toujours : ils chantent aussi du punk. Et les archéologues avec eux …
En savoir plus
- Exposition « Les murs murmurent » : Forum antique de Bavay, musée archéologique du département du Nord du 15 septembre 2011 au 17 janvier 2012. Voir site internet CG59.
- Le catalogue de l’exposition est celui publié à l’occasion de sa création au Musée romain de Lausanne-Vidy en 2008 : Alix Barbet et de Michel Fuchs, Les murs murmurent : graffitis gallo-romains, Infolio, 2008 [Voir notice].
- Livres : Karl-Wilhelm Weeber, Fièvre électorale à Pompéi, traduit de l’allemand par Hélène Feydy, Les Belles Lettres, 2011 [Voir notice]. Cet ouvrage est une introduction utile à l’ouvrage non cité (!) de Catherine Chiavia, Programmata : manifesti elettorali nella colonia romana di Pompei, Zamorani, 2002 [Voir notice].
- Une synthèse sur les graffitis antiques : Martin Langner, Antike Graffitizeichnungen : Motive, Gestaltung und Bedeutung, Reichert, 2001 [Voir notice]. Sur le corpus des inscriptions érotiques de Pompéi : Antonio Varone, Erotica pompeiana : iscrizioni d’amore sui muri di Pompei, « L’erma » di Bretschneider, 1994 [Voir notice].
- Il n’y a pas que les murs qui recevaient des graffitis et on gravait sur toute sorte de support. Les supports les plus fréquents (ou les plus fréquemment retrouvés …) sont l’enduit et la céramique. Pour un exemple d’étude d’un corpus : Gaële Féret, Les graffiti sur céramique d’Augusta Raurica, (Forschungen in Augst ; 40) Römermuseum Augst, 2008 [Voir notice].
- Sur les graffitis des Sex Pistols: Paul Graves‑Brown and John Schofield, « The filth and the fury : 6 Denmark Street (London) and the Sex Pistols ». In : Antiquity, vol. 85, nbr 330, pp. 1385–1401 [article payant]. Cet article a donné lieu à de nombreuses mentions dans la presse. Voir par exemple les articles du National geographic et de Presseurop.
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « Actualité de l’Antiquité / 4 : spécial Graffitis », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 5 décembre 2011. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2011/12/05/les-graffitis-antiques/>. Consulté le 21 November 2024.
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