À l’automne 1974, la plupart des services et des enseignements de l’université Lille 3 sont déménagés de Lille et installés dans les nouveaux bâtiments de Villeneuve d’Ascq. Lille 3 accueille alors un grand nombre de bibliothèques dans ses murs. Cette histoire des bibliothèques de composantes à l’université Lille 3 est le reflet d’une réalité de l’université française, parfois encore vivace, malgré les incitations à résorber la dispersion documentaire des campus.
Version mise à jour le 28 novembre 2014.
Sommaire
- Recensement et localisation des bibliothèques d’UER en 1974
- Description des bibliothèques d’UER : un espace de travail ; les fonds documentaires
- Gestion des bibliothèques d’UER : enseignants ; bibliothécaires ; moniteurs étudiants
- En conclusion
En 1974, les universités Lille 2 et Lille 3 situées dans le centre de la ville de Lille déménagent et prennent leurs quartiers sur le campus « Pont-de-Bois » (encore appelé « Flers » dans le Guide des études 1974-1975) à Villeneuve d’Ascq. Le domaine universitaire littéraire et juridique regroupe alors, dans deux ailes distinctes, l’université de droit (Lille 2) et l’université de Sciences humaines, lettres et arts (Lille 3). La bibliothèque interuniversitaire, quant à elle, déménage dans un bâtiment séparé, au centre du campus.
Outre la Bibliothèque interuniversitaire, l’université Lille 3 transfère de Lille à Villeneuve d’Ascq ses bibliothèques d’unités d’enseignement et de recherche (UER)1. Le Guide des études 1974-1975 recense une dizaine de bibliothèques réparties aux divers étages de l’université.
Recensement et localisation des bibliothèques en 1974
Les premières pages du Guide des études 1974-1975 donnent la localisation des principaux services présents dans les bâtiments de Lille 3, en particulier les bibliothèques. Pour permettre aux usagers et visiteurs de Lille 3 de se repérer dans les divers ailes du bâtiment conçu par Pierre Vago, des couleurs sont attribuées aux couloirs, appelés « bâtiments ».
Dans le « bâtiment » vert, se trouvent :
- Bibliothèque d’archéologie et d’histoire de l’art (RdeC)2 ;
- Bibliothèque des Mathématiques, Sciences économiques et Sociales (RdeC) ;
- Bibliothèque de langues anciennes (1er étage) ;
- Bibliothèque d’histoire (1er étage) ;
- Bibliothèque d’Italien, de Russe et langues slaves (1er étage).
Dans le « bâtiment » bleu, se trouvent :
- Bibliothèque Angellier (anglais, RdeC) ;
- Bibliothèque Albert-Marie Schmidt (Lettres modernes, RdeC) ;
- Bibliothèque d’allemand (RdeC).
Dans le « bâtiment » jaune, se trouvent :
- Bibliothèque d’espagnol (1er étage) ;
- Bibliothèque Polonais (1er étage) ;
- Bibliothèque d’hébreu (1er étage) ;
- Bibliothèque de philosophie (2e étage).
Le Guide mentionne également, sans localisation, une Bibliothèque de psychologie.
Dans un entretien qu’il nous a accordé, Gérard Losfeld, qui fut professeur de grec, rapporte que la Bibliothèque de Langues anciennes est le premier service à avoir déménagé sur le nouveau campus de Lille 3. Une entreprise spécialisée dans les déménagements de bureau s’occupant et de la mise en carton et du transfert des ouvrages. L’UER de Langues anciennes se situe alors à l’entrée immédiate de la porte principale de l’université, au niveau du forum (1er étage sur les plans), dans le « bâtiment » vert.
La liste déjà longue des bibliothèques qui apparait dans les premières pages du Guide des études 1974-1975 est cependant incomplète, ne recensant que les structures les plus importantes des UER implantées sur le nouveau campus. Certaines composantes détaillent plus précisément leur offre documentaire.
Au chapitre consacré à la linguistique française et les sciences des littératures (UER alors couramment appelé « Lettres modernes »), il est ainsi fait mention de la Bibliothèque Albert-Marie Schmidt, du nom du spécialiste du XVIe siècle et de la Renaissance de la Faculté de Lille, décédé accidentellement en 1966, mais également de deux autres bibliothèques :
La bibliothèque porte le nom de Bibliothèque Albert-Marie Schmidt. Une petite bibliothèque annexe est à la disposition des étudiants du 1er Cycle. Une bibliothèque spécialisée existe pour la Littérature comparée et l’Histoire littéraire générale.
En langues anciennes, il faut également compter avec la bibliothèque du Centre de recherches philologiques de Jean Bollack. Faute de place dans la Faculté des lettres de Lille, la bibliothèque du Centre se trouvait dans les bâtiments de l’ancienne école de chimie voisine3. Avec le déménagement, le Centre de recherche philologique obtient un véritable espace avec un secrétariat, des bureaux et une bibliothèque distincte de celle de l’UER de langues anciennes4.
La situation de ce morcellement des fonds documentaires pour une même discipline existait déjà dans les locaux lillois5. L’université ayant plus d’espaces suite au déménagement à Villeneuve d’Ascq, ce morcellement s’est parfois accentué. Ainsi, le fonds d’égyptologie, d’abord associé à celui d’histoire ancienne rue Angellier, est-il ensuite transféré dans une bibliothèque indépendante d’égyptologie née de l’apport important du fonds de Jacques Vandier6. La bibliothèque d’égyptologie demeure rue Angellier à Lille, avant de déménager sur le campus Pont-de-Bois à la fin de l’année 19827. Lors du déménagement à Villeneuve d’Ascq, une bibliothèque gérée par le Goethe Institut est créée à côté de la bibliothèque d’études germaniques8.
Le déménagement n’a donc pas remis en cause l’existence de bibliothèques « de proximité » — bien au contraire — et ne semble pas avoir créé de grands bouleversements dans la structuration des bibliothèques d’UER. Notons qu’une Bibliothèque de géographie mentionnée dans le bâtiment de l’ancienne Faculté des Lettres de Lille disparait dans les nouveaux bâtiments de l’université Lille 3 à Villeneuve d’Ascq. La géographie est en effet désormais enseignée à l’université Lille 1. La Bibliothèque d’italien, qui est encore distincte rue Angellier à Lille9, est regroupée avec la Bibliothèque de russe et langues slaves à Villeneuve d’Ascq, au moins dans l’intitulé de cette dernière : une bibliothèque de section d’italien est en effet toujours mentionnée indépendamment dans les guides ultérieurs et ne rejoint effectivement la Bibliothèque d’études romanes, slaves et orientales que huit ans plus tard, en 198210.
Description des bibliothèques d’UER
Le Guide des études 1974-1975 est avare de renseignements sur les bibliothèques des UER. Il faut attendre les Guides suivants pour obtenir quelques détails, d’ailleurs très disparates, sur le fonctionnement de certaines d’entre-elles.
Un espace de travail
Le déménagement vers Villeneuve d’Ascq permet à certaines bibliothèques de s’équiper. Gérard Losfeld se souvient que « le déménagement a profité de crédits spécifiques, de matériel surtout. (…) La bibliothèque fut installée avec son nouveau matériel (étagères, tables etc…) ». À cette occasion, les étagères métalliques viennent remplacer les armoires en bois dans la bibliothèque de langues anciennes.
On comprend à la lecture des Guides des années 70 que l’accès à la bibliothèques est parfois réservé aux enseignants et étudiants de l’UER dont elle dépend. Mais il est vrai que, même quand elles sont ouvertes à tous les étudiants de l’université, les étudiants s’aventurent alors rarement dans les bibliothèques des autres UER que la leur. Gérard Losfeld et François Hinard en font le constat, pour le regretter, dans leur Introduction bibliographique pour l’étude de l’Antiquité publiée par l’UER de Langues anciennes de Lille 3 en 1976 :
« Nous avons eu l’occasion de constater que la circulation des étudiants entre les différentes bibliothèques d’UER était pratiquement nulle ce qui revient à dire qu’il n’existe, pour un étudiant, que deux possibilités de se procurer ou de consulter un ouvrage :
la bibliothèque de l’UER à laquelle il est rattaché
la Bibliothèque Universitaire. »
Le catalogue commun aidera, vingt ans plus tard, à identifier les fonds de chaque bibliothèque de composante et de favoriser ainsi leur connaissance au-delà du périmètre de l’UFR.
Les bibliothèques sont considérées autant − sinon plus − comme des espaces de travail que comme des lieux offrant de la documentation. Alain Deremetz, professeur de latin, se souvient que la bibliothèque de langues anciennes de la rue Angellier est très fréquentée : « c’était notre seul lieu de travail individuel et collectif » rappelle t-il. Philippe Rousseau, professeur de grec, préfère lui aussi la bibliothèque à son bureau comme espace de travail.
Situées à proximité des salles de cours et des bureaux des enseignants, les bibliothèques sont considérées comme des lieux de sociabilité de l’UER, des espaces à taille plus familière et moins impersonnels que ceux de la BU, où toutes les années d’étudiants et les enseignants d’une même discipline peuvent cohabiter, ce qui est encore une réalité aujourd’hui dans certaines bibliothèques11.
La bibliothèque de l’UER Angellier (Langue, littérature et civilisation des pays anglophones) est décrite comme comportant une salle de travail libre. La bibliothèque de l’UER d’études germaniques « offre à tous les étudiants de l’UER qui le désirent son local pour travailler et ses livres ». La Bibliothèque Albert-Marie Schmidt (lettres modernes) « offre à tous les étudiants de l’UER un service de prêt gratuit et un local de travail ».
Certaines bibliothèques ne possèdent pas de locaux proprement-dits. Jean Celeyrette se souvient qu’il n’existe pas de bibliothèque pour l’UER de « Mathématiques, sciences économiques et sociales » mais que les livres sont entreposés dans son bureau de directeur de l’UER. En psychologie, Pascal Sockeel rapporte qu’il existe un local « mais la plupart du temps les lecteurs empruntaient les ouvrages et on peut dire qu’à l’époque il s’agissait plutôt d’un magasin »12.
Les horaires sont rarement renseignés dans les Guides. L’affichage sur la porte de la bibliothèque est encore le meilleur moyen pour l’usager de les connaître.
Le Guide des études 1974-1975 signale que la bibliothèque de Philosophie est ouverte « selon un horaire affiché en début d’année universitaire ». Dans les Guides suivants on apprend que la bibliothèque de l’UER Angellier est ouverte de 9h à 17h sans interruption. L’UER d’études romanes, sémitiques, slaves et hongroises fait état de l’existence d’une bibliothèque d’hébreu « ouverte tous les après-midis ». La Bibliothèque Albert-Marie Schmidt est ouverte du lundi au jeudi, de 9h à 18h et le vendredi de 9h à 13h.
Les fonds documentaires
En 1976, Gérard Losfeld et François Hinard peuvent écrire en préface de leur Introduction bibliographique pour l’étude de l’Antiquité publiée par l’UER de Langues anciennes de Lille 3 :
« Mises côte à côte, les bibliothèques de nos UER constituent un véritable trésor bibliographique qu’il faut savoir utiliser ».
Les bibliothèques n’ont cependant pas encore toutes, dans les années 70, de fonds documentaires importants. Un témoin de l’époque nous a ainsi rapporté que la bibliothèque d’histoire ancienne, d’histoire de l’art et archéologie ne contenait que quelques usuels. La très jeune UER de mathématiques n’a encore que peu de livres en informatique et mathématiques à proposer13. On y trouve généralement les usuels et les manuels de base liés aux disciplines enseignées, mais certaines bibliothèques sont déjà décrites comme « riches », ou « assez riches », voire destinées à la recherche…
L’UER Angellier (Langue, littérature et civilisation des pays anglophones) précise que le fonds de la bibliothèque n’est pas en libre accès et que l’on peut y consulter « des ouvrages de référence ». Au chapitre concernant l’UER des Arts, il est noté que « la Bibliothèque A.M. Schmidt propose de nombreux ouvrages sur le cinéma et la télévision. On peut y consulter des revues ; c’est aussi le cas de la Bibliothèque Universitaire ». La bibliothèque d’hébreu est « assez riche » et offre la consultation d’un fichier qui « indique les livres existant dans les différentes bibliothèques de Lille, sur la Bible, l’Histoire juive et la Langue Hébraïque ». Distincte de la bibliothèque d’études germaniques se trouve une bibliothèque-salle de lecture du Goethe Institut de Lille, « où tout étudiant qui le désire peut consulter tout ouvrage sur l’Allemagne contemporaine ainsi qu’un grand nombre de quotidiens et périodiques de langue allemande ». La Bibliothèque Georges Lefebvre du Centre d’histoire de la région du Nord est décrite comme « surtout destinée à la Recherche, (…) riche en ouvrages sur la Région du Nord, possède les revues et les mémoires de maîtrise soutenus en Histoire ».
Le fonds de psychologie est constitué des mémoires et thèses, des ouvrages fondamentaux couvrant la totalité des champs de la psychologie, auxquels s’ajoutent des manuels de mathématiques, de statistiques et de biologie — essentiellement psychophysiologie — ainsi que des périodiques, pour moitié de langue anglaise14.
Pour les langues anciennes, Philippe Rousseau signale que le fonds s’est développé après 1968 pour donner aux étudiants les manuels utiles à leur étude, mais que la politique d’achats s’est orientée également vers la recherche pour permettre aux étudiants d’accéder aux outils importants, au-delà des seuls « Budés ». C’est ainsi que la bibliothèque achète de nombreux ouvrages étrangers et c’est dans ce cadre que Pierre Reboul, doyen de la Faculté de 1959 à 1969, accorde une aide substantielle pour permettre l’acquisition de la Pauly-Wissowa et du Roscher. Par ailleurs (autre temps, autres mœurs), certains ouvrages non disponibles à l’achat sont photocopiés par la bibliothécaire et viennent compléter les collections pour être mis à la disposition des lecteurs15.
En mai 1974, à l’occasion des vingt-cinq ans de la Section de néerlandais à l’université de Lille, Walther Thys, Maître de conférences associé à Lille, ne manque pas de signaler la bibliothèque de néerlandais, telle qu’elle est alors rue Angellier16 :
« On ne saurait organiser une manifestation pour fêter le 25e anniversaire de la section de néerlandais à l’université de Lille en oubliant la bibliothèque qui forme la base de cet enseignement. (…) La bibliothèque de néerlandais, au 4e étage de ce bâtiment, comporte quelque 4000 livres, une collection variée de revues, de disques et de cours sur bande magnétique. C’est pour une grande partie le résultat de subventions régulières de l’université. Mais la section de néerlandais est aussi fortement soutenue par les gouvernements néerlandais et belge ».17
Le Guide 78/79 mentionne également la constitution d’une bibliothèque pour l’Institut de papyrologie et d’égyptologie, alors dirigé par Jean Vercoutter :
« Classement, cataloguage [sic] et rangement d’une bibliothèque d’environ 6000 volumes concernant essentiellement l’égyptologie et la papyrologie, ainsi que l’art, léguée à l’Institut par l’égyptologue Jacques Vandier, ex-conservateur en chef du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre. Cette bibliothèque, une fois rendue utilisable, ne pourra qu’entraîner une recrudescence de la recherche égyptologique à Lille et le développement de l’Institut. »
Gestion des bibliothèques d’UER
Pour s’occuper des bibliothèques, on trouve trois acteurs : les enseignants, les bibliothécaires et les moniteurs étudiants.
Les enseignants responsables
Le fonctionnement des bibliothèques d’UER est souvent lié à des enseignants. Il vaut qu’on s’y arrête car cette relation ténue est sans doute la force des bibliothèques « de composantes », à l’origine de la richesse et de l’adéquation de leurs fonds avec les enseignements proposés par l’UER, ainsi que de leur pérennité au sein du Service commun de la documentation de Lille 3.
La place des enseignants-chercheurs dans la gestion des bibliothèques se fait généralement par le choix et la commande des livres, surtout quand il n’y a pas de personnel attitré pour les bibliothèques, comme c’est le cas avec l’UER de mathématiques18, ou que ces dernières sont gérées par des bibliothécaires non spécialistes des disciplines de leurs fonds. Philippe Rousseau se souvient d’avoir dépouillé de nombreux catalogues pour établir les commandes de livres, qu’il propose alors à la Bibliothèque universitaire, à la bibliothèque de langues anciennes et à celle du Centre de recherches philologiques, selon les politiques d’achats de chacune. Ce sont également des enseignants-chercheurs qui établissent parfois les premiers plans de cotation des ouvrages, voire réalisent les cotes à la plume Sergent-Major19 ou, comme pour l’UER de Langues anciennes, rédigent un guide bibliographique pour aider les étudiants à s’y retrouver avec la documentation disponible.
Hélène Catalan, qui est devenue responsable de la bibliothèque d’espagnol en 1975, rappelle ainsi le rôle majeur tenu par Monique Joly, enseignante d’espagnol, dans la création de la bibliothèque après 1968. En 1974, deux enseignants sont responsables de la bibliothèque de philosophie : MM. Almaleh et Kirscher. En histoire, ils sont quatre : MM Delmaire et Guignet, MM Segond et Reboul. M. Pierre Coustillas, directeur-adjoint de l’UER Angellier, a la bibliothèque dans ses attributions. En Langues anciennes, ce sont Gérard Losfeld et René Leclercq qui sont les enseignants référents de la Bibliothèque (Guide 1974-75), puis Gérard Losfeld et François Hinard (Guide 1976/77)20.
Gérard Losfeld résume ainsi le rôle des enseignants dans la bibliothèque de l’UER de Langues anciennes :
« François Hinard pour le latin et moi pour le grec avions une décharge horaire d’une heure pour nous occuper de la gestion de cette bibliothèque. Compte tenu du manque de compétence en langues anciennes des bibliothécaires, notre rôle consistait à déterminer les achats à effectuer, à signaler les libraires à contacter, à indiquer les cotes de catalogage. La gestion strictement financière ainsi que la réception des livres se faisant au niveau des Services centraux.
À vrai dire notre rôle fut parfois important car, dans cette décennie, il y eut de graves défaillances du côté de la BU, qui n’avait pas assez de crédits pour effectuer les achats indispensables. L’Université y pourvoyait en abondant de « crédits bibliothèques » importants : ceci était d’ailleurs une politique largement voulue par l’UFR de Langues anciennes. Notre politique d’achat, que nous avons assez vite coordonné avec la bibliothèque d’histoire ancienne — alors indépendante — et, dès que la situation fut redevenue normale, avec la BU, favorisait l’acquisition de textes et commentaires et des ouvrages généraux considérés comme indispensables, la Pauly-Wissowa par exemple. À cet égard, la rédaction de notre « Guide bibliographique », fut le moyen de penser le choix des livres à acquérir. (…) Je dois préciser que les diverses étapes de la constitution de cette bibliothèque ont été marquées par l’engagement intellectuel et même physique (lors de réaménagements de rayons par exemple) de plusieurs de nos collègues. »
La situation lilloise est largement partagée en France. Le rapport Miquel sur les bibliothèques universitaires, réalisé en 1989 et rendu au ministre de l’Éducation nationale, Lionel Jospin, souligne que si les enseignants-chercheurs entretiennent des relations privilégiées avec les bibliothèques de composantes, les liens entre les enseignants-chercheurs et la Bibliothèque universitaire centrale sont souvent distendus, ce qui fait la faiblesse de cette dernière. « Sur le plan symbolique, et politique, les bibliothèques « de recherche » symbolisent également le pouvoir des enseignants-chercheurs sur leur discipline, là où la bibliothèque universitaire est davantage perçue comme un lieu dévolu aux étudiants et confié à des professionnels, les bibliothécaires, avec lesquels la communication est parfois difficile » analyse Romain Le Nezet dans son mémoire de conservateur21.
Les bibliothécaires
En 1974, toutes les bibliothèques d’UER − même parmi les plus « importantes » − n’ont pas de bibliothécaires. L’UER de Langues anciennes est la seule à prendre soin de mentionner sa bibliothécaire dans le Guide des études 1974-1975. Il s’agit de Madame Uhin. Les Guides suivants − en particulier le Guide des études 1977-1978 et celui de l’année 1978-1979 − sont plus loquaces concernant les personnels des bibliothèques, les présentant parfois par des photographies.
En histoire il n’est pas mentionné de responsable pour la Bibliothèque Michelet mais une photographie représente Françoise Preux, bibliothécaire. Il n’est pas fait mention de responsable pour la Bibliothèque d’histoire de l’art et archéologie mais une collaboratrice technique : Mlle Rousseau. La Bibliothèque Georges Lefebvre du Centre de recherche a pour responsable Nadine Grain, avec pour bibliothécaire adjointe Martine Aubry. Pour les études anglophones, la Bibliothèque Angellier mentionne une collaboratrice technique, documentaliste, en la personne de Melle Deboulonne (Guide 1975/76) puis de Nicole Gabet (Guide 1977/78). Pour la Bibliothèque d’études germaniques sont mentionnées Mlle J. Loock et E. Delbart (Guide 1975/76) puis Annick Carlier et Edwige Delbart (Guide 1977/78). L’UER d’études romanes, sémitiques, slaves et orientales possède six bibliothèques (arabe, espagnol, hébreu, italien, polonais, russe et langues slaves). S’il n’est pas mentionné de responsable de bibliothèque pour cette UER, le guide est illustré du portrait d’Hélène Catalan, bibliothécaire. La bibliothèque de langues anciennes est tenue successivement par Mlle Uhin (Guide 1974/75), Mlle Ducornet (Guide 1975/76) puis par Ghislaine Menart (Guide 1977/78). La Bibliothèque Albert-Marie Schmidt de l’UER de Lettres modernes a Marie-Dominique Boucher comme responsable, dès le Guide 1975-76. La Bibliothèque de philosophie n’a pas de responsable mentionné. La bibliothèque de psychologie ne mentionne pas de responsable mais une photographie présente Pascal Sockeel comme bibliothécaire. Enfin, d’autres bibliothèques sont restées rue Angellier à Lille.
Peu à peu, au cours des années 70, les principales Bibliothèques d’UER ont des bibliothécaires. Si, en 1975, la bibliothèque d’études germaniques a deux bibliothécaires, une bibliothécaire et une « sous-bibliothécaire »22, la bibliothèque de philosophie fonctionne sans bibliothécaire jusqu’en 198523. Les bibliothécaires des bibliothèques d’UER sont souvent d’anciens étudiants de l’université, qui se forment au métier sur le tas ou obtiennent le Certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire. Le Cafb, créé en 1951, est réformé en 1960 pour sanctionner « la formation professionnelle des candidats qui se destinent à la gestion des bibliothèques de moyenne importance, et en particulier des bibliothèques municipales non classées, des bibliothèques d’instituts et de laboratoires, des bibliothèques d’établissements d’enseignement et des services de lecture publique » (arrêté du 26 juillet 1960).
En l’absence de bibliothécaire, ou pour les assister, l’UER finance l’emploi de moniteurs étudiants, en particulier pour assurer l’accueil de la bibliothèque.
Les moniteurs étudiants
Le Guide des études 1974-1975 précise pour la bibliothèque de l’UER de Philosophie que le service de prêts et de consultation des ouvrages de la bibliothèque est assuré par des moniteurs selon un horaire affiché en début d’année universitaire.
« Les étudiants désirant assurer la fonction de moniteur (rétribuée environ 2.500 F par an)24 sont priés de faire acte de candidature pour le 15 octobre auprès du Directeur de l’UER de philosophie » (Guide des études 1974-1975)
Gérard Losfeld se souvient que la bibliothèque de l’UER de langues anciennes a disposé au départ d’un gros contingent de moniteurs, au nombre de seize lui semble-t-il, « ce qui permettait d’ouvrir la bibliothèque en continu ». En psychologie, Pascal Sockeel note que « peu à peu il nous a fallu assurer un accueil régulier et j’étais chargé de m’entourer de moniteurs (étudiants de maîtrise) pour cette charge ».
Outre les activités de prêts et retours, les étudiants peuvent avoir d’autres responsabilités dans la bibliothèque (commandes, équipement, enregistrement), comme c’est le cas pour celle du Centre de recherches philologiques qui emploie des vacataires25. En psychologie, c’est un doctorant qui assure le suivi de la bibliothèque de recherche26.
Les moniteurs peuvent avoir également un rôle de tuteur dans la bibliothèque. Annick Béague, qui a été étudiante et monitrice à la bibliothèque des langues anciennes rue Angellier à Lille avant d’enseigner le latin à Lille 3, rapporte :
« Des moniteurs de bibliothèque, dont je fus, assuraient quelques heures de présence et avec le recul, j’ai le sentiment que nous pratiquions sans le savoir, ce que l’on appellera plus tard le tutorat des nouveaux étudiants par les anciens : je me souviens d’avoir fait réviser leurs déclinaisons aux « jeunes », de les avoir aidés à faire leur préparation en leur faisant découvrir les ressources des livres de la bibliothèque ; c’était de la véritable intégration au milieu des livres… »
En conclusion
L’histoire des bibliothèques de proximité (d’Instituts, de sections, d’UER, d’UFR, de Centres) est ancienne à Lille 3, comme l’a rappelé un autre billet d’Insula27. Ces bibliothèques contribuent à la richesse documentaire de l’université et au million d’ouvrages que possède aujourd’hui le Service commun de la documentation de Lille 3.
La création des bibliothèques est presque consubstantielle à l’existence des Unités de formation et de recherche de l’université. Cette longue histoire commune a installé les bibliothèques au cœur des habitudes et des usages des UFR, au grand dam sans doute des esprits centralisateurs, comme en témoignent encore récemment les préconisations de l’ADBU-EPRIST :
« En près de 30 ans, et malgré les incitations, encore renforcées en 2011, des textes réglementaires, il n’a pas été possible de résorber de façon significative la dispersion documentaire des campus (bibliothèques universitaires intégrées au SCD, BU des UFR, bibliothèques de laboratoire) »28.
Quarante ans après le déménagement de l’université Lille 3 sur le campus de Villeneuve d’Ascq, les témoins de cette période font aujourd’hui valoir leurs droits à la retraite, en particulier quatre collègues de bibliothèques cités ici. Ce billet sur les bibliothèques de l’université Lille 3 en 1974 est écrit pour que leurs successeurs et les usagers aient la curiosité d’en savoir plus sur ces bibliothèques « de composantes » qui ont contribué à la formation et à la recherche de générations d’étudiants et de chercheurs.
Ce billet brosse à grands traits l’existence des bibliothèques d’UER. Nous avons le projet de rédiger d’autres billets plus spécifiques. Je remercie les personnes qui ont bien voulu me donner leur témoignage pour la réalisation de ce billet, en particulier : Annick Béague, Annick Carlier, Hélène Catalan, Jean Celeyrette, Alain Deremetz, Maryse Dubus, Gérard Losfeld, Marie-Claude Moreau, Philippe Rousseau, Pascal Sockeel, Florence Thill.
- Les actuelles UFR ont remplacé les UER suite à la loi du 26 janvier 1984 dite « loi Savary » [↩]
- Cette bibliothèque comprenait plus exactement l’histoire ancienne, l’histoire de l’art et l’archéologie. [↩]
- Philippe Rousseau, professeur de grec, se souvient d’une grande salle entourée de placards vitrés où étaient rangés les livres. [↩]
- Témoignage de Philippe Rousseau le 25 novembre 2014. [↩]
- En 1973-1974, pour ne prendre qu’un exemple, l’UER d’Histoire mentionne pour la rue Angellier à Lille une bibliothèque consacrée à l’histoire médiévale, moderne et contemporaine, une bibliothèque consacrée à l’histoire ancienne et l’archéologie, une autre consacrée à l’histoire de l’art, une autre consacrée à la paléographie médiévale, ainsi que la Bibliothèque du Centre régional d’études historiques. Enfin, une bibliothèque d’histoire est située à Annappes pour les étudiants de 1er Cycle. En effet, entre le déménagement de la rue Angellier à Lille et le nouveau campus de « Pont-de-Bois », des bibliothèques ont eu une antenne délocalisée au Centre universitaire scientifique de Lille-Annappes, où se tiennent certains cours, faute d’un nombre de places suffisant dans les locaux de Lille. [↩]
- Témoignage de Florence Thill le 5 novembre 2014. [↩]
- Idem. [↩]
- Témoignage d’Annick Carlier, responsable de la bibliothèque d’études germaniques à Lille 3 de 1975 à 2014, le 20 novembre 2014. [↩]
- Guide des études 1973-1974 p. 7. [↩]
- Témoignage d’Hélène Catalan, responsable de bibliothèque à Lille 3 de 1975 à 2014. [↩]
- Même si, comme nous l’a confié une ancienne étudiante de langues anciennes, la bibliothèque de l’UER pouvait intimider les premières années qui estimaient qu’elle était plus destinée aux étudiants avancés et aux enseignants. Témoignage de Marie-Claude Moreau. [↩]
- Témoignage de Pascal Sockeel le 28 novembre 2014. [↩]
- L’UER est née de la création de l’université Lille 3 en 1968. Jean Celeyrette se souvient que l’UER est née avec un seul enseignant, lui-même, et un informaticien en 1970. [↩]
- Témoignage de Pascal Sockeel. [↩]
- Marie-Dominique Boucher était alors responsable de la bibliothèque des langues anciennes avant de prendre la responsabilité de celle de lettres modernes. Témoignage de Philippe Rousseau le 25 novembre 2014. [↩]
- L’existence d’une bibliothèque de néerlandais à Villeneuve d’Ascq est attestée dans le Guide des études 76/77. [↩]
- 25 ans d’études néerlandaises à Lille : actes des Journées du néerlandais 7-8-9 mai 1974, Université Lille 3, 1974, p. 21. [↩]
- Témoignage de Jean Celeyrette, Directeur de cette UER en 1974. [↩]
- Témoignage de Philippe Rousseau concernant la cotation du centre de recherches philologiques. [↩]
- À noter que les Langues anciennes se distinguent à l’orée des années 80 en associant une étudiante de l’UER à l’équipe enseignante chargée de la responsabilité de la bibliothèque. [↩]
- Le rapport Miquel : étude et bilan d’une politique de redressement des bibliothèques universitaires. Diplôme de conservateur de bibliothèque, enssib, 2009. [↩]
- Témoignage d’Annick Carlier le 20 novembre 2014. [↩]
- Témoignage de Florence Thill, première bibliothécaire à la bibliothèque de philosophie. [↩]
- D’après l’INSEE, et compte tenu de l’érosion monétaire due à l’inflation, le pouvoir d’achat de 2500 francs en 1974 est le même que celui de 1901,04 euros en 2013. [↩]
- Témoignage de Philippe Rousseau le 25 novembre 2014. [↩]
- Témoignage de Pascal Sockeel : « Mon premier contrat à Lille 3 date d’octobre 1976 sur un poste de « contractuel bibliothécaire » pour l’UER de psychologie. Celui-ci n’a duré qu’un an, pour laisser la mise en disponibilité à un collègue du poste de technicien « 1B type CNRS » qu’il occupait et que j’ai repris ensuite.
Le poste de travail était essentiellement celui de « technicien de laboratoire » puisqu’en psychologie se développaient les techniques de mesures psychométriques et psychophysiologiques comme la chronométrie mentale, par exemple. En parallèle j’étais inscrit en doctorat … Néanmoins, jusqu’en 1984 – date à laquelle je suis passé du coté « enseignant » – j’ai assuré le suivi de notre bibliothèque de recherche [↩] - Isabelle Westeel, « Les bibliothèques d’instituts et de laboratoires de l’université de Lille », Insula [En ligne], mis en ligne le 9 décembre 2013. URL : https://insula.univ-lille3.fr/2013/12/bibliotheques-instituts-laboratoires-universite-de-lille/. [↩]
- Journée ADBU 2014, le 3 septembre 2014. « Politiques de sites et IST : les préconisations ADBU – EPRIST ». URL : http://adbu.fr/actualites/politiques-de-sites-et-ist-les-preconisations-adbu-eprist. Consulté le 27 octobre 2014. [↩]
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « Les bibliothèques d’UER de l’université Lille 3 en 1974 », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 26 novembre 2014. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2014/11/26/bibliotheques-universite-lille-3-en-1974/>. Consulté le 7 October 2024.
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