Circulus Latinus Insulensis

Le latin vivant.

Le groupe Circulus Latinus Insulensis réunit des enseignants, étudiants, ou passionnés, qui échangent en latin, comme on le ferait avec une langue vivante. Le but principal de la démarche est toujours d’aborder les textes écrits en latin à différentes époques, mais en étant encore plus familiers de la langue. Pour présenter ce Circulus, Valentine Farreyrol, étudiante en troisième année de la licence « Humanités et Sciences de l’Information » (HSI) à l’Université de Lille, a interrogé Séverine Clément-Tarantino, fondatrice du Circulus Latinus Insulensis, et Rémi Bernard, étudiant participant au CLIO (acronyme de Circulus Latinus Insulensis Online, étant donné que le cercle a principalement fonctionné en ligne en raison de la pandémie).

Entretien avec Séverine Clément-Tarantino, fondatrice du Circulus Latinus Insulensis

Valentine Farreyrol : Tout d’abord, comment l’idée de former le Circulus vous est-elle venue ? 

Séverine Clément-Tarantino : J’ai découvert le monde du latin dit « vivant » et des pédagogies actives appliquées au latin et au grec il y a relativement peu de temps, au printemps 2019. C’était à l’occasion du premier LILIUM organisé par l’institut italien GRECO LATINO VIVO, une expérience d’immersion linguistique en latin sur trois jours. J’en suis revenue complètement bouleversée, parce que j’avais vu des exemples vivants de personnes qui, au bout de quelques mois d’apprentissage, maîtrisaient assez le latin pour comprendre des textes d’auteurs aussi bien que moi (qui ai commencé le latin il y a plus de trente ans !) ; surtout, lors de plusieurs scholae (séances de cours), j’ai mesuré à quel point le fait de rester dans la langue (latine) m’apportait à moi-même dans la compréhension de textes qui m’étaient parfois bien connus (la mort de Laocoon au chant 2 de l’Enéide, grand choc !). Je pesais mieux certains mots, j’appréciais mieux les choix faits par les auteurs, je cernais davantage la cohérence des propos. A ces raisons linguistiques, s’ajoutait en outre une ambiance extrêmement conviviale ; des liens d’amitié durables sont nés alors et depuis, je ne cesse de rencontrer de nouvelles personnes formidables grâce au latin et en latin. 

Pour en venir au Circulus, j’ai assez vite pensé qu’il serait bien de développer une telle dynamique à Lille, si possible auprès de l’Université où je travaille. D’ailleurs, mon collègue Charles Delattre, Professeur de grec, y avait transféré le Kuklos Hellenikos, qu’il a fondé il y a plusieurs années. De plus, avec ma collègue Peggy Lecaudé, nous étions arrivées aux pédagogies actives après la première du Séminaire de recherche pédagogique que nous organisons depuis quatre ans, à chaque printemps : les démonstrations que nous avaient offertes, lors de la journée du 24 mars 2018, Charles Delattre en grec et Germain Teilletche en latin, nous avaient convaincues ; il n’y avait plus qu’à franchir le pas. De manière plus personnelle, j’ai pensé que, ne pouvant me permettre de suivre des formations à longueur de temps, je me formerais moi-même et je progresserais moi-même en latin parlé en animant moi-même un « cercle » de conversation latine. C’était un peu un saut dans le vide, il a fallu que je prenne beaucoup sur moi, mais j’ai osé. C’est ainsi que, quelques mois après cette expérience florentine décisive, le Circulus est né, officiellement au mois de novembre 2019. La pandémie ne nous aura malheureusement pas permis de faire beaucoup de séances in praesentia et, dans les faits, depuis mars 2020, le Circulus fonctionne uniquement sur internet (grâce à « zoom »), avec deux à trois sessions hebdomadaires.

V. Farreyrol : Le latin vous a-t-il toujours intéressée ? Je sais que, pour ma part, je n’avais que très peu d’intérêt pour cette matière au collège, mais qu’il a fini par se développer lors de mon entrée à l’université. Pensez-vous que la méthode d’apprentissage y est pour quelque chose ?

S. Clément-Tarantino : J’ai toujours plutôt aimé cette matière que j’ai commencée au collège, en quatrième. J’aimais surtout les langues et même si c’était de manière inconsciente, je pense que j’ai aimé le latin pour cela. Je l’ai appris de la manière la plus traditionnelle qui soit (apprentissage par cœur, interrogations de grammaire régulières, versions sur lesquelles on peine mais qui à chaque difficulté surmontée procurent un plaisir intellectuel incomparable) et il ne me serait pas venu à l’esprit de considérer avec un peu de distance cette manière traditionnelle si je n’avais pas constaté qu’elle donnait de plus en plus de difficultés à bon nombre d’étudiant/e/s (je sais cependant qu’il y en a encore pour aimer vraiment les exercices et les efforts que je viens de rappeler). De nos jours, je ressens une immense admiration pour les collègues qui, au collège ou en lycée, se démènent pour attirer des élèves et ensuite pour leur faire aimer les langues et cultures de l’antiquité. De plus en plus, l’idée de pratiquer le latin ou le grec pour mieux l’apprendre (c’est-à-dire, à la fois plus plaisamment et de manière plus durable) fait son chemin. C’est un mouvement général qui, pour l’instant, est sans doute plus développé dans d’autres pays que la France, mais par internet, les réseaux sociaux, les groupes d’enseignants et de passionnés, les idées et les ressources circulent, de sorte que la méthode traditionnelle en vient à intégrer des éléments des pédagogies dites « actives ».

V. Farreyrol : Pourquoi avoir donné ce nom pour le Circulus Latinus Insulensis, désormais simplifié par l’acronyme accrocheur ‘CLIO’ ?

S. Clément-Tarantino : J’ai appelé le Circulus suivant le modèle de beaucoup d’autres : Circulus Latinus Gaditanus (de Cadix en Espagne), Iacobopolitanus (de Santiago du Chili), Cantabrigiensis (de Cambridge en Angleterre)… « Lille » en latin peut se dire « Insula » (c’est le nom qu’on trouve par exemple sur l’inscription de la Porte royale, à l’entrée de la Citadelle de Lille) ; j’ai donc juste forgé l’adjectif qui me semblait le plus vraisemblable pour dire « de Lille ». L’idée de CLIO m’est venue récemment. Je voulais que nous nous dotions d’un logo – et nous en avons maintenant, dont je suis très fière, et que nous devons à une artiste très douée, Maddy Sylla. Je ne sais plus dans quel sens cela s’est fait dans mon esprit : si c’est le fait que nous fonctionnions désormais « on line » ou les attributs que j’avais repérés en cherchant dans des éditions anciennes qui ont amené la Muse Clio. En tout cas, ce nom de Muse me ravit. J’ai beaucoup travaillé sur les Muses (dans la poésie épique notamment), par le passé et c’est un sujet qui est redevenu important pour moi dans le cadre de ma participation aux activités du Lupercal, un groupe de latinistes féministes fondé par Skye Alta Shirley. Sur le logo, ce sont donc des attributs de Clio que l’on voit : une trompe incurvée qui me fait aussi penser à l’instrument dans lequel souffle la Furie Allecto au chant 7 de l’Enéide de Virgile ( !) et du laurier, plutôt pour suggérer la renommée à laquelle la Muse Clio peut être explicitement liée (son nom peut être mis en rapport avec kléos en grec). Par ailleurs, le laurier se trouve sur les logos d’autres « cercles », c’était aussi une manière de faire un lien avec eux.

V. Farreyrol : Quel est votre but dans la promotion du Circulus ? Le public que vous visez est-il large ou plutôt restreint ? Ce que je veux dire, dans les grandes lignes : tout le monde peut-il participer à une séance ?

S. Clément-Tarantino : J’aimerais pouvoir offrir autant de séances qu’il en faudrait selon les attentes des un/e/s et des autres. Si nous n’avions pas encore été confinés à l’automne et retenus chez nous même par la suite (je pense ici au cas des universités), j’aurais aimé proposer, « en ville », des ateliers qui s’adressent à différents âges (aux enfants comme aux jeunes adultes et aux plus âgé/e/s). Quand la situation le permettra, j’espère aussi très vivement que le Circulus démarre vraiment au sein de l’Université de Lille et, en premier lieu, au sein du Département des Langues et Cultures antiques. Mon envie est en tout cas de faire vivre le latin le plus possible et auprès du plus grand nombre. 

Pour l’instant, avec le fonctionnement en ligne, ce sont surtout des enseignants et des étudiants qui suivent les séances. Il y en a trois sortes : une qui réunit celles et ceux qui ont participé au Circulus depuis le début (et surtout depuis le début sur zoom, en mars 2020), une qui réunit des sodales (des « compagnons ») qui soit sont encore en train d’apprendre le latin soit ont commencé il y a peu à le pratiquer, c’est-à-dire à s’exprimer en latin, que ce soit à l’oral ou à l’écrit ; et j’ai ajouté à la rentrée dernière (en septembre 2020) une séance spéciale le mercredi en quinzaine où nous lisons et expliquons en latin un chant de l’Enéide de Virgile (en l’occurrence, le chant 8, parce qu’il est au programme de l’agrégation de Lettres classiques et que j’ai la chance de l’enseigner dans ce cadre aussi). J’ai osé cet ajout après avoir fréquenté moi-même pendant des mois la schola Vergiliana de l’Oxford Latinitas Project, l’association très dynamique qui développe le latin et le grec actifs à l’Université d’Oxford, avec des résultats, ici aussi, impressionnants. Je suis très reconnaissante aux membres de ce Projet de l’avoir ouvert à des extérieurs lorsque tout est passé en ligne au printemps 2020 ; j’ai appris et apprends encore énormément grâce à la fréquentation de ces réunions hebdomadaires où l’exercice de base est la reformulation en latin du texte, en l’occurrence, de Virgile. Et c’est ce même exercice auquel nous nous adonnons, dans le cadre du CLIO, le mercredi soir deux fois par mois.

V. Farreyrol : Pouvez-vous déterminer la ligne conductrice du contenu des séances ? Quel genre de textes étudiez-vous ? En quoi est-ce différent d’un cours de latin à la faculté ? Combien de temps durent-elles ? (je sais bien que cela est très différent, mais je pose vraiment les questions comme quelqu’un qui n’y connaît rien)

S. Clément-Tarantino : Pour les séances du mercredi, je viens de le dire. Je peux néanmoins donner quelques précisions : des participants qui ont souhaité « préparer » quelques vers exposent leur reformulation de ces vers en y ajoutant des explications plus précises soit de certains points de grammaire soit de certains points de culture ou de littérature. Ensuite nous discutons pour vérifier que le texte est compris et pour approfondir certaines choses. C’est aussi le moment de dire ce que l’on aime ou ce que l’on aime moins dans le passage. Cette séance dure 1h. Celles du vendredi durent plutôt 1h15 parce qu’en 1h nous nous sentons un peu trop pressés. Je dis « nous » parce que depuis l’automne 2020, je ne suis plus toute seule à assumer le rôle de ductor (ou plutôt, au féminin, de ductrix) des séances ; Theodosios Polychronis et Valentin Pion ont pris l’habitude de jouer régulièrement ce rôle, et ils et ils ont désormais été rejoints par d’autres collègues : Océane Puche, Charles Lièvre, Guillemette Mérot, Peggy Lecaudé. 

Lors de la séance du vendredi à 17h, nous abordons des textes et des sujets plutôt variés. Si j’y repense, depuis le début, nous avons parlé : des anniversaires (en lisant le poème de Sulpicia sur le sujet), de Cicéron, des nombres, du Culex pseudo-virgilien, des vacances, de la Mostellaria de Plaute (et celle de Rachel B. Cunning). J’oublie sans doute des sujets. En tout cas, depuis décembre nous avons entrepris de lire des extraits des Colloquia d’Erasme. Nous ne faisons pas ici que lire et expliquer. Nous faisons aussi des « jeux », nous créons des petits textes, nous imaginons des dialogues. Pendant la deuxième séance, les activités sont également variées : là, nous nous référons à la progression du manuel Familia Romana, autrement dit, le vol. 1 de Lingua Latina Per se Illustrata, le livre dû au Danois Hans Ørberg qui est généralement utilisé par ceux et celles qui enseignent le latin de manière active – en tout cas pour commencer (certains magistri ou certaines magistrae s’en détachent ensuite) ou quand une autre méthode n’est pas privilégiée à tel ou tel endroit (je pense ainsi à la méthode Fiévet, qui est en particulier employée à l’Université de Pau).

V. Farreyrol : Avez-vous un blog, une page facebook, sur laquelle vous joindre ?

S. Clément-Tarantino : Le blog est encore en en phase de développement (je manque de temps pour mettre en forme tous les articles auxquels je pense à mesure que nous avançons, mais je suis sûre de trouver un rythme d’ici peu de temps). La page Facebook est plutôt active, je l’alimente régulièrement d’annonces de formations ou de conférences ; je partage des informations ou des plaisanteries susceptibles d’intéresser les quelque deux cents sodales qui nous suivent à ce jour. Les informations relatives à nos réunions y sont presque toujours répercutées. Mais je continue par ailleurs d’écrire aux participants réguliers ou à celles et ceux qui ont demandé un jour à être tenu/es informé/es des activités du Circulus… – du CLIO.

V. Farreyrol : Dernière question : que diriez-vous à quelqu’un qui désire rejoindre le Circulus mais qui n’ose pas, de peur de s’exprimer en public et de faire des erreurs ?

S. Clément-Tarantino : Depuis le début, j’essaie de veiller à ce que le meilleur esprit règne dans toutes les séances et les participant/e/s y contribuent aussi grandement : il n’y a pas ici de relation de maître/sse/s à élèves, on ne part pas de l’idée qu’il y en a qui en savent plus que les autres – nous sommes tous en train d’apprendre (sinon le latin lui-même, le fait de l’écrire et de le parler). On ne brusque pas les gens : si quelqu’un veut venir et ne faire qu’écouter, il ou elle peut le faire ; la seule chose qu’on lui demande, c’est de se présenter, même en français ! Celles ou ceux qui souhaitent être corrigé/e/s peuvent le signaler et la ductrix ou le ductor de la séance rectifie, mais sans hauteur ni brusquerie. Nous allons bientôt nous employer à mettre au clair ces principes de comportement et d’échanges, de manière à ce qu’ils soient clairs pour tout le monde, y compris quelqu’un/e qui nous rejoindrait bientôt. 

Mais je repense à la peur de l’erreur : je suis en train de beaucoup évoluer sur cette question et toutes les erreurs que j’ai pu faire (depuis mes débuts de latiniste mais surtout) depuis que j’ai commencé à m’exprimer en latin m’ont énormément enrichie. Il a fallu de l’audace (une audace incroyable surtout pour moi qui avais presque un complexe bloquant à cause de ma voix), mais il faut aussi de l’humilité (pour oser parler en se disant qu’on va sans doute faire des erreurs et que ces erreurs, peut-être, ne correspondent pas au niveau présumé de très bonne maîtrise que l’on a atteint en latin). La dernière est une valeur que j’estime entre toutes, la première est une capacité que je ne pensais absolument pas avoir. Cela nous ramène à l’expérience humaine formidable qu’il y a dans « tout cela » (le développement du latin et du grec actifs) et dans l’aventure de ce Circulus en particulier.

Entretien avec Rémi Bernard, participant au CLIO

Valentine Farreyrol : Qu’est-ce qui vous a poussé à rejoindre le Circulus Latinus Insulensis? 

Rémi Bernard : Etudiant en master des Mondes Anciens à la Faculté des Humanités de Lille au cours de l’année 2019-2020, j’ai appris par le biais de messages adressés aux étudiants et sur le groupe Facebook du département LCA qu’un cercle de pratique du latin parlé était en train d’être créé par Séverine Clément-Tarantino, Maîtresse de conférences de langue et littérature latines dans cette même université. J’ai assisté à l’une des premières séances « live » au début du mois de mars 2020 et très vite, après le premier confinement, les séances se sont déroulées «en distanciel » sur Zoom.

Grâce au bouche-à-oreille et à Internet, ce nouveau mode contraint de réunion a permis au Circulus Insulensis d’élargir d’un seul coup son « recrutement » bien au-delà des frontières du Nord-Pas de Calais et les participants actuels viennent de toutes les régions.

Passionné depuis toujours de latin et de grec, j’ai découvert, grâce à l’initiative de Séverine, tout un univers dont je ne soupçonnais pas l’existence.  Avec une vision très franco-centrée, je pensais naïvement que si le latin était encore parlé, c’était à Rome, par quelques cardinaux au Vatican. Mais je me suis rendu compte que le latin (tout comme le grec ancien d’ailleurs) n’avait pas dit son dernier mot, qu’il était bien vivant et qu’un peu partout dans le monde, des professeurs faisaient des cours, organisaient des conférences et des séminaires en latin et qu’ils avaient un public ! Quelques visites sur You Tube m’ont très vite permis de découvrir l’étendue et le foisonnement de cette « galaxie ».

Le Circulus me donne l’occasion de pratiquer le latin d’une manière très différente de celle qui est de mise dans l’enseignement traditionnel puisque l’accent est mis sur l’oralité et sur l’unilinguisme. La question de la prononciation et de l’accentuation des mots revêt aussi toute son importance (pour le débutant que je suis, c’est d’ailleurs un gros point d’achoppement, au même titre que la spontanéité et la fluidité dans l’élocution !)

Grâce au Circulus, j’ai pu également découvrir la méthode dite « active» d’enseignement du latin et notamment le manuel de référence en la matière, à savoir le Lingua latina per se illustrata du Danois Hans H. Ørberg. Cette méthode d’apprentissage du latin par immersion totale dans la langue (tout est rédigé en latin, y compris les règles de grammaire !) procède de manière à la fois très progressive et très intuitive. Il s’agit d’acquérir les automatismes par le biais de la répétition et d’exercices d’assouplissement qui permettent de manier et remanier les mots et les tournures dans tous les sens.

V. Farreyrol : Le latin a grandement influencé notre actuel français : votre pratique de cette langue vous aide-t-elle uniquement dans les défis étymologiques quotidiens ?

R. Bernard : Lors de mes premières études de Lettres Classiques, j’avais été très marqué par les cours d’ancien français, notamment la phonétique. Même si c’est très technique et parfois très ardu, il est intéressant de voir comment le latin parlé dans la Gaule romanisée des premiers siècles de notre ère a lentement évolué au fil de siècles pour aboutir au français tel qu’il s’est constitué à partir des XVe et XVIe siècles (même si la lecture de Rabelais ou même de Montaigne dans le texte, sans lexique, est loin d’être aisée…).

Le français dérive du latin dans sa morphologie et sa syntaxe et dans la majeure partie de son vocabulaire. La connaissance du latin change notre regard sur notre propre langue, nous permet de prendre du recul et de comprendre le mécanisme de certaines règles orthographiques.

Si, l’on sait par exemple que « tu aimes » se disait en latin « amas », la présence d’un « s » à la deuxième personne du singulier s’explique beaucoup mieux, tout comme d’ailleurs son absence à l’impératif, puisque « aime » se disait en latin « ama ».

Le phénomène linguistique de formation lexicale qu’on appelle « les doublets » est, de ce point de vue, très intéressant. Un même mot latin a souvent donné deux mots en français. L’un de formation dite « populaire » (c’est-à-dire celle qui s’est lentement constituée au fils du temps et de l’évolution de la prononciation) et l’autre de formation dite « savante », c’est-à-dire à une époque (le plus souvent à la Renaissance mais aussi au cours de la période classique et parfois même après) où l’on a redécouvert les langues anciennes et où l’on a forgé des nouveaux mots en les calquant directement sur le latin.

C’est ainsi que le mot latin « hospitalem » a donné « hôtel » et « hôpital », « ministerium » a donné « métier » et « ministère », «fragilem » a donné « frêle » et « fragile », « singularem »  donné « sanglier » et « singulier ». L’observation de ce phénomène peut, dans l’enseignement du français, donner lieu à des exercices amusants (trouver le pendant populaire d’un mot de formation savante et vice-versa) et faire réfléchir sur les mécanismes de formation de notre langue.

Le latin nous aide aussi dans la lecture des auteurs de l’époque classique. Par exemple au XVIIe siècle, l’adjectif « inquiet » a plus souvent son sens latin de « agité », «qui ne sait pas rester en repos » que son sens moderne d’ «anxieux » ou « tourmenté ». « Impertinent », dans les comédies de Molière, signifie plus souvent « maladroit » ou « malhabile » que « insolent ». De même dans les tragédies de Racine, « fier » a plus souvent son sens latin de « sauvage », « cruel » que son sens moderne d’« orgueilleux ». Tout comme chez Bossuet le terme « prince » ne désigne pas à proprement parler un personnage de lignée royale mais plutôt le chef d’un état au sens latin de « principem ».

V. Farreyrol : Que vous apporte le Circulus ? J’ai pu constater que les membres sont très sympathiques, et très joviaux, ce qui donne une toute autre approche de l’apprentissage de la langue.

R. Bernard : L’ambiance au Circulus est effectivement très joviale et décontractée. Loin d’être une « docte assemblée » intimidante, c’est un espace convivial de brassage ouvert à toutes et à tous, qui regroupe des personnes d’horizons géographiques divers et se trouvent dans des situations très variées quant à la pratique du latin : principalement des enseignants et des étudiants en lettres classiques, mais pas uniquement. Toute personne qui éprouve un intérêt pour le latin et souhaite expérimenter un mode moins conventionnel d’apprentissage et de pratique de cette langue peut assister avec profit aux sessions. Séverine, notre « ductrix », ainsi que ses deux co-« ductores » savent aménager les séances et varier les activités de manière à ce que chacun se sente à l’aise, quel que soit son niveau en latin. 

Les deux séances « généralistes » du vendredi en fin d’après-midi constituent maintenant pour les habitués un rituel, à la fois studieux et détendu, qui marque agréablement la fin de la semaine et annonce le week-end. 

V. Farreyrol : Que diriez-vous à quelqu’un qui désire rejoindre le Circulus, mais qui n’ose pas, de peur de s’exprimer en public et de faire des erreurs ?

R. Bernard : Je dirais que ces appréhensions sont tout à fait naturelles et bien compréhensibles. L’exercice est tellement nouveau, même pour celles et ceux qui ont une longue pratique de latin derrière eux, qu’au début on peut être dérouté, a fortiori les personnes qui ont commencé le latin depuis peu.

Avec le Circulus, on n’est plus dans l’univers habituel et rassurant des manuels. Il faut donc, d’une certaine manière, « se jeter à l’eau ». Mais il n’est pas pour autant question de se mettre de la pression. L’essentiel est d’établir une communication minimale et que l’ambiance reste détendue. Chacun fait comme il peut avec le bagage qui est le sien. On finit, au fil des séances, par intégrer quelques mots, quelques expressions courantes (dire bonjour, au revoir, acquiescer, contester, remercier, s’excuser, féliciter etc.) et à les utiliser de manière de plus en plus naturelle et fluide. 

Le but n’est pas de s’exprimer comme Cicéron (qui d’ailleurs ne parlait sans doute pas comme il écrivait ! En maniant de petites unités de sens (des mots, même isolés, des petits bouts de phrase), l’interaction finit par se mettre en place. Lorsqu’on se rend compte qu’on peut se faire comprendre (même si l’on fait des fautes d’accord, de déclinaison ou de conjugaison ou qu’on n’emploie pas les mots adéquats, ce qui arrive très souvent), on gagne peu à peu en confiance. 

Séverine, notre « ductrix » est d’ailleurs très rassurante là-dessus. Si les primo-arrivant.e.s se sentent intimidé.e.s il peuvent toujours au début n’assister aux séances qu’en « auditeurs libres ». 

Pour celles et ceux qui ont l’impression de partir très loin et qui craignent d’être bloqué.e.s à l’oral, on peut conseiller le manuel Lingua latina per se illustrata – Familia romana de Hans H. Ørberg (cité plus haut). Il existe aussi des guides de conversation très bien faits comme, par exemple, le Conversational latin for oral proficiency de John C. Traupman, qui présente des dialogues dans différentes situations de la vie quotidienne. Et bien sûr, il faut aller voir des vidéos sur You Tube, notamment celles d’Irene Regini (« Satura Lanx »), qui parle un latin très bien articulé et très accessible.

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Citer ce billet

Christophe Hugot, « Circulus Latinus Insulensis », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 17 juin 2021. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2021/06/17/circulus/>. Consulté le 29 March 2024.