L’Antiquité émendée, traduite, amusante, passionnante, exposée et… menacée

Actualité de l’Antiquité / 12.

Ce billet souhaite montrer que l’Antiquité parle toujours à nos contemporains. Il est composé à partir d’articles glanés lors de notre veille informationnelle dont il se veut le reflet et répond en filigrane à cette question : de quoi causent les médias quand il s’agit de parler de l’Antiquité ?

L’Antiquité en tête de gondole

Virgile : l'Enéide
Virgile : l’Enéide

Parmi les meilleurs ventes du moment en librairie, si on en croit le classement Livres Hebdo de ce mois de décembre 2012, on trouve deux titres dont on a parlé dans Insula. Le Serment des 5 Lords − le dernier Blake et Mortimer − et le Sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari. Mais s’il y a bien un sujet qui étonne les médias, c’est bien le retour des classiques, en particulier ceux de l’Antiquité. « L’Antiquité – c’est un véritable raz-de-marée – resurgit de toutes parts » s’exclame le journal Marianne du 15 décembre 2012. Par exemple : quelle est la vraie raison du succès de la traduction de Virgile par Paul Veyne ? « l’Énéide est amusante à lire » répond simplement le traducteur. Il faut lire cet article qui déclare que « l’Antiquité est aujourd’hui devenue dépaysante et offre des voyages littéraires en terre inconnue ».

Le journal La Croix du 19 décembre 2012 écrit : « Paul Veyne n’a pas cherché à vulgariser artificiellement le latin de Virgile, ou pour le dire comme les modernes, à l’actualiser. Une traduction simple et accessible, jamais «contemporaine» ni «académique». L’auteur ne se prend pas assez au sérieux pour cela. C’est d’ailleurs l’un des traits de cet esprit peu banal, de son œuvre importante ».

À propos de Paul Veyne on pourra regarder la vidéo de sa présentation à la Librairie Guillaume Budé − où il était accompagné par Hélène Monsacré − ainsi que la vidéo de l’émission La Grande librairie du 13 décembre 2012 sur France 5.

Lucrèce : De Rerum natura
De Rerum natura

Le journal 20Minutes du 15 décembre 2012, quant à lui, incite à la lecture du De la nature de Lucrèce dans la traduction en alexandrins (non rimés) d’Olivier Sers aux éditions les Belles lettres. On devait déjà à Olivier Sers les Métamorphoses d’Ovide traduites de cette manière.

En vingt ans, remarque François Noudelmann dans l’émission Le Journal de la philosophie sur France Culture, le De rerum natura a fait l’objet d’une dizaine de traductions françaises et d’éditions multiples. Le journaliste interroge Olivier Sers : « Pourquoi Lucrèce suscite t-il tant d’intérêt ? » Parce que c’est un livre passionnant, répond le traducteur. Mais pas seulement …

« Lucrèce est un extraordinaire anxiolytique » (O. Sers)

La page de titre indique que le texte du De Rerum natura de Lucrèce a été établi par Alfred Ernout puis émendé, présenté et traduit par Olivier Sers. Le mot « émendé » − que souligne mon correcteur orthographique automatique − avait déjà fait sursauter Pierre Assouline en 2009 dans un billet de son blog intitulé : Émendé, Ovide en sera-t-il pour autant métamorphosé ? « Connaissez-vous la signification du verbe « émender » ? Moi non plus » avait avoué Pierre Assouline avant de nous donner la définition : il s’agit de l’action de corriger − du latin emendare − et d’améliorer. L’expression n’est pourtant pas nouvelle. La réserve patrimoniale de la Bibliothèque universitaire de Lille 3 possède par exemple un ouvrage publié en 1549 traduit du castillan en français, mis en lumière, revu et « émendé » par Jean Maugin [voir notice Sudoc].

Le Petit Nicolas en latin
Le Petit Nicolas en latin

Si on préfère lire des textes latins plutôt que des œuvres littéraires émendées et traduites, pourquoi ne pas lire Pullus Nicolellus ? Ce dernier n’est pas un auteur antique retrouvé mais la traduction en latin du célèbre Petit Nicolas de Sempé et Goscinny.

Le journal La Croix du 18 décembre 2012 est surpris du succès de cette traduction. Il n’est pas le seul : « 6000 exemplaires ont déjà été vendus. À la surprise de l’éditeur » note le quotidien.

Évidemment, c’est le principal écueil relevé par La Croix : « Marie-France Saignes et Elisabeth Antébi, les traductrices, ont été obligées d’inventer les équivalents de tous les mots correspondant aux objets ou concepts postérieurs à la disparition du latin » . « le livre est enrichi d’un lexique, d’une bibliographie, d’un quizz, d’une présentation en latin des principaux personnages et d’une préface exposant précisément les partis pris pour cette traduction » souligne l’éditeur Aymar du Chatenet dans un entretien donné à Quoi.info.

Quant à Jean-Jacques Sempé il confie trouver les tournures très drôles : « C’est tellement anachronique, tellement surprenant » (voir vidéo sur Youtube).

Au Vatican, les traducteurs sont également confrontés à la transcription des concepts, objets et habitus modernes. Dans le Lexicon Recentis Latinitatis on trouvera, parmi les occurrences, les traductions du mot ordinateur (instrumentum computatórium), baby-sitter (infantária -ae), blue-jeans (bracae línteae caerúleae), dépression (ánimi imminútio), flirt (amor levis), playboy (iúvenis voluptárius), week-end (éxiens hebdómada) …

Le latin et le grec font leur festival

Notons que l’une des traductrices du Petit Nicolas est Elisabeth Antébi, fondatrice du Festival Européen Latin et Grec qui se tiendra à Lyon du 21 au 24 mars 2013 et dont on peut déjà trouver le programme sur le site du Festival ainsi que sur le blog de l’Association Fortuna Juvat.

Saturnalibus, optimo dierum !

Tous les titres cités ci-dessus peuvent être l’occasion de cadeaux lors des fêtes qui interviennent en cette période du solstice. Depuis l’Antiquité, c’est la saison où l’on offre traditionnellement des cadeaux. Nous évoquions en passant les relations entre Saturnales et Noël dans notre billet consacré à l’exposition Bouddhas Noël. Un long article de la BBC interroge : Did the Romans invent Christmas ? La question des Saturnales, en particulier, se pose à quelques jours de Noël. On peut renvoyer au site de l’Académie de Grenoble qui propose un long dossier consacré à cette fête romaine à destination des élèves et des esprits curieux.

Art, expositions

Qu’importe le flacon ?

La Granville Gallery, galerie parisienne spécialisée dans la création en design et en art contemporain, propose une exposition intitulée AMPHORE. Une dizaine de designers français et internationaux ont été invité à revisiter cet antique récipient, rapporte le site Maison à part en présentant de nombreuses photographies d’un objet transformé jusqu’à en devenir méconnaissable …

Etiquette Mouton Rotschild 2010 par Jeff Koons (specimen)
Etiquette Mouton Rotschild 2010 par Jeff Koons (specimen)

Pour ceux qui préfèrent les dives bouteilles aux amphores, Jeff Koons revisite l’Antiquité pour réaliser l’étiquette du millésime 2010 de Château-Mouton-Rothschild, premier grand cru classé du Médoc, rapporte le journal Le Monde du 18 décembre 2012. L’artiste américain reprend le thème de La Naissance de Vénus d’une fresque de Pompéi, qu’il complète du dessin d’un bateau. La déesse vogue sur la mer vineuse. Le dossier de présentation précise que le dessin argenté transforme la fresque de Pompéi en Vénus au Vaisseau, « à la fois la coupe qui  recueille, et le navire qui transporte au loin, sous un clair soleil, un vin exquis… Sûrement du Mouton Rothschild 2010 ! »

La tradition chez Rothschild de confier l’étiquette du millésime à un artiste contemporain remonte à 1924 mais l’habitude fut réellement prise à partir de 1945. On trouve en libre accès sur internet l’ouvrage de Philippe Margot qui relate cette aventure artistique : Art et vin, les œuvres originales des artistes contemporaine pour Château Mouton Rotschild (1924-1975).

Jeff Koons, Versailles et l’Antiquité

Ce n’est pas la première incursion de l’Antiquité dans l’œuvre de Jeff Koons. Cet été, il avait présenté à Francfort en première mondiale cinq réalisations de sa nouvelle série intitulée « Antiquity ». « D’une certaine façon Jeff Koons est le dernier artiste de l’Antiquité », avait même affirmé à cette occasion Vinzenz Brinkmann, commissaire de l’exposition du Liebieghaus dans des propos relatés par FranceTv. Avec une telle définition, Jeff Koons serait-il mieux accepté aujourd’hui à Versailles qu’il ne l’a été en 2008 quand L’Express titrait : Jeff Koons à Versailles : de l’art ou du homard ?

Versailles et l'Antiquité
Versailles et l’Antiquité

Aujourd’hui, l’exposition « Versailles et l’Antiquité » que présente le château de Versailles jusqu’au 17 mars 2013 semble faire l’unanimité : « On sort ébloui de cette exposition, mariage réussi d’érudition et de pédagogie, servi par une scénographique qui aide à la compréhension du sujet et satisfait le regard » écrit Sylvie Blin dans un billet de La Tribune de l’art publié le 18 décembre 2012.

Le propos de cette exposition est  d’évoquer avec plus de 200 œuvres la présence de l’Antique au Château de Versailles, sous le règne de Louis XIV. Le site internet du Château de Versailles propose une Web Série consacrée à l’exposition.

Le succès d’un tel sujet prouve que si l’Antiquité fascinait Louis XIV, elle intéresse toujours nos contemporains. Cette bonne santé de l’image de l’Antiquité n’est cependant pas sans nuages et c’est la recherche sur l’Antiquité qui est menacée aujourd’hui.

La culture gréco-romaine est en danger

Si la Grèce est un des pays les plus riches en matière culturelle, avec 19.000 sites archéologiques et 17 monuments classés par l’Unesco, rappelle France Info dans un reportage du 14 décembre 2012, « la culture grecque est en danger ». Même s’il est largement connu, le détail est consternant (nous en avions fait ici-même un billet en mars 2012 intitulé : Patrimoine archéologique en danger).

SAIA
SAIA

La crise financière a également pour conséquence des coupes drastiques dans le budget de la culture en Italie. Nous venons d’apprendre que le Directeur de l’École italienne d’archéologie d’Athènes, le professeur Emanuele Greco, lançait un appel pour empêcher la fermeture de son École, faute de financements suffisants pour la faire fonctionner. On trouvera la lettre du directeur et un lien pour signer une pétition sur le site de la Scuola Archeologica Italiana di Atene.

Le journal Le Point du 19 décembre 2012 signale à ses lecteurs qu’à Rome la tombe de Marcus Nonius Macrinus − le général romain qui a inspiré le personnage principal du film Gladiator − risque d’être recouverte de terre, faute de moyens suffisants pour l’entretenir, en dépit d’un appel lancé par l’acteur Russell Crowe.

Sans doute est-ce la paradoxe actuel. Si la tombe de ce général va peut-être disparaître, on peut retrouver le film Gladiator de Ridley Scott à Lyon et Vienne jusqu’au 8 avril 2013 pour l’exposition Peplum. « Une bonne occasion de se demander si l’image que l’on se fait des antiquités romaine, grecque et égyptienne ainsi que des époques bibliques correspond bien à la réalité de ces périodes lointaines » écrit FranceTV. Mais pour que cette image soit toujours la plus juste possible, on doit permettre la recherche et l’entretien des antiquités elles-mêmes …

Crédits et remerciements

Nous remercions la Maison Baron Philippe de Rothschild S.A. pour l’autorisation à reproduire le spécimen de l’étiquette du Château Mouton Rothschild 2010.

Livres cités

  • Virgile : L’Énéide, traduction de Paul Veyne, les Belles Lettres-Albin Michel, 2012. 432 pages
    voir site de l’éditeur : www.albin-michel.fr
  • Lucrèce : De la nature, texte établi par A. Ernout, émendé, présenté et traduit par Olivier Sers, les Belles Lettres, 2012. 512 pages
    voir site de l’éditeur : www.lesbelleslettres.com
  • Pullus Nicolellus lingua latina, de Sempé et Goscinny, traduiction de Marie-France Saignes et Elisabeth Antébi IMAV, 2012. 104 pages.
    voir site de l’éditeur : www.imaveditions

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Citer ce billet

Christophe Hugot, « L’Antiquité émendée, traduite, amusante, passionnante, exposée et… menacée », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 19 décembre 2012. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2012/12/19/actualite-antiquite-12/>. Consulté le 28 March 2024.