Prospection dans les collections de la bibliothèque universitaire SHS.
L’Université de Lille est riche d’une importante documentation relative à l’Antiquité ; la bibliothèque universitaire SHS du site Pont-de-Bois conserve, notamment, un fonds particulièrement intéressant de publications historiques et archéologiques du 19e siècle. S’y plonger, c’est revenir aux sources de certains événements marquants de l’histoire de l’art et de l’archéologie, comme par exemple la rocambolesque histoire de la découverte de la Vénus de Milo…
Pour Clément Potier
« A quoi servirait de la décrire ? Le peut-on ? Un seul coup d’œil la fait mieux connaître que nos paroles. Il faut la voir, la revoir encore, la contempler, et l’on sentira que tout ce qu’on pourrait en dire ne rendrait que faiblement l’impression que fait éprouver la vue de ces contours si nobles, si souples, si coulants, si animés : c’est Vénus tout entière brillante de jeunesse et d’attraits (…) » Comte de Clarac, 1821.
Les protagonistes
- la Vénus
- Yorgos Kentrotas, le propriétaire du champ
- Olivier Vouttier, officier de marine français
- Louis Brest, vice-consul de France à Milo
- Jules Dumont d’Urville, enseigne de vaisseau français sur La Chevrette
- Pierre Gauttier du Parc, capitaine de vaisseau français de La Chevrette
- le Marquis de Rivière, ambassadeur de France auprès de la Sublime Porte
- le Comte de Marcellus, secrétaire d’ambassade du Marquis de Rivière
- le comte Frédéric de Clarac, conservateur au Louvre
- Antoine Quatremère de Quincy, architecte et archéologue
- Bernard Lange, restaurateur du musée du Louvre
Les faits
8 avril 1820 : la statue est découverte fortuitement par un paysan, Yorgos Kentrotas, dans le champ où il travaille à l’extraction de pierres, sur l’île de Milos dans la mer Egée.
La découverte, qui s’accompagne de la mise au jour d’autres fragments antiques, suscite rapidement la curiosité alentour.
L’officier de marine Olivier Vouttier est un des premiers à voir la Vénus et il en informe Louis Brest, le vice consul de France à Milos.
Dans le même temps, Jules Dumont d’Urville, enseigne de vaisseau croisant sur un autre navire dans les mêmes eaux, rend lui aussi visite à la statue et alerte le marquis de Rivière, ambassadeur de France auprès de la Sublime Porte (pour mémoire, la mer Egée était alors sous domination ottomane).
Intrigué, le marquis de Rivière dépêche son secrétaire d’ambassade, le comte de Marcellus, sur l’île de Milos à bord du navire l’Estaffette (passé à la postérité pour avoir transporté la statue) ; il arrive le 20 mai 1820 à Milos, au moment où on embarque la Vénus, convoitée par un dignitaire ottoman.
Après quelques péripéties et de nombreuses tractations, Marcellus parvient à racheter la statue pour le compte de la France. La Vénus quitte Milos pour Constantinople, où elle est embarquée sur le navire la Lionne et accompagnée jusqu’à Toulon par le marquis de Rivière. Elle accoste en février 1821 en France et est offerte au roi Louis XVIII le 1er mars ; ce dernier la donne aussitôt au musée du Louvre, où elle passe entre les mains du conservateur de Clarac et du restaurateur Bernard Lange.
C’est l’ensemble de cette rocambolesque histoire que nous pouvons retracer dans les collections abritées dans le silo à livres de la bibliothèque universitaire du site Pont-de-Bois de l’Université de Lille…
Le récit de l’histoire
Le plus ancien témoignage imprimé sur la Vénus dans les collections universitaires est une brochure intitulée Sur la statue antique de Venus Victrix : découverte dans l’île de Milo en 1820, transportée à Paris et donnée au roi par M. le Marquis de Rivière, publiée chez Didot l’aîné en 1821, coté 10.824. Cette brochure, rédigée par le comte Frédéric de Clarac, est la première description officielle et muséographique de la statue.
Frédéric de Clarac était conservateur des antiquités et de la sculpture moderne du musée du Louvre depuis 1818 lorsque la Vénus de Milo vint rejoindre les collections du musée ; en 1821 Clarac venait d’achever son catalogue du Musée du Louvre (publié en 1820) et il a jugé pertinent de rédiger une notice spécifique pour cette nouvelle œuvre, en attendant la révision du catalogue qui n’interviendra qu’en 1830. Il s’en justifie d’ailleurs dans son opuscule : « Le musée royal ayant été enrichi de cette belle statue depuis la nouvelle édition de la description des antiques, elle n’a pas encore de numéro ; la place qu’elle occupe n’est même que provisoire, et elle attend qu’on lui en ait trouvé une place plus favorable au développement de toute sa beauté ».
La notice relate l’ensemble des péripéties de la découverte et de l’acheminement de la statue et en livre une description érudite et documentée, posant les bases des discussions scientifiques ultérieures autour de l’œuvre : identification, attribution, appartenance à un groupe de statues plus important, lien entre le haut et le bas du corps de la Vénus… sans oublier d’intéressantes considérations sur la manière de mener des fouilles archéologiques…
La notice est agrémentée d’une gravure en taille douce de Debay fils, que nous faisons figurer ici en illustration de ce billet : c’est le premier « portrait officiel » de la Vénus.
L’intérêt majeur de la notice de Clarac, c’est qu’elle suit immédiatement l’invention de la statue et que le conservateur du Louvre a pu échanger avec les différents protagonistes de l’histoire, et notamment Jules Dumont d’Urville, auteur des relevés épigraphiques faits sur le site de la découverte, mais que la postérité aura retenu comme un grand explorateur des pôles.
Clarac évoque également les échanges qu’il a pu avoir avec Antoine Quatremère de Quincy, alors professeur d’archéologique au cabinet des antiques de la Bibliothèque Nationale.
La bibliothèque universitaire possède le texte rédigé en 1836 par Quatremère de Quincy sur la Vénus, dans un Recueil de dissertations archéologiques, coté 97.811. Intitulé « Dissertation sur la statue antique de Vénus découverte dans l’île de Milo », l’article reprend de manière synthétique le récit de la découverte et de l’acheminement jusqu’au Louvre de la statue, non sans louer l’intervention du marquis de Rivière et du comte de Marcellus, dont « le zèle, l’adresse et l’activité » ont permis à la France d’acquérir l’œuvre. La dissertation de Quatremère de Quincy se veut avant tout une description détaillée de la pièce archéologique, mise en comparaison avec la Vénus Capitoline découverte à Rome dans les années 1670 et on note au passage que l’auteur s’oppose farouchement à une restauration « agressive » de la statue : « je pense que sans exclure quelques uns de ces petits raccords de détail, que quelques parties nécessitent, la statue doit rester dans l’état des mutilations où elle se trouve ». Ces dires font probablement écho à l’analyse de Bernard Lange, alors restaurateur des statues antiques du musée, qui renonça dès les années 1820 à toute entreprise hasardeuse de restauration de la Vénus.
La Vénus de Milo a été à l’origine de nombreux échanges érudits durant la cinquantaine d’années qui a suivi sa découverte, et nous en retrouvons également les traces dans nos collections. Arrêtons nous un instant, pour une savoureuse mise en abyme, sur un recueil de pièces cotées 79.008 à 79.036. Il s’agit très vraisemblablement d’un ensemble de documents ayant appartenu à l’helléniste Wladimir Brunet de Presle (1809-1875) si l’on se fie aux nombreux envois d’auteur à son nom dans le recueil. La pièce 79.018 est intitulée Un dernier mot sur la Vénus de Milo ; il s’agit d’un article paru dans la Revue contemporaine le 30 avril 1854, signé du Comte de Marcellus. Celui-là même qui était secrétaire d’ambassade du consul de France Rivière en 1820. L’article porte un envoi autographe, signe du lien entre Brunet de la Presle et Marcellus. Marcellus explique sa démarche en préambule de son article :
« C’est un dernier témoignage donné avant que le dernier témoin oculaire vienne à disparaître ; car en même temps que la renommée de la Vénus de Mélos grandit et s’avance en Europe, l’âge amoncelle les contradictions, épaissit les nuages jetés comme à plaisir sur son origine ; et il ne restera bientôt personne pour les dissiper ».
S’ensuit une description précise de la découverte, et surtout des étapes de la récupération, pour le compte de la France, de la statue par Marcellus qui a joué un rôle actif dans cette histoire. La démarche de Marcellus n’est pas celle d’un savant, mais celle d’un homme d’action et d’un diplomate, qui a le souci de replacer les éléments dans un contexte historique et de retracer minutieusement la chronologie des événements. Marcellus n’est toutefois pas totalement détaché, même si l’histoire remonte à 25 ans, et il ne fait pas mystère de son admiration pour la statue, « mon idolâtrie (…) pour un marbre que j’ai admiré le premier. ».
On pourrait aisément suivre l’histoire de la Vénus de Milo dans les collections de la bibliothèque universitaire jusqu’à notre époque : querelles de spécialistes, analyses stylistiques, et autres réflexions sur une possible restauration, mais aucun des textes produits après le texte de Marcellus ne retransmet l’émotion des acteurs de la découverte et des premiers scientifiques qui ont approché la statue.
Ce billet ne peut toutefois pas, à mon sens, se clore sans mentionner le roman de Takis Theodoropoulos, L’invention de la Vénus de Milo (2008) qui narre avec piquant et tendresse cette drôle d’aventure… et que la bibliothèque universitaire s’est naturellement empressée d’acheter… pour boucler la boucle !
À propos des titres cités
- Frédéric de Clarac, Sur la statue antique de Venus Victrix : découverte dans l’île de Milo en 1820, transportée à Paris et donnée au roi par M. le Marquis de Rivière, Paris, Didot Frères, 1821. Notice Sudoc
- Quatremère de Quincy, « Dissertation sur la statue antique de Vénus découverte dans l’île de Milo », dans Recueil de dissertations archéologiques, 1836. Notice Sudoc
- Comte de Marcellus, « Un dernier mot sur la Vénus de Milo », dans Revue contemporaine, 30 avril 1854. Notice Sudoc
- Takis Theodoropoulos, L’invention de la Vénus de Milo, Paris, S. Wespieser, 2008. Notice Sudoc
Lire aussi sur Insula :
Cécile Martini, « À la poursuite de la Vénus de Milo au sein de l’Université de Lille », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 8 avril 2018. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2018/04/08/a-la-poursuite-de-la-venus-de-milo-au-sein-de-luniversite-de-lille/>. Consulté le 14 November 2024.