Deux figures banales, antiques, menacées et exposées.
La Galerie des 3 Lacs de Lille 3 met en valeur la dimension internationale de l’université et présente l’exposition « Bouddhas Noël » réalisée par le duo d’artistes franco-chinois Benoit+Bo, qui offre une synthèse de la rencontre de Bouddha et du Père Noël. Réunies en un seul personnage, démultipliées en résine coloré, ces deux figures sont issues de l’Antiquité et sont l’une et l’autre devenues des images à la fois banales, symboliques et toujours menacées de nos sociétés. Portrait d’une figure hybride à voir jusqu’au 15 décembre 2012.
Bouddhas Noël : des œuvres de Benoit+Bo
La Galerie des 3 Lacs de l’université Lille 3 expose un duo d’artistes franco-chinois, actuellement en résidence artistique à Lille : Benoit+Bo, ou Dong Bo-Xi Bo en chinois (ce qui signifie Vague de l’est, Vague de l’ouest). Ce duo Benoit+Bo a pris naissance à Tianjin et poursuit son travail aujourd’hui à Shanghai en utilisant différents médiums comme la photographie, la vidéo, les installations, la sculpture. Lille n’est pas une ville inconnue pour Bo, l’artiste chinois, puisqu’il a appris la langue française comme étudiant à l’université Lille 3.
La Galerie de Lille 3 est envahie par une figure unique et démultipliée. De toutes les couleurs, un être rigolard est présenté sous la forme du Bouddha rieur : un homme heureux, ventripotent, assis en tailleur. Mais ce Bouddha est affublé de trois détails étranges et importés : le bonnet, la barbe et les bottes lui donnent des airs de Père Noël.
À moins de renverser la lecture : Bouddha Noël, c’est la représentation d’un Père Noël assis en tailleur.
Benoît+Bo, chacun apportant sa culture, ont créé une figure hybride, une forme de syncrétisme, entre un personnage Occidental et un autre Oriental, censés l’un et l’autre apporter le Bonheur. Il s’agit d’un Père Noël orientalisé ou d’un Bouddha occidentalisé. Rappelons que ce ne serait d’ailleurs pas la première fois que l’occident influence l’apparence de Bouddha. Durant l’Antiquité, le Gandhara (Afghanistan et Pakistan) avait offert un art gréco-bouddhique – synthèse de styles grecs et indo-bouddhistes – qui avait donné sa première forme humaine (et hellénique) aux statues de Bouddha.
Deux figures antiques et banales
Bouddha serait né au VIe ou Ve siècle avant notre ère dans le nord de l’Inde, sous le nom de Siddartha Gautama1. Sa pensée s’est diffusée bien au-delà des frontières du Gange et a été introduite en Chine au milieu du Ier siècle de notre ère. Quant au Père Noël, si sa notoriété est immense depuis la seconde guerre mondiale, il serait le dernier avatar d’un mélange entre Saint Nicolas (l’évêque Nicolas de Myre né à Patara, en Lycie, en 270, et mort le 6 décembre 345 à Myre) et d’un personnage du folklore germanique, mais pourrait avoir également comme ancêtre le roi des Saturnales, cette fête de l’antiquité romaine qui, comme celle de Noël, se tenait au Solstice d’hiver.
Les images de Bouddha et du Père Noël sont universellement connues. Dans un article du quotidien La Voix du Nord, les artistes Benoit+Bo soulignent que « quand on demande à des Occidentaux à quoi ils pensent en premier quand on leur parle de culture chinoise, ils évoquent Bouddha. Et quand on pose la question en sens inverse à des Chinois, ils citent le Père Noël ! ».2
S’il est devenu banal de trouver des Bouddhas dans les intérieurs et jardins occidentaux, s’ils envahissent les jardineries et boutiques du monde, pour faire zen, on rencontre le Père Noël en Chine, et pas seulement dans les usines qui fabriquent des babioles pour nos décors occidentaux. Il est en effet devenu très présent en décembre dans la vie des Chinois : chaque année, un peu plus nombreux chaque fois, les Chinois fêtent Noël et diffusent l’image de « notre » Père Noël : « avec sa barbe placardée sur tout les encarts publicitaires, le symbole de la consommation à l’occidentale a fini par avoir une bonne réputation auprès de Pékin » écrit le site Aujourd’hui le Monde dans un article intitulé : « Les Chinois croient-ils au Père Noël ? »3.
Si la figure hybride de Benoît+Bo est humoristique, si elle peut se regarder comme le symbole même du Bonheur, elle donne aussi à réfléchir sur la notion d’acculturation : les images offrant la synthèse de dieux ou de personnages de peuples différents abondent et le « Bouddha Noël » appartient à cette longue lignée syncrétique. Les images du Père Noël ou de Bouddha sont devenues banales, symboliques d’une culture, sans que la signification de ces figures soit nécessairement comprise par celui qui s’en accapare. Ce sont des images qui peuvent nous paraître innocentes et être cependant victimes du fanatisme.
Deux figures menacées
Les Bouddhas de Bâmiyân
L’année 2001 commençait mal et le XXIe siècle avec elle. L’image a fait le tour du monde, préfigurant celle du 11 septembre de la même année. Les Bouddhas de Bâmiyân, antiques Bouddhas monumentaux réalisés dans l’excavation de la paroi d’une falaise située dans la vallée de Bâmiyân en Afghanistan, furent anéantis par les Talibans. Ces derniers répondaient à l’ordre du mollah Omar qui affirmait que les statues représentant des êtres pouvant faire l’objet d’un culte devaient être détruites4. Depuis dix ans, régulièrement, les nouvelles concernant l’archéologie bouddhique en Afghanistan sont navrantes : on détruit, on pille et revend les figures de Bouddha5.
Le Père Noël supplicié
Cinquante ans plus tôt, le 24 décembre 1951, devant les enfants des patronages rassemblés, le Père Noël a été brûlé sur le parvis de la cathédrale de Dijon. Sa faute : être usurpateur et hérétique. Les auteurs de ce supplice, soutenus par le discours d’une partie du clergé d’alors, insistèrent sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’une attraction mais bien d’un geste symbolique. Ils voulaient détruire l’image d’un personnage qui paganisait Noël. De cet épisode, Claude Lévi-Strauss tira une belle étude pour la revue Les Temps modernes en 19526. C’était il y a plus de soixante ans. Cet événement paraît d’une autre époque, totalement inconcevable aujourd’hui : le Père Noël semble solide, bien campé dans notre quotidien occidental, aussi inaltérable qu’un Bouddha niché dans une grotte de la vallée de Bâmiyân …
圣 诞 快 乐
Pour en savoir plus
« Bouddhas Noël » une exposition de Benoit+Bo à voir à la « Galerie des 3 lacs » de Lille 3 jusqu’au 15 décembre. La Galerie est ouverte du lundi au vendredi de 11h00 à 15h00 et sur rendez-vous à « Action Culture » au 03.20.41.63.26 [il est prudent de téléphoner]. Y aller
Le blog de Benoit+Bo : http://benoitbo.blogspot.fr
À noter que Benoit+Bo exposent également des photographies à l’extérieur de la galerie des 3 Lacs de Lille 3 ainsi que dans le cadre de ESCAPE[S] in/from China #3 : exposition de photographies jusqu’au 21 décembre au Centre d’Arts Plastiques et Visuels au 4 rue des Sarrazins à Lille (Métro Gambetta), du lundi au vendredi de 14h30 à 18h30 (03.20.54.71.84). Voir le blog : http://escapes-leblog.com.
L’université Lille 3 expose actuellement, outre Benoit+Bo, deux autres artistes : le photographe belge David Lucas et le photographe d’origine togolaise N’Krumah Lawson Daku. voir sur le blog Inforum : http://inforum.univ-lille3.fr
- Les datations de Siddartha Gautama sont très diverses [↩]
- Article publié dans La Voix du Nord du 5 décembre 2012 : « À Lille 3, jusqu’au 15 décembre, les amusants Bouddhas Noël de Benoît + Bo » : http://www.lavoixdunord.fr [lu le 9 décembre 2012]. [↩]
- « Les Chinois croient-ils au Père Noël ? » dans Aujourd’hui le Monde daté du 23 décembre 2011 : http://chine.aujourdhuilemonde.com [lu le 9 décembre 2012]. [↩]
- Voir le dossier ‘Paysage culturel et vestiges archéologiques de la vallée de Bamiyan’ sur le site du Centre du patrimoine mondial de l’Unesco : http://whc.unesco.org. [↩]
- Voir par exemple l’article de Tristan Denonne dans Le Monde des Religions du 02/11/2012 : « Menace sur l’archéologie du bouddhisme au Pakistan » et la dépêche AFP de novembre 2012 : « Afghanistan: une mine de cuivre enterre des bouddhas« . [↩]
- L’article a été réédité en livre par les éditions Sables en 1994 : voir notice bibliographique. [↩]
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « Quand Bouddha rencontre le Père Noël … », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 10 décembre 2012. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2012/12/10/quand-bouddha-rencontre-le-pere-noel/>. Consulté le 21 November 2024.