Il est difficile de compter les livres dans une bibliothèque

Une histoire de la Bibliothèque universitaire de Lille / 4.

Ce billet s’intéresse aux acquisitions de la bibliothèque universitaire de Lille au début du 20e siècle en évoquant particulièrement le dépôt des thèses et les ouvrages reçus en don.

Précédents épisodes :
1. Origine de la Bibliothèque des Facultés de Lille
2. La bibliothèque universitaire en 1909
3. Les bibliothécaires de l’université de Lille entre 1883 et 1923

Le début de l’histoire des bibliothèques universitaires au 20e siècle est marqué par l’accroissement considérable des collections en quelques années. Les chiffres sont révélateurs1. À Lille, en 1880, les collections de Sciences et de Médecine comptent environ 4000 volumes, celles de Droit et Lettres 6000 volumes environ. Les procès verbaux de récolement (ou inventaire) donnent les chiffres de 102 330 volumes et dissertations (thèses) en 19012, 172 996 volumes et dissertations en 1902. Un rapport officiel signale 184 895 volumes (dont 109 395 dissertations) en 19043. En 1909, les collections comptent 240 000 volumes périodiques et thèses4. Cette même année, le nombre de périodiques − véritable fonds scientifique d’une bibliothèque universitaire − reçus à la bibliothèque est de 18005.

Ces accroissements importants s’expliquent par l’envoi d’ouvrages et de périodiques par le ministère de l’Instruction Publique, les dons des autres ministères et des ministères des pays étrangers, les dons de particuliers, l’arrivée d’ouvrages provenant des échanges universitaires internationaux (avec 16 universités françaises et 41 établissements et universités étrangères en 1910), d’ouvrages fournis par les échanges nationaux et internationaux provenant de 320 sociétés savantes et universités (contre Travaux et mémoires de l’Université de Lille ou Bulletin de l’Université) et enfin par les achats. Conformément aux règlements des bibliothèques universitaires de novembre 1886 et janvier 1887, la responsabilité relative aux acquisitions d’ouvrages et de périodiques est assurée par la « Commission de la bibliothèque » composée de professeurs et du bibliothécaire. Quelques années plus tard, le bibliothécaire obtient la responsabilité seule des deux cinquièmes des crédits d’acquisitions.

Les thèses

Thèses reliées - SCD Lille 3
Thèses reliées – SCD Lille 3

En 1882, une réglementation concernant les thèses donne une grande responsabilité aux bibliothécaires dans ce domaine et organise les échanges. Grâce à cet apport particulier, les fonds s’accroissent de plusieurs milliers de titres chaque année. Presque partout les thèses représentent plus de la moitié des collections, cette situation amenant des protestations contre ces échanges universitaires. Au Congrès international des archivistes et des bibliothécaires de Bruxelles de 1910, Paul Vanrycke fait une communication en faveur des échanges interuniversitaires, seul moyen d’obtenir les thèses et écrits académiques6. Après avoir expliqué le système de classement employé à Lille, il entame un plaidoyer pour des échanges réguliers avec les universités américaines. Enfin, il demande que soit étendu aux bibliothèques universitaires françaises le dépôt légal régional « qui existe dans la plupart des pays d’Europe et qui explique en partie l’accroissement considérable des bibliothèques universitaires allemandes et suédoises ».

Les dons

Les principaux dons7 qui font aujourd’hui encore la richesse et la diversité des collections de la bibliothèque universitaire8 datent de cette époque et témoignent des relations actives entre le bibliothécaire et le corps professoral ou les collègues des services d’archives. Vers 1910, la bibliothèque bénéficie des confiscations des établissements ecclésiastiques suite à la loi de séparation des églises et de l’État9). La bibliothèque10 recueille des ouvrages provenant des bibliothèques de l’évêché et du séminaire d’Amiens (marque de provenance la plus souvent rencontrée), de Cambrai, de Soissons et du petit séminaire de Saint-Riquier. Paul Vanrycke demande à plusieurs reprises au Conseil de l’Université des indemnités pour frais de voyage et de transport de livres provenant d’établissements dont les collections ont été attribuées à la bibliothèque universitaire de Lille11. À la fin de l’année 1909, il participe au transfert des livres de Soissons à Lille. En 1910, la Commission administrative des Hospices civils de Cambrai autorise P. Vanrycke « à venir choisir dans la bibliothèque de l’ancien grand séminaire, les ouvrages de droit canon qui peuvent avoir utilement leur place dans sa bibliothèque »12.

Auguste Angellier
Auguste Angellier

En 1911, la bibliothèque s’enrichit de 20 000 volumes de la donation dite Laurenge-Angellier13 : 2000 volumes ou fascicules de périodiques, 6000 livres anglais et 8000 livres de littérature française.

Enfin en 1921, les héritiers d’Edmond Agache (1847-1920), industriel et bibliophile de la région lèguent une partie de sa bibliothèque par un acte notarié daté du 22 février 1921. Entrent ainsi à la bibliothèque universitaire environ 2000 ouvrages de bibliophilie, dont 41 manuscrits, une soixantaine d’incunables et 250 reliures armoriées14. Nous y reviendrons dans un prochain épisode.

Nous parlerons du catalogage de ces importantes collections dans notre prochain billet.

À suivre

Isabelle Westeel

Épisode suivant :
5. Le catalogage à la Bibliothèque universitaire de Lille

Crédits photographiques

Portrait d’Auguste Angellier (1848-1911), professeur à l’Université de Lille. Photographie fin XIXe siècle. Format 22,4 x 16,5 cm. Bibliothèque municipale de Lille, Fonds Lefebvre 5, 4-3. Lien : http://numerique.bibliotheque.bm-lille.fr/sdx/num/lefebvre_5/lef0005ch004doc03a

  1. Jules Laude émet quelques réserves à propos de ces chiffres. « Pour donner des chiffres approximatifs, je dirai que l’accroissement global (non compris les thèses) peut varier suivant les ressources de la bibliothèque entre 2000 et 5000 volumes par an. Quant au total des volumes contenus dans nos bibliothèques … je soupçonne certaines statistiques de contenir un brin de fantaisie… On resterait assez dans la vraisemblance en disant que dans les universités à trois facultés (Sciences, Lettres, Droit), la Bibliothèque possède un fonds de 60 à 70 000 volumes, tandis que dans les grandes universités ce fonds varie entre 120 et 150 000. » Jules Laude,  « Les bibliothèques universitaires de province », dans Bibliothèques, livres et libraires, conférences A.B.F., 2e série, 1912, Paris, 1913, p. 146. []
  2. BU de Lille. Dossier des récolements. Arch. nat. F17 3557 []
  3. La bibliothèque universitaire de Lille en 1903-1904. Lille, Le Bigot, 1903. 6 p. []
  4. Lille et la région du Nord en 1909, t. 1 : Lille : Histoire, établissements d’instruction publique, musées, sociétés savantes, monuments, hygiène, commerce et industrie. Lille, L. Danel, 1909. p. 225. []
  5. Annales de l’Université de Lille, 1908-1909, Lille, 1910, p. 23. []
  6. Paul Vanrycke, Des échanges : de l’accroissement des Bibliothèques universitaires françaises et de la Bibliothèque universitaire de Lille en particulier. Lille : Le Bigot, 1900. Extrait du Bulletin de l’Université de Lille et de l’Académie de Lille, 2e série, oct. 1900, 4e année, 8 p., 4°. Id, « Les thèses et dissertations académiques : comment se les procurer, les classer et les cataloguer » dans Congrès de Bruxelles 1910 par la Commission permanente des Congrès internationaux des archivistes et des bibliothécaires. Bruxelles, 1912, p. 488-494. []
  7. Françoise Bruno, « Bibliothèque universitaire de l’université Lille-III », dans Patrimoine des bibliothèques de France. T. 2 Nord-Pas-de-Calais-Picardie, Paris, 1995, p. 140-145. []
  8. Le fonds ancien conservé aujourd’hui à l’Université Lille 3 constitue la Réserve commune des trois universités Lille 1, Lille 2 et Lille 3. []
  9. Isabelle Westeel, « Premiers jalons pour une histoire des confiscations de bibliothèques ecclésiastiques en 1905 », dans Revue française d’histoire du livre, n° 104-105, 1999, p. 349-368. []
  10. En 1905, l’Académie de Lille regroupait les inspections académiques d’Arras, Amiens, Laon et Mézières. (L’Académie de Reims est créée le 12 décembre 1962 et celle d’Amiens le 1er octobre 1964). []
  11. Arch. dép. Nord 2 T 639 ; 2 T 649. []
  12. Arch. dép. Nord 3 T 204. []
  13. Auguste Angellier (1848-1911) est doyen de la Faculté des lettres de 1897 à 1900, puis titulaire de la chaire de littérature anglaise. http://fr.wikipedia.org/wiki/Auguste_Angellier []
  14. http://www.univ-lille3.fr/culture/collections-patrimoniales/livres-manuscrits/fonds-agache-desmedt/ La Donation Agache-Desmedt : manuscrits et livres anciens : Bibliothèque interuniversitaire de Lille, Section droit-lettres… [à l’occasion du] 101e Congrès national des sociétés savantes, Lille, mars 1976, Villeneuve d’Ascq, Bibliothèque universitaire, 1976. []

Lire aussi sur Insula :

Citer ce billet

Isabelle Westeel, « Il est difficile de compter les livres dans une bibliothèque », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 29 mars 2013. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2013/03/29/compter-les-livres/>. Consulté le 21 November 2024.