François Hollande est élu Président de la République. Lors du « Salon du Livre » à Paris, le 18 mars 2012, les journalistes lui ont posé la traditionnelle question du livre qui l’a le plus marqué. Le candidat à la Présidentielle répond tout d’abord qu’il a été marqué dans sa jeunesse par Les Misérables de Victor Hugo, avant d’ajouter : « Après Hugo, c’est Camus qui m’a le plus marqué. Le Camus de Sisyphe … ». Le choix de Sisyphe, figure mythologique marquée par l’échec éternel, Héros absurde condamné par les dieux à une punition répétitive, est à première vue étonnant de la part de quelqu’un qui brigue l’investiture suprême, voire infondé en ce jour de victoire.
Sisyphe, selon Villepin et Hollande
François Hollande se comparant à Sisyphe, la surprise est grande pour qui s’intéresse à la mythologie. À moins de deux mois de l’échéance électorale, s’identifier à Sisyphe n’offrait a priori guère de chance de succès : le fils d’Éole et d’Énarété est surtout connu pour être condamné par Zeus à rouler éternellement un énorme rocher en haut d’une montagne qui, une fois parvenu au sommet, retombe sans cesse emporté par son propre poids. Les dieux « avaient pensé avec quelque raison qu’il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir ».
Malgré sa persévérance, en avril, François Hollande croyait-il ne pas pouvoir atteindre l’Élysée ?
Durant la campagne électorale, un autre prétendant s’était comparé à Sisyphe dans une image de vain effort. Fin février 2012, pour le journal Le Monde, Dominique de Villepin avait posé pour le photographe Olivier Laban-Mattei dans une position étonnante : l’homme politique était représenté de dos en train de « pousser » une cheminée monumentale. Le cliché était ainsi légendé : « Dominique de Villepin, dans son cabinet d’avocat, à Paris, le 29 février. L’ancien premier ministre, candidat déclaré à la présidentielle, a voulu cette pose unique pour évoquer Sisyphe poussant son rocher. » À propos de cette photographie, son auteur écrit sur son Carnet de route Veni Vidi que « celui qui s’identifiait récemment encore à Sisyphe est condamné à pousser son rocher, à purger sa peine, comme d’autres ont porté leur croix en leur temps. Dominique de Villepin n’aura pas ses signatures et n’atteindra jamais l’Olympe ».
François Hollande a explicité son choix de la figure de Sisyphe : « Sisyphe, c’est l’image de la persévérance et de la ténacité. Moi aussi, je porte mon rocher, sans cesse, et depuis longtemps déjà. Comme Sisyphe, celui qui fait campagne ne doit jamais relâcher, jamais croire que quelque chose est acquis. Même si je remporte l’élection présidentielle le 6 mai, il faudra continuer le combat. Continuer, encore continuer, le combat politique est sans fin. » (voir texte et vidéo sur le site d’Europe 1, voir aussi sur le journal Le Monde etc).
Une heureuse victoire ?
Nicolas Sarkozy, qui a lui même évoqué Camus lors de la campagne électorale (en le prénommant Stéphane !), déclarait fin avril : « Est-ce que vous croyez que la politique rend heureux ? Si vous croyez ça, vous ne connaissez pas la politique…». Alors : le Sisyphe politique est-il éternellement condamné à ne pas être heureux ? Relisons Albert Camus. Ce dernier écrit dans Le Mythe de Sisyphe (paru en 1942) que « la lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux ».
Ce 6 mai 2012, Sisyphe a gagné, il est sans doute heureux, le rocher est en haut de la colline, mais il sait que cette victoire n’est qu’une étape provisoire. Quoi qu’il en soit de la suite, on achève ce billet par l’illustration d’une Victoire ailée.
Crédit photographique
Lien à la photographie « Sphère n°1 » de l’artiste Jeanne Bouchart, Jardin du Luxembourg, sur Flickr par Leo Reynolds et lien à la photographie « Just Do It! » par laszlo-photo sur Flickr.
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « La victoire de Sisyphe », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 6 mai 2012. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2012/05/06/la-victoire-de-sisyphe/>. Consulté le 21 November 2024.
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