Le bibliothécaire, le libraire et les marchés publics

Un rapport portant état sur la question de l’accès des librairies aux marchés d’achats de livres des bibliothèques vient d’être mis en ligne sur le site de la Direction générale des médias et des industries culturelles. Tous les types de bibliothèques accueillant du public pour du prêt sont considérés dans le rapport, mais notre billet se contente essentiellement de dégager les grandes lignes de cette problématique au sein des Bibliothèques universitaires.


Librairie
Librairie (photographie de untitledprojects sur Flickr)

Le rapport a été réalisé par le Service du livre et de la lecture de la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) en partenariat avec la Fédération interrégionale du livre et de la lecture (FILL) et six structures régionales du livre. Pour reprendre les termes du rapport : celui-ci présente notamment la toute première exploitation à des fins statistiques des données recueillies par la Sofia, Société Française des Intérêts des Auteurs de l’écrit, sur les achats de livres des bibliothèques de prêt, ainsi qu’une synthèse de plus de 150 entretiens auprès des acteurs concernés (libraires, bibliothécaires, services des marchés des collectivités) dans les 6 régions participant à l’enquête (Aquitaine, Basse-Normandie, Bretagne, Ile-de-France, PACA, Rhône-Alpes) au terme d’une décennie de modifications du cadre législatif et réglementaire (loi du 18 juin 2003 et réformes successives du Code des marchés publics).

Quelques constatations générales

  • Ce sont environ 100 millions d’euros qui sont dépensés annuellement par les bibliothèques pour l’achat de livres : les bibliothèques territoriales concentrent les deux tiers des achats. Les bibliothèques d’enseignement supérieur, environ 20 %. Les autres bibliothèques, CDI etc, 13 %.
  • Avant la loi de 2003, les rabais consentis, en moyenne 24,5 %, jusqu’à 28 %, voire 30% (22,5 % en moyenne pour les BU), favorisaient les fournisseurs spécialisés et les grossistes. Les rapporteurs soulignent que la loi de 2003, avec un plafonnement à 9% de la remise consentie par les fournisseurs aux bibliothèques, a fait que les librairies sont devenues compétitives dans l’attribution des marchés publics : elles sont ainsi bénéficiaires de plus des deux tiers des marchés par rapport aux grossistes ou fournisseurs spécialisés.
  • Le plafond de la remise de 9% est quasiment la norme : tous les types de librairies proposent ce rabais lors des passations de marchés. Le prix n’étant plus un critère discriminant, la librairie choisie sera celle qui saura montrer une plus-value par rapport à ses concurrents : le choix de la librairie se fait sur la qualité de la prestation, non plus sur le critère du rabais consenti.
  • Rappelons que les librairies versent 6% du montant des transactions à la Sofia, qui reverse cette somme aux ayants-droits. Les bibliothèques sont tenues de déclarer leurs achats pour que la Sofia puisse vérifier les dires des fournisseurs, mais nombreuses sont encore les bibliothèques qui ne communiquent pas sur leurs achats.
  • La répartition entre librairies montre que les librairies générales accaparent près de la moitié des marchés (46 %), devant les très grandes librairies (21 %), librairies spécialisées (18 %), librairies de chaînes (10 %), librairies-papeteries-presse (3 %). Les procédures complexes et chronophages pour répondre à des marchés publics ont un coût, au moins en « temps humain », pour les librairies, ce qui favorise les structures importantes.
  • D’une manière générale, il existe une très grande proximité géographique entre le fournisseur et les bibliothèques : 32 % des achats par les bibliothèques se font dans la commune, 59 % à l’intérieur du département, 76 % à l’intérieur de la région.
  • Ces dernières années, les très grandes librairies ont accru leur présence dans l’obtention des marchés publics, au détriment des petites librairies locales, contribuant à la concentration du marché de la fournitures de livres aux bibliothèques, et ce de façon accélérée entre 2006 et 2007.
  • L’intérêt d’obtenir des marchés n’est pas mince : les achats des bibliothèques représentent 13% du chiffre d’affaire des libraires indépendantes (jusqu’à 30%, voire 50% pour les librairies spcialisées). Cela impacte également le montant de la remise octroyée aux librairies par les éditeurs. Toutefois, l’obtention d’un marché occasionne des coûts pour le fournisseur et peut se révéler non rentable voire périlleux pour une petite structure.
  • Les bibliothèques utilisent leur droit de passer des commandes hors marché (la loi permet de le faire à hauteur de 1%), même si elles peinent parfois à justifier des dérogations auprès de leur tutelle.

Les Bibliothèques universitaires se distinguent

L’essentiel du rapport porte sur des réponses données par les Bibliothèques territoriales, largement majoritaires. Les Bibliothèques universitaires apparaissent entre les lignes, pour souligner leurs spécificités.

  • Les BU se distinguent des autres bibliothèques, en particulier territoriales, par la forte proportion d’achats de livres étrangers (15 % d’après la Sofia, 21 % en 2007 d’après l’ESGBU) : les BU sont quasiment les seules bibliothèques à créer des lots spécifiques pour l’achat de livres étrangers.
  • Alors que de nombreuses bibliothèques territoriales créent différents lots, favorisant ainsi l’émergence de différents fournisseurs, en particulier les librairies locales spécialisées (BD, art, jeunesse, etc), les BU ont tendance à ne créer qu’un seul lot pour l’achat des ouvrages français, quelles que soient les disciplines. La perte ou le gain d’une BU comme client a donc de fortes répercussions pour les librairies, en particulier en terme d’emplois
  • Les BU, plus massivement que les bibliothèques territoriales, se fournissent auprès des très grandes librairies : « les BU, acteurs majeurs de la progression des très grandes librairies », souligne le rapport.
  • Les BU sont moins sensibles à l’aspect de proximité géographique du fournisseur que les bibliothèques territoriales, lesquelles sont enclines à favoriser l’aménagement culturel du territoire.
  • Le prix n’étant plus le critère, il a fallu aux bibliothécaires affiner leur demande et pondérer leurs desiderata pour départager les candidats soumissionnaires. Les BU sont peu concernées par les critères généralement demandés aux librairies par les bibliothèques territoriales lors des offres de marchés (richesse de l’assortissement, accueil et conseil, office, participation aux animations, équipement des livres). Elles ont en commun avec les bibliothèques territoriales de mettre l’accent sur les délais de livraison (qui est un voeu jamais réalisé, ni sanctionné), la livraison elle-même (port gratuit, qualité des paquets, avec parfois un souci écologique), le suivi de commande (facturation). En revanche, les bibliothèques universitaires sont demandeuses de services internet de la part des fournisseurs (panier de commande, suivi de commande en ligne). Les BU compensent par internet leurs relations avec le libraire, car elles ont majoritairement, depuis plusieurs années, « rompu le lien avec les libraires locaux ». Certaines librairies renoncent à candidater à des marchés BU, qu’elles avaient autrefois, « car trop d’exigences sur la performance informatique » sont exigées.

La loi de 2003 est souvent vue de manière positive. Toutefois, parmi les différents acteurs, libraires et bibliothécaires, nombreux sont ceux qui souhaitent faire sortir les livres des procédures du code des marchés publics, arguant que le livre n’est pas une marchandise comme une autre. Le code, complexe et contraignant, favoriserait les grossistes et les très grandes librairies qui, souvent, ne s’embarassent pas de pouvoir fournir les petits éditeurs aux bibliothèques. Le risque d’uniformisation des fonds des bibliothèques est réel. Nous aurons à y revenir.

Pour en savoir plus

Lire l’étude sur l’accès des librairies aux marchés d’achats de livres des bibliothèques sur le site de la DGMIC : 219 pages + annexes (pdf).

Lire aussi sur Insula :

Citer ce billet

Christophe Hugot, « Le bibliothécaire, le libraire et les marchés publics », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 6 septembre 2010. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2010/09/06/bibliotheques-marches-publics/>. Consulté le 23 November 2024.