Au-delà des clichés …
En juin 2013, Gilbert Naessens fera valoir ses droits à la retraite. Entré à l’université Lille 3 en 1969, il était photographe du Centre de recherche archéologique Halma-Ipel. L’occasion pour nous de présenter une profession, au-delà des clichés …
Gilbert Naessens est entré le 15 octobre 1969 à la Faculté des Lettres de Lille après des études de photographe au Lycée Baggio à Lille. Il intègre le service de photographie de l’université dont la principale activité est alors de fournir les photographies en noir et blanc, couleur et diapositives pour la pédagogie. Il s’agit, pour l’essentiel, de reproduire en photographie l’iconographie des livres pour servir de support à l’illustration des cours d’histoire, d’histoire de l’art et des arts plastiques.
Peu à peu, ses activités l’amènent à travailler essentiellement pour l’archéologie et l’égyptologie. Il accompagne les archéologues sur le terrain et traite les images issues des divers chantiers : il devient photographe de l’UMR Halma-Ipel1.
Christophe Hugot : Quels ont été les principaux chantiers archéologiques auxquels tu as participé comme photographe ?
Gilbert Naessens : J’ai été en mission à Tell el-Herr, dans le Sinaï, à 35 km à l’est du Canal de Suez, avec Dominique Valbelle ; au Soudan avec Francis Geus ; à Tell al-Nasriyah en Syrie avec Dominique Parayre ; à Tell el-Farama (Péluse) en Égypte avec Charles Bonnet pour les universités genevoises ; à Dürres en Albanie, et à Thasos en Grèce avec Arthur Muller.
Ch. Hugot : Quel est le rôle d’un photographe en mission archéologique ?
G. Naessens : Le photographe effectue principalement deux types de prises de vue : d’une part, la couverture photographique de la fouille in situ (les couches stratigraphiques, les élévations …) et, d’autre part, la prise de vue des objets issus de la fouille, ou présents au Musée, comme à Thasos ou Tirana. J’aime également photographier ce que j’appelle le « folklore », la vie de la fouille. Après la mission, il y a un important travail à réaliser sur les images collectées.
Ch. Hugot : Qu’est-ce qui différencie le travail sur le terrain et le travail en studio ?
G. Naessens : Il y a d’abord les difficultés d’installations précaires : il faut pouvoir réaliser des photographies dans des studios improvisés, faits de bric et de broc, dans des emplacements incongrus, parfois sans électricité. Il y a les administrations tatillonnes. Au Musée de Durrës, où je devais photographier des objets, le début de ma mission fut chaotique parce que personne ne savait qui devait payer l’électricité servant au déclenchement du flash ! Un souci est de pouvoir acheminer un matériel lourd sur la mission et d’avoir parfois à composer avec des douanes suspicieuses. Dans certains pays, quand vous êtes fiché comme photographe, vous pouvez toujours être suspecté d’être espion. Parfois, c’est l’une des raisons pour lesquelles votre matériel ne vous parvient pas : on se méfie de l’usage que vous pouvez faire de votre matériel. Les pays où se tiennent les chantiers de fouille ne sont pas toujours des havres de paix. Certaines missions sont aujourd’hui arrêtées en raison de conflits. Quand je regarde les photographies prises en Syrie, je ne peux m’empêcher de penser que plus d’un archéologue avec lequel j’ai travaillé n’a plus donné signe de vie depuis des mois. Au Sinaï j’ai assisté à une fusillade avec des bédouins qui a fait deux morts à un poste frontière.
Ch. Hugot : Dans son ouvrage Sur les pas d’Horus, l’égyptologue Dominique Valbelle mentionne ton ingénieuse utilisation d’un ballon pour réaliser des prises de vue. De quoi s’agit-il ?
G. Naessens : Quand on doit photographier des structures, la difficulté est de ne pas dégrader le sol. Je me suis ainsi servi d’une perche réalisée avec Frédéric Wilson dans le cadre du Club d’Electronique et Microprocesseur de Ronchin (59). La perche d’un mètre de long pouvait atteindre sept mètres et permettait de faire des photographies avec un tilt horizontal ou vertical. Mais une photographie prise à sept mètres de hauteur n’est pas toujours satisfaisante pour un archéologue. On peut faire des photographies du haut de la nacelle d’une grue, comme à Tell al-Nasriyah. On peut encore se servir d’un cerf-volant, mais si le recours à un cerf-volant est valable en plein désert, où il n’y a pas grand risque, c’est impossible en zone urbaine, parce que le cerf-volant finit par tomber. Et puis il y a eu l’invention de ce ballon. Cet objet réalisé également avec le Club de Ronchin permet de faire des photographies aériennes à 150 mètres de hauteur. Je l’utilise beaucoup à Thasos, par exemple. Il existe des drones à huit pales qui font de la photographie aérienne, mais le ballon reste aujourd’hui la solution la moins onéreuse.
Ch. Hugot : Y a t-il une manière particulière de photographier un objet archéologique ?
G. Naessens : Il faut faire parler l’objet. Il y a deux catégories importantes de photographies d’objets archéologiques : la photographie technique − qui permet en particulier à l’archéologue de pouvoir faire ses mesures − et la photographie esthétique, celle qui met en valeur un objet particulier. Pour un mois de photographie en mission, il faut compter deux mois de post-production. Dans les locaux de l’université, à l’aide de logiciels de création graphique et de retouche, je vais reprendre les photographies enregistrées, par exemple pour détourer l’objet, comme dans l’image présentée ici de cornes illustrant le catalogue de l’exposition « Boat ». L’ensemble des photographies est indexé : je reporte pour chacune d’elles l’année de prise de vue, le lieu de la trouvaille, le directeur de mission, j’indique encore le numéro d’inventaire dans le cas de pièces de musée ainsi qu’un numéro individuel d’identification. Outre le stockage des photographies, conservant la mémoire des objets trouvés en fouille, je vais contribuer à illustrer les publications scientifiques ou de vulgarisation scientifique, les catalogues d’exposition ou de musée. Les photographies réalisées en Grèce servent également à alimenter la photothèque de l’École française d’Athènes.
Ch. Hugot : Au cours des quatre décennies passées comme photographe de l’université puis attaché à un centre de recherche archéologique, tu as connu le passage de l’argentique au numérique. Comment as-tu vécu cette évolution ?
G. Naessens : C’était un passage obligé. Il m’arrive parfois de regretter de n’avoir plus les « mains dans la soupe », quand je faisais moi-même les opérations chimiques du tirage des photos. On passe désormais beaucoup de temps sur écran. Avec l’arrivée du numérique, chacun a également pu croire qu’il pouvait être photographe et se dispenser des compétences d’un photographe professionnel. Il y a alors parfois la mauvaise surprise d’une prise de vue inexploitable.
- HALMA-IPEL−UMR 8164 (CNRS, Lille 3, MCC) : http://halma-ipel.recherche.univ-lille3.fr/ [↩]
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « Profession : Photographe en archéologie », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 25 avril 2013. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2013/04/25/photographe-en-archeologie/>. Consulté le 24 November 2024.
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