Le 12e volume de « Six et Plouvain ».
La réserve patrimoniale des universités lilloises, conservée à la bibliothèque universitaire de Lille 3, possède l’unique exemplaire disponible du 12e volume de « Six et Plouvain » ou Recueil des édits, déclarations, lettres patentes, etc : enregistrés au Parlement de Flandres. Isabelle Westeel nous restitue pas à pas la recherche entreprise pour reconstituer l’origine éditoriale de cet important ouvrage et expliquer sa présence exceptionnelle dans le fonds des universités lilloises.
Un unicum
Un unicum est l’ « unique exemplaire conservé d’une édition unique » (Dictionnaire encyclopédique du livre [3], N-Z, sous la dir. De Pascal Fouché, Daniel Péchoin, Philippe Schuwer)1.
En janvier 2014, Mme Véronique Demars, professeur d’histoire du droit à l’université Lille 2, me contacte au sujet d’un « bug » dans PôLiB2, la bibliothèque numérique des trois universités lilloises. Le 12e volume de « Six et Plouvain »3 [Recueil des édits, déclarations, lettres patentes, etc : enregistrés au Parlement de Flandres ; des arrêts du Conseil d’État particuliers à son ressort ; ensemble des arrêts de réglements rendus par cette cour, depuis son érection en conseil souverain à Tournay. Dédié à Mgr Hue de Miromesnil, Garde des Sceaux de France, Douay, Impr. De Derbaix, 1785-1790 – n° d’inventaire 10.436] est incomplet. Les pages 241 à 320 ne semblent pas avoir été numérisées. Ce volume très rare ne se trouve ni au Centre d’Histoire Judiciaire de Lille 2, ni aux Archives départementales du Nord, ni à l’Université de Gand.
Une vérification est faite sur l’exemplaire conservé dans la réserve patrimoniale. Ce n’est pas la numérisation qui est fautive mais l’exemplaire qui est incomplet : il a été relié sans les cahiers h à r. On passe d’un arrêt du 9 mars 1695 (n° 1978 p. 240 soit p. 244 dans la numérisation) à la fin d’un arrêt du 16 avril 1712 (p. 321 ; cette fin d’arrêt est suivie, sur la même page 321, d’un arrêt du 10 décembre 1713, n° 2029). Il manque donc 2029 – 1978 = 51 arrêts. L’exemplaire et sa numérisation sont donc lacunaires. Serait-il possible de trouver un volume 12 dans d’autres établissements pour combler cette lacune ? De nombreux catalogues de bibliothèques sont consultés sans pouvoir repérer un 12e volume du Recueil des édits… Il convient cependant d’être prudent car les notices bibliographiques peuvent parfois être fautives et/ou imprécises, en particulier les notices issues de programmes de conversion rétrospective des catalogues. Un grand nombre de catalogues mentionnent 11 volumes ou moins.
Pourquoi ce 12e volume est-il si important ?
« Ce tome 12 du recueil de Six et Plouvain ou Recueil des édits, déclarations, lettres patentes, etc : enregistrés au Parlement de Flandres est très important car il réunit, de manière assez complète, semble-t-il, les arrêts de règlement du parlement de Flandre depuis sa création (il n’était alors que conseil souverain de Tournai) jusqu’en 1784 soit pratiquement jusqu’à sa suppression par la Révolution. Les arrêts de règlement – parfois qualifiés « d’ordonnances de la Cour » – étaient des décisions solennelles de portée générale rendues par une cour souveraine et liant les juridictions inférieures de son ressort. Ces décisions sont donc particulièrement intéressantes or il est très difficile d’en retrouver la trace dans les archives du parlement de Flandre : un seul registre, contenant les « ordonnances de la Cour » de 1668 à 1692, est parvenu jusqu’à nous et, pour retrouver les autres arrêts de règlement, il faudrait dépouiller de manière systématique les innombrables liasses et registres d’arrêts de la Cour soit se livrer à un véritable travail de Titan pour un résultat aléatoire. » [Véronique Demars]
Une recherche en ligne permet de consulter l’ouvrage de Plouvain, Souvenirs à l’usage des habitans de Douai… jusques et inclus l’année 1821, Douai, 1822 (reprint en 1977) numérisé par Google Books. Aux pages 476-477, on trouve cette indication : « L’impression de cet ouvrage in-4° a été commencée en 1785, par Jean-Pierre Derbaix. Onze volumes étaient publiés ; le 12e était même achevé, et l’impression de la table des matières très avancée, quand, en 1792, il fallut tout arrêter, tout détruire. Il ne reste que les tierces de ce 12e volume ; elles étaient entre les mains de M. Plouvain, qui allait terminer la table des matières : il a déposé le manuscrit de cette table à la bibliothèque publique de cette ville pour faciliter les recherches qu’on aurait besoin de faire dans le corps de l’ouvrage. »
Une recherche dans le Catalogue collectif de France4 (CCFr), onglet Manuscrits puis CGM, permet d’en savoir plus sur le manuscrit de la table des matières conservé à la bibliothèque municipale de Douai. Il porte la cote « ms 671 »5. La notice permet une analyse complémentaire. La manuscrit comprend trois parties : 1° « Avertissement destiné à être mis en tête du XIIe volume ; cet avertissement est inédit ; il ne se trouve pas en tête de l’exemplaire du tome XII possédé par la bibliothèque de Douai », 2° « Table chronologique des ordonnances et arrêts de règlement… contenus dans le 12e volume ». Elle ne s’y trouve pas non plus, 3° La troisième partie correspond à la « Table analytique des matières … » de 62 pages (numérotées de 1 à 62 = p. 879 à 943 de la numérisation). Cette table s’arrête au mot « Parlement ». La notice indique ensuite que tous les exemplaires prêts à être imprimés ont été détruits en 1792 à cause des menaces de la Société populaire mais qu’il subsistait des ultimes épreuves ou tierces qui ont servi à faire les deux seuls exemplaires imprimés qui existent : celui conservé dans la bibliothèque de M. le comte de Guerne, et celui que la bibliothèque publique de Douai a acheté, en 1860, à la vente des livres de M. le président Bigant.
Une recherche dans l’ouvrage de Plouvain Notes historiques relatives aux offices et aux officiers de la cour de parlement de Flandres, Douai, 18096 (numérisé sur PôLiB) permet d’en savoir un peu plus sur le comte de Guerne : il appartient à la célèbre famille Maloteau (il s’agit de François-Ferdinand-Henri-Joseph Maloteau de Guerne, né à Douai le 17 novembre 1749, reçu Conseiller au Parlement de Douai le 6 mars 1778, et président à mortier le 14 août 1789). Divers manuscrits provenant de la famille Maloteau seraient conservés à la bibliothèque municipale de Lille. Peut-être a-t-elle aussi reçu son tome 12 du Recueil de Six et Plouvain ? Vérification faite : les deux exemplaires du Recueil conservés à la bibliothèque municipale de Lille (cotés 67449 et 69037) comprennent bien 11 volumes (numérotation continue) et non 127.
L’exemplaire de la bibliothèque municipale de Douai présente-t-il la même « lacune » que celui de la réserve commune des universités lilloises. Jean Vilbas, conservateur responsable du fonds ancien de la bibliothèque municipale de Douai, est consulté. Cette édition ne se trouve ni dans le catalogue en ligne, ni en rayon, ni dans un registre d’inventaire qui classe par dates les impressions douaisiennes. Le répertoire d’Albert Labarre ne localise pas non plus d’exemplaire douaisien.
Il paraît très probable que l’exemplaire conservé à la bibliothèque de Douai à partir de 1860 soit arrivé dans les collections de l’université de Lille au moment du déménagement de l’université de Douai à Lille. Depuis 1791, le musée servait de dépôt aux bibliothèques de l’université et de la ville de Douai8. Les volumes ne comportent aucun cachet ou marque d’appartenance.
Nous n’avons pas retrouvé trace de l’exemplaire conservé dans la bibliothèque du comte de Guerne. La réserve patrimoniale conserve donc vraisemblablement le seul exemplaire (unicum) du volume 12 de « Six et Plouvain ».
Cette recherche passionnante a été menée avec Véronique Demars que je remercie.
- Paris, Éd. du Cercle de la Librairie, 2011, p. 920. [↩]
- http://polib.univ-lille3.fr/ En 2009, PôLiB a engagé la numérisation d’un corpus concernant les sources du droit dans le ressort du Parlement de Flandre en collaboration avec le Centre d’histoire judiciaire (UMR 8025 – Université Lille 2) et l’Université catholique de Lille. Le projet s’inscrit dans le programme de numérisation et de valorisation concertées en sciences juridiques, piloté par la Bibliothèque nationale de France et la Bibliothèque Cujas. [↩]
- http://polib.univ-lille3.fr/?q=fr/B590092101_000000010.436 Les noms de Six et Plouvain ne sont pas mentionnés dans l’ouvrage. Voir la notice de Véronique Demars sur Pierre-Antoine Plouvain dans PôLiB http://polib.univ-lille3.fr/documents/B590092101_000000013.894_COM.pdf. [↩]
- ccfr.bnf.fr [↩]
- http://ccfr.bnf.fr/portailccfr/jsp/index_view_direct_anonymous.jsp?record=eadcgm:EADC:D06A12667 [↩]
- http://polib.univ-lille3.fr/?q=fr/B590092101_000000013.894 [↩]
- Merci beaucoup à Laure Delrue, conservateur à la bibliothèque municipale de Lille, pour cette vérification. [↩]
- Introduction du catalogue général des manuscrits, Douai sur le CCfr http://ccfr.bnf.fr/portailccfr/jsp/local/ead/view/eadcgm_introduction_popup_view.jsp?recordId=eadcgm:EADI:FRCGMBPF-591786101-01a.xml. Merci à Françoise Bruno. [↩]
Lire aussi sur Insula :
Isabelle Westeel, « Un « unicum » dans le fonds patrimonial des universités lilloises », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 14 avril 2014. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2014/04/14/un-unicum-dans-le-fonds-patrimonial-des-universites-lilloises/>. Consulté le 21 November 2024.
Zone de commentaires.
1 commentaires sur Un « unicum » dans le fonds patrimonial des universités lilloises