Entretien avec William Van Andringa.
L’École française de Rome va prochainement éditer une imposante monographie consacrée aux fouilles réalisées entre 2003 et 2007 dans le quartier funéraire de la nécropole romaine de Porta Nocera à Pompéi. Nous avons interrogé William Van Andringa, Professeur à l’université Lille 3, l’un des éditeurs de la publication de cette fouille avec Henri Duday, qu’il a codirigé avec Sébastien Lepetz dans le cadre d’un programme de l’École française de Rome organisé avec le soutien de la Soprintendenza archeologica di Pompei. Le livre, qui se révèle important pour donner une idée de l’enjeu des recherches archéologiques récentes menées sur les nécropoles antiques, est en souscription jusqu’au mois de mars 2013.
Pendant cinq mois, entre 2003 et 2007, des archéologues ont fouillé un quartier funéraire de la nécropole de Porta Nocera, l’une des nécropoles de Pompéi qui, comme dans l’ensemble des cités romaines, se trouvait à l’extérieur du domaine urbain, située au sud-est de la ville. Limitée volontairement à quelques enclos funéraires, cette fouille très détaillée permet d’offrir aujourd’hui une vision totalement renouvelée des connaissances concernant les pratiques funéraires à l’époque romaine. Le résultat de ces fouilles et de l’analyse du matériel sont regroupés dans une volumineuse publication de 1451 pages en deux volumes intitulée : Mourir à Pompéi : fouille d’un quartier funéraire de la nécropole romaine de Porta Nocera (2003-2007).
William Van Andringa, archéologue, professeur à l’université Lille 3, spécialiste de l’histoire des religions dans le monde romain, est par ailleurs directeur de la revue Gallia.
Christophe Hugot : La fouille dans un quartier funéraire de l’une des nécropoles de Pompéi a duré cinq mois entre 2003 et 2007. Quels sont les résultats publiés ?
William Van Andringa : Le champ d’étude de la nécropole de Porta Nocera a été limité volontairement à quelques enclos funéraires, le travail sur une surface relativement restreinte (110 m2) permettant de gérer et de prendre en compte l’ensemble de la documentation disponible provenant des concessions funéraires étudiées : cinq mois de fouille ont ainsi livré 16.000 pièces de mobilier, céramique, ossements animaux, métal, verre, os ouvragés, restes végétaux, galets et pierres qu’il s’est agi ensuite d’identifier, de classer et de publier. Sans parler des quelque 60.000 os humains récoltés dans les 64 sépultures étudiées ainsi que sur les niveaux de sol.
Ch. Hugot : Ce choix de travailler sur une surface restreinte a donc rendu possible une étude fine et précise des rites funéraires.
W. Van Andringa : La méthode suivie fut en effet motivée par la volonté d’observer toute trace anthropique, de manière à restituer les activités humaines organisées autour de la mort à l’époque romaine. Jusqu’à récemment, les commentaires concernaient essentiellement l’architecture des monuments funéraires que l’on avait bien du mal à dater sur les seuls critères stylistiques, on s’intéressait également aux inscriptions funéraires, avec les indications de nom et de statut des défunts. Ces vestiges visibles, dressés hors du sol, donnaient toutefois peu à voir sur les funérailles de l’époque romaine sans parler de la perception de la mort. Désormais, les observations sont centrées sur les rites et les pratiques qui accompagnaient la séparation des vivants et du défunt mis en terre ainsi que sur les modalités de gestion des espaces funéraires protégés par le droit des tombeaux et le statut religieux qui leur était conféré. Dans la nécropole de Porta Nocera, l’examen de deux aires de crémation où l’on brûlait les corps, par exemple, a donné des informations sur la dynamique d’organisation de ces espaces de présentation et de transformation des morts, mais également sur le défunt lui-même porté au feu ainsi que sur l’intervention des vivants qui déposaient des offrandes sur le bûcher funèbre. Alors que la mise en évidence de pièces de mobilier, fragments de lampes à huile ou de flacons à parfum, mêlés aux cendres et au sédiment, autorise la restitution de l’arsenal symbolique organisé autour du mort.
Ch. Hugot : Qu’apporte la fouille d’une tombe dans notre connaissance des pratiques funéraires ?
W. Van Andringa : La fouille d’une tombe est l’occasion d’enregistrer chaque pièce de mobilier ou d’équipement disposé dans la cavité constituant la dernière demeure du défunt : ainsi peut-on retrouver l’enchaînement des gestes depuis la collecte des os calcinés dans un linge (des fragments de tissu sont parfois conservés) jusqu’à leur dépôt dans une urne disposée dans la tombe. Le dépôt sur les os du défunt d’un flacon à parfum ou d’une monnaie documente alors une séquence rituelle intervenue lors de la mise au tombeau des restes du mort.
Ces différents actes identifiés par l’examen des objets et de leur contexte ont évidemment autant de valeur que les descriptions des textes littéraires. Lorsqu’on étudie la mort, point de surprise à constater que l’objet d’étude essentiel est bien le mort. L’étude anthropologique des os humains révèle l’identité du défunt (âge et sexe), mais donne surtout des informations capitales sur les gestes et symboles planifiés par les vivants autour de celui-ci. Enfin, la fouille des sols de terre des enclos funéraires, sans cesse modifiés par le creusement des tombes et l’aménagement des concessions, livre les traces des cérémonies de commémoration célébrées en l’honneur des morts. Ce peut être des flacons en verre laissés sur le sol une fois leur contenu vidé dans un tube à libations, simple conduit en terre cuite permettant d’arroser de parfum les os carbonisés du défunt enfermés dans la tombe. Ce peut être des fragments de fruits conservés grâce à leur carbonisation et récupérés par un tamisage des sédiments à maille très fine. Ce peut être des fragments de gobelets à liquide (du vin) brisés sur place. L’ensemble des observations récoltées, consignées et discutées autorise au final une restitution des évènements, délivrant le sens donné par les Pompéiens à la mort, définie comme une transformation et un changement de statut. L’archéologie n’est finalement plus très loin de l’anthropologie sociale.
Ch. Hugot : À Pompéi, l’éruption du Vésuve a sans doute fossilisé des pratiques funéraires qui peuvent être difficilement visibles sur d’autres sites.
W. Van Andringa : L’un des avantages de Pompéi est en effet que l’éruption du Vésuve, en 79 ap. J.-C., en stoppant net la vie sur le site, a également mis un terme à la multiplication des perturbations du sous-sol qui rendent la lecture des phénomènes souvent plus difficile sur les sites occupés, eux, sur la longue durée. La fouille et l’enregistrement scrupuleux des faits observés a comme autre avantage de pouvoir placer les évènements décrits dans un enchaînement chronologique. Cela permet de pouvoir décrire l’évolution d’un espace funéraire sur quelques générations à peine, de la fin de l’époque républicaine aux Flaviens.
Pour ne prendre qu’un exemple, on a retrouvé le bûcher d’un enfant esclave de six ans, Bebryx. La découverte de son bûcher et la relation que l’anthropologie a permis de faire avec sa sépulture autorisent une restitution des évènements avec quelques détails. L’enfant, mort à l’époque flavienne, a reçu des funérailles dignes de ce nom. Le bûcher a été dressé sur l’aire de crémation mitoyenne de l’enclos. Une lampe a été allumée au pied du bûcher, symbolisant l’opposition entre le jour de la vie et les ténèbres de la mort. Une fois la crémation terminée, les os du défunt ont été prélevés avant que ne soient rendus les derniers hommages sous la forme d’une libation de vin et de parfum. Le linge contenant les restes de l’enfant a ensuite été glissé dans une urne en céramique déposée dans la tombe. Une cruche fut utilisée comme conduit à libations. Un flacon en verre déposé derrière la stèle atteste d’un geste de commémoration intervenu lors de la fête des morts. Le conduit à libations était rempli des pierres ponces de l’éruption, preuve que celui-ci était tout à fait fonctionnel en 79.
Lors des funérailles de Bebryx, l’éruption n’est plus très loin et les tombes de certains enclos sont encore visitées comme l’attestent quelques tubes à libations encore ouverts ainsi qu’une monnaie frappée en 77-78 ap. J.-C. Toutefois, la plupart des conduits à libations sont obturés par de la terre d’infiltration, un fait qui pose la question de l’entretien des sépultures dans les années qui précèdent la catastrophe. Au même moment, des urnes sont déposées, à peine recouverte d’un peu de terre, écho probable d’une situation de précarité déjà observée dans les habitations.
« l’archéologie d’aujourd’hui enrichit indéniablement notre connaissance des sociétés antiques »
Toutes ces informations, capitales pour la compréhension de la gestion des monuments funéraires, ont été récoltées grâce à l’étude fine des modifications apportées aux remblais de terre et aux tombes formant le quartier funéraire fouillé autour du tombeau des Vesonii. En ce sens, l’archéologie d’aujourd’hui enrichit indéniablement notre connaissance des sociétés antiques, fabriquant de l’histoire à partir du détail. Tous les aspects de la vie des anciens sont dévoilés au prix d’un examen minutieux des remblais de terre et des traces anthropiques laissées par des siècles d’activité.
Pour en savoir plus
W. Van Andringa, H. Duday, S. Lepetz et al., Mourir à Pompéi : fouille d’un quartier funéraire de la nécropole romaine de Porta Nocera (2003-2007), Collection de l’école française de Rome, 2013, 1451 p. en deux volumes : Vol. 1, Analyses des contextes archéologiques et synthèses générales ; Vol. 2, Artefacts et écofacts en contexte funéraire : analyses et synthèses par type de matériel archéologique (sous presse). Voir le site de l’éditeur : www.ecole-francaise.it
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « Mourir à Pompéi », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 14 janvier 2013. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2013/01/14/mourir-a-pompei/>. Consulté le 21 November 2024.