Pourquoi étudier la tradition classique ?

« Para qué la tradición clásica » est un texte de Francisco García Jurado, publié en février 2015 sur le blog « Reinventar la Antigüedad ». La traduction française inédite publiée sur « Insula » est réalisée par Marguerite-Marie Flichy, étudiante en Master « Traduction Spécialisée Multilingue » – TSM, de l’Université Lille 3.


Mon domaine de prédilection est la philologie latine et, de façon plus générale, les études classiques. À ce stade de ma vie, je crois que nous ne choisissons pas ce que nous finissons par étudier, mais que ce sont les thèmes de recherche eux-mêmes qui viennent nous chercher. La relation de la littérature antique avec les littératures modernes est ce qui, d’aussi loin que je me souvienne, m’intéresse le plus dans tous mes domaines de recherche. Mais n’oublions pas que nous-mêmes, par le simple fait d’étudier le passé, faisons déjà partie de cette relation.

Lien vers le texte original : clasicos.hypotheses.org/1098

La discipline que nous connaissons sous le nom de « tradition classique », n’a pas plus de 140 ans. Elle est née dans des conditions bien précises, surtout lorsque cette longue chaîne culturelle de la tradition gréco-latine a commencé à se désagréger en faveur d’autres traditions, comme les traditions moderne et populaire. Peu après la seconde Guerre Mondiale, et grâce à Gilbert Highet, la discipline a atteint sa maturité académique. En Espagne, de telles études se sont généralisées peu à peu, particulièrement dans le dernier quart du XXe siècle. Il est naturel de voir d’un meilleur œil les disciplines que nous étudions, mais ce qui nous interpelle, c’est la façon dont certains collègues méprisent ouvertement les études de ceux dont je viens de parler. Certains déconseillent même aux étudiants de suivre des enseignements dans des disciplines relevant de cette tradition, d’autres déclarent publiquement, y compris lors de jurys académiques, qu’ils éprouvent peu d’intérêt pour cette discipline. En réalité, plane l’idée que ceux qui cultivent la tradition classique discréditeraient ou contamineraient une certaine « pureté » associée aux études classiques. Mais tout n’est pas tout blanc ni tout noir, et il ne s’agit pas de défendre ou d’attaquer à outrance une discipline sans évaluer réellement de quoi nous parlons. Je me souviens maintenant comment, quelques jours après mon discours de clôture lors du IVe Congrès d’études classiques qui se tenait à l’Université nationale autonome du Mexique, une personne me félicitait par courriel, précisément en ces termes :

Je dois avouer que j’avais certains préjugés à propos
de la tradition classique, mais j’ai aimé vous écouter et cela m’a fait plaisir
que vous proposiez un renouvellement/une approche différente pour
ceux qui s’aventurent sur ces chemins. J’ai été très heureux également
d’apprendre que la tradition classique ne consiste pas uniquement à
compter le nombre de fois qu’apparaît un terme
« classique » (?) chez un auteur contemporain.

Ces quelques lignes sont intéressantes, peut-être pas autant pour leur description plus ou moins précise des études que pour la vision extérieure que l’on peut en avoir. Les études de tradition classique s’associent à la simple constatation et de nombreux travaux réalisés aujourd’hui continuent de suivre une méthodologie très certainement propre à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe siècle. Dans le cas de la tradition classique, il serait opportun que nous nous posions, comme point de départ, des questions fondamentales comme celles qui suivent : Pourquoi nous préoccupons-nous de la lecture qu’un auteur moderne a faite d’un auteur ancien ? Ou encore, qu’apporte cette lecture moderne à la meilleure compréhension non seulement de l’auteur moderne, mais aussi à celle de l’auteur ancien ? En particulier, il existe une véritable question clef qui peut répondre à beaucoup d’autres : comment s’établit la relation entre un auteur moderne et un auteur ancien ?

Normalement, le spécialiste de la tradition classique se contente de dévoiler certaines traces d’un auteur classique chez un auteur moderne, sans sentir la nécessité de réfléchir au-delà de cette constatation dont nous parlions plus haut. Ce qui est certain c’est que, depuis sa création en tant que discipline, à la fin du XIXe siècle, la tradition classique a fait un usage tacite d’une méthode d’étude qui peut être essentiellement considérée comme positiviste. Il s’agit d’un cadre méthodologique qui, en d’autres temps, avait des points communs avec d’autres disciplines, aussi bien dans l’esprit que dans les expériences. Concrètement, la littérature comparée et la tradition classique ont adopté, par défaut, la « méthode » par antonomase, c’est-à-dire celle que les théoriciens de la connaissance définissent comme « A en B ». « Goethe en France » ou « Horace en Espagne » constituent de bons exemples de cette méthode qui considère, par ailleurs, que la nature propre d’un auteur comme Goethe ou Horace est indépendante de la façon dont il est perçu dans tel ou tel pays (c’est-à-dire que « Horace est Horace » et la « façon dont il est perçu » est quelque chose d’ajouté ou de marginal, dans tous les cas). En ce sens, le positivisme se caractérise par le fait de considérer que les objets d’étude sont antérieurs à la méthode, quelle qu’elle soit, et que, par conséquent, leur analyse n’altère en rien l’essence de tels objets. Ceci étant dit, est-ce cela la mission des études actuelles sur la tradition classique ? La question reste ouverte.

Traduction réalisée par Marguerite-Marie Flichy,
étudiante du Master « Traduction Spécialisée Multilingue » – TSM, de l’Université Lille 3.

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alexandre

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Francisco García Jurado, « Pourquoi étudier la tradition classique ? », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 4 octobre 2016. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2016/10/04/pourquoi-etudier-la-tradition-classique/>. Consulté le 19 April 2024.