À la redécouverte d’une des merveilles de Bailleul.
Le Musée Benoît-De-Puydt de Bailleul possède un ensemble de « cabinets ». Le présent billet d’Insula s’intéresse à un cabinet italien du XVIIe s. dont l’iconographie a longtemps bénéficié d’une lecture « homérico-virgilienne », mais qui serait plutôt à lire à la lumière des Métamorphoses d’Ovide.
Le cabinet italien de Bailleul, premier essai d’interprétation des scènes figurées
Le Musée Benoît-De-Puydt possède, au sein de sa riche collection de « cabinets », un cabinet italien du XVIIe s. (inventaire 992.17.4), entré dans les collections en 1859. Fait d’ébène, d’os et d’ivoire, le meuble possède, gravées dans cet ivoire, des représentations de scènes mythologiques. Cette riche iconographie a longtemps été interprétée comme une illustration de l’Enéide de Virgile. Contrairement à cette lecture, nous voudrions montrer ici que les scènes ont leur/s source/s dans des illustrations des Métamorphoses d’Ovide. Le cabinet peut offrir un cas intéressant de réception du ‘couple’ Virgile-Ovide.
Hauteur du meuble : 162 cm ; Largeur : 134 cm ; Profondeur : 38,5 cm
Catalogue manuscrit Swynghedauw, 1889 (n°1886 p. 990).
Une lecture « homérico-virgilienne »
Le sujet des plaques d’ivoire gravé qui ornent les douze tiroirs de ce cabinet est réputé1, au moins depuis le catalogue manuscrit de Swynghedauw (1889), provenir de l’Énéide de Virgile. Plusieurs éléments concourent indéniablement à cet effet :
- en premier lieu, il s’agit de la présence (en bas à gauche [scène 8]) de la scène très fameuse du départ d’Énée loin de Troie en flammes, avec son père sur les épaules et son fils près de lui (Virgile, Énéide II, 721-729) ;
- la scène infernale qui occupe le centre du niveau inférieur [scène 11], avec Orphée et Eurydice (une inscription garantit l’identification de la scène), peut également être tenue pour virgilienne puisque, dans l’état de nos connaissances, Virgile est le premier auteur à avoir traité l’histoire telle qu’elle s’est perpétuée jusqu’à nous (en se retournant trop tôt, Orphée perd Eurydice qu’il avait pourtant arrachée au séjour des morts) ;
- enfin, les scènes visiblement tirées de la « matière troyenne » qu’un premier regard fait repérer ici et là n’ont, certes, pas toutes leur pendant dans l’Énéide; mais l’imitation profonde d’Homère par Virgile et le souvenir persistant de la guerre de Troie dans son épopée font qu’il n’est pas du tout absurde de les y référer : ce peut être, par exemple, le cas de ce qui apparaît d’abord comme un Enlèvement d’Hélène sur la plaque centrale du niveau supérieur [scène 4], au-dessus d’Orphée et Eurydice (Virgile – pas plus qu’Homère d’ailleurs – ne relate directement ce rapt, mais il le fait ‘rejouer’ par Énée, du moins dans les yeux des Latins qui lui sont hostiles et considèrent qu’il veut ‘enlever’ Lavinia, fille du roi des Latins, Latinus2.
Une fois que cette lecture est enclenchée, il faut dire que les ‘autres pièces du puzzle’ se mettent aisément en place et ce, d’autant plus que l’auteur des gravures n’a pas caractérisé chacun de ses personnages au point que cela empêche cette identification préférentielle : ainsi, la scène 3, où une déesse rend visite à un homme forgeant des armes n’interdit pas de préférer voir la scène du livre VIII de l’Énéide, où Vénus demande à Vulcain des armes pour Énée, plutôt que la scène-modèle de l’Iliade, où Thétis demande à Héphaïstos des armes pour Achille3. De manière plus significative encore, les deux scènes de sacrifice qui se trouvent tout à droite du niveau supérieur peuvent s’éclairer l’une l’autre à travers la référence à l’Énéide : on peut hésiter en ce qui concerne l’identité du roi sacrifiant sur la première ; mais la reine qui prie Junon sur la seconde fait sans doute penser à Didon4 ; la mise en parallèle des deux figures peut alors faire pencher pour Priam en ce qui concerne le roi encore non identifié, parce que Priam et Didon sont effectivement mis en parallèle dans l’Énéide de Virgile (tous deux connaissent un semblable renversement de fortune).
Une lecture ovidienne
Une lecture « virgilienne » ou « homérico-virgilienne » des scènes illustrant ce cabinet demeure ainsi possible. Toutefois, pour représenter ces scènes, le graveur s’est appuyé sur des modèles, modèles qui, souvent, pour les cabinets des XVIe-XVIIe s., provenaient de gravures réalisées pour des éditions illustrées, en l’occurrence, des auteurs antiques5. Or, si l’on s’emploie à chercher les modèles qui ont pu ‘inspirer’ à l’artiste ici concerné ces scènes apparemment virgiliennes, ce n’est pas dans des éditions illustrées de Virgile qu’on les trouve, mais dans des éditions illustrées… d’Ovide : le modèle dominant des scènes gravées qui décorent le cabinet italien de la collection du musée Benoît-De-Puydt n’est pas moins ovidien que celui des deux cabinets flamands à scènes mythologiques. Ce modèle est la Métamorphose d’Ovide figurée publiée en 1557 chez le célèbre éditeur lyonnais Jean de Tournes et due au non moins célèbre peintre et graveur sur bois Bernard Salomon6. Il s’agit d’un recueil d’illustrations couvrant tous les ‘épisodes’ de l’épopée d’Ovide, les Métamorphoses : 178 gravures occupant chacune une page, surmontées d’un titre et accompagnées d’un huitain anonyme mais souvent attribué à Barthélémy Aneau. Huit des quatorze scènes représentées sur le cabinet apparaissent comme le fruit d’une ré-élaboration de gravures contenues dans cet ouvrage (les scènes 2, 3, 4, 6, 7, 10, 12, 13 [pour l’identification de chaque scène, en relation à ce modèle, voir infra]). Pour les scènes 1, 8, 9, 14, l’« imitation » (comme élément positif d’une démarche créatrice qui assume de s’appuyer sur des modèles) semble moins indiscutable parce que des éléments majeurs ont été modifiés (par ex., la scène contemplée par la femme en haut de la tour dans la scène 1) ou laissés de côté (par ex., le labyrinthe de Crète, dans la scène 14) ; il est néanmoins possible que les gravures de Bernard Salomon aient servi de référence de départ. Douze scènes sur quatorze trouveraient ainsi leur origine dans cette édition illustrée particulière (car en français et sous la forme d’abrégés versifiés) des Métamorphoses d’Ovide.
La présence de deux « intrus » ne s’explique pas de la même manière : le jugement de Pâris, représenté dans la scène 5, n’est pas relaté dans les Métamorphoses (mais dans la seizième des Héroïdes d’Ovide), et à la différence d’autres graveurs, Bernard Salomon n’a pas cherché à l’inclure à tout prix dans sa Métamorphose figurée. Une gravure très ressemblante se trouve dans l’édition d’une des plus célèbres traductions françaises des Métamorphoses au XVIIe siècle, celle de Nicolas Renouard : cette traduction est accompagnée de différents textes qui ne sont pas d’Ovide, dont un Jugement de Pâris ((Le titre de l’œuvre en fait mention : Les métamorphoses d’Ovide, traduites en prose françoise [par N. Renouard] et de nouveau… reveües… avec XV discours contenans l’explication morale et historique, de plus, outre le Jugement de Pâris, augmentées de la Métamorphose des abeilles traduite de Virgile, de quelques épistres d’Ovide et autres divers traités, Paris, Vve Langelier, 1619. Deux noms de graveurs sont indiqués dans la notice de la Bnf : Jean Mathieu (1590) et Isaac Briot (1585-1670). Je remercie Océane Puche pour son aide dans le repérage de cet ouvrage.)) ; sur la gravure qui précède ce dernier, la position assise, le chapeau et le bâton de Pâris, l’étendard de Minerve, la présence de Cupidon et la posture des quatre divinités (avec celle de droite, devant le paon de Junon, qui est sans doute Diane) sont très proches de la scène peinte sur le cabinet7. L’artiste du cabinet, qui, tout en gardant Ovide comme première référence, paraît surtout avoir voulu illustrer l’histoire de la guerre de Troie (nous y reviendrons), a peut-être choisi sciemment de puiser dans une œuvre – l’édition-traduction de Renouard – qui faisait du jugement de Pâris un élément à part entière du corpus ovidien, le texte éponyme ne fût-il pas d’Ovide même. En ce qui concerne l’autre gravure apparemment sans lien avec la Métamorphose de Bernard Salomon et qui est sans doute la gravure la plus impressionnante de tout le cabinet, son modèle est le dessin d’un artiste renaissant illustre : un des frères Carrache, Augustin (Agostino Carracci, 1557-1602). À côté des gravures d’après les toiles de grands maîtres qui firent sa réputation, ce dernier commit une série de gravures de son cru, des compositions érotiques qui s’attirèrent la censure du pape Clément VIII, les Lasciuie : l’Orphée et Eurydice fait partie de cet ensemble, quoique la scène ne soit pas à proprement parler érotique ; elle est même centrée sur le moment dramatique où Orphée perd Eurydice8, qui lui échappe déjà, reprise par les flammes des enfers9. Sur la scène du cabinet, le séjour des morts ne se réduit pas à ces flammes : l’artiste a développé à l’arrière-plan un paysage au centre duquel un autre personnage est identifié par une inscription, un damné célèbre, Tantale (« Tantalo » en italien). Crime et châtiment varient pour ce personnage ; à la Renaissance, la peine qui lui est le plus souvent associée, notamment dans les livres d’emblèmes, consiste à être entouré par de l’eau claire et placé à proximité d’un arbre fruitier, sans pouvoir toucher à l’un et à l’autre afin d’apaiser sa faim et sa soif : telle est la peine retenue pour celui qui est alors traité comme le modèle des avares ou des bavards (d’après l’antique version de son crime selon laquelle il aurait révélé des secrets des dieux)10.
Si le recours au modèle d’Agostino Carracci pour la scène principale du cabinet ne donne pas à ce dernier une couleur érotique, il pourrait, en revanche, renforcer son identité « ovidienne » : toutes les sujets mythologiques traités dans les Lasciuie ne proviennent pas d’Ovide, mais la « lascivité » fait partie des caractéristiques dont Ovide fut affublé par la critique littéraire dès l’Antiquité11. L’idée de la poésie ovidienne qui émane du cabinet est cependant très éloignée de ce jugement. En effet, si l’on en revient aux douze scènes qui pourraient avoir été modelées d’après la Métamorphose figurée de Bernard Salomon, force est de constater que l’artiste ne s’est pas du tout concentré sur le thème qui apparaît si dominant dans l’épopée d’Ovide, au point parfois de la rendre problématique en tant que telle : l’amour. Seules les scènes 1, 13, 14 et, indirectement, 7, relèvent de ce thème et s’associent à ce titre à l’Orphée et Eurydice. De manière encore plus nette et frappante, le thème essentiel des Métamorphoses – la métamorphose – n’est pas du tout représenté quant à lui. Par contraste, six scènes appartiennent au cycle épique prédominant dans l’Antiquité, en raison du prestige indépassé des épopées homériques puis de l’importance, à Rome, de l’Énéide de Virgile : le cycle troyen. De la fondation de la cité aux lendemains de la défaite, l’histoire de Troie est bien la principale histoire que les scènes gravées du cabinet invitent à recomposer. Dans les Métamorphoses, Ovide a effectivement retraité, lui aussi, cette matière illustre. Mais il l’a fait comme en passant – la guerre de Troie et l’histoire d’Énée ne sont en effet qu’un moment dans l’histoire du monde que propose le poème en ses quinze livres – et d’une manière qui met parfois en cause la valeur des grands modèles héroïques associés à Troie. Mais l’artiste du cabinet ne voyait peut-être pas les choses de la sorte et il est possible qu’Ovide ait représenté pour lui l’un des plus grands poètes (épiques) de l’Antiquité, à égalité avec Homère et Virgile, voire interchangeable avec eux. (Ainsi, associer à Ovide la scène, si essentielle pour la définition de l’héroïsme d’Énée – fameux pour sa « piété » –, de sa fuite de Troie avec son père et son fils, suppose que l’on ne fasse pas trop de distinctions entre Virgile et Ovide – chez qui la piété ne compte pas tant.) L’importance que l’artiste accordait à Ovide en tant que tel peut cependant être questionnée en fin de compte, quand on analyse les différentes scènes de plus près : la simplification et la généralisation qui s’y manifestent font que les scènes qui pourraient garantir le plus un lien avec les Métamorphoses (Scylla amoureuse de Minos [1], Alcyoné priant Junon [7] notamment) sont modifiées de telle sorte qu’on peut les lire suivant une clé plutôt homérique (la scène 1 évoque surtout le topos épique de la teichoscopie – « vue des remparts » – dont le modèle fondateur se trouve au livre III de l’Iliade ((Iliade III, v. 146 sqq.))) ou virgilienne (la femme priant Junon tandis que deux déesses s’entretiennent dans le ciel fait penser à Didon, ‘jouet’ et victime des intrigues de Vénus et de Junon au livre IV de l’Énéide). Il sera sans doute difficile de dire si l’artiste du cabinet s’est seulement ‘servi’ d’Ovide (au travers des illustrations de ses œuvres) pour en faire autre chose (pour que ‘ses’ illustrations illustrent en fait d’autres œuvres !), ou s’il a voulu, sinon en faire, du moins le traiter comme un autre Homère ou Virgile. Quoi qu’il en soit, il a vraisemblablement cherché à encourager une pluralité de lectures de ses scènes gravées et de l’ensemble qu’elles constituent.
Identification des scènes du cabinet italien
[Dans la confrontation avec la Métamorphose d’Ovide figurée de Bernard Salomon, « voir » indique que le rapport entre la scène gravée sur le cabinet et son modèle dans l’œuvre de Salomon est étroit et assez sûr, « cf. » qu’il y a des modifications importantes qui ne permettent pas d’être totalement sûr de l’emprunt.]
1. Scylla (?)
Cf. planche 89 de la Métamorphose d’Ovide figurée (et Ovide, Mét. VIII, 17-37).
→ Gallica
C’est la figure féminine en haut de la tour qui suggère un rapprochement. La scène observée par la femme ne correspond pas, cependant : dans l’histoire concernée, Scylla, fille de Nisus, tombe amoureuse de Minos dès lors qu’elle l’aperçoit assiégeant la ville de Nisa. Minos, autrement dit, n’est pas censé apparaître en plein combat, mais plutôt paradant. L’artiste a-t-il voulu recréer une autre scène mythologique précise ? ou illustrer le topos épique de la teichoscopie ?
2. Laomédon et la construction des murs de Troie
Voir la planche 134 de la Métamorphose d’Ovide figurée (et Ovide, Mét. XI, 194-206).
→ Gallica
Le travail de sélection / simplification / généralisation opéré par l’artiste est ici très net : la position des trois figures sur lesquelles il a choisi de se concentrer autorise le rapprochement avec la gravure de Bernard Salomon. Mais il n’y a plus d’attributs qui permettent d’identifier avec certitude les deux personnages au travail, qui plus est rajeunis ; la suite de l’histoire est également omise (l’envoi d’un monstre marin, le sacrifice de la fille du roi, Hésione, exposée à ce monstre jusqu’à ce qu’Hercule la libère).
3. Thétis et Vulcain
Voir la planche 149 de la Métamorphose d’Ovide figurée (dans Ovide, Mét.XIII, 288-291, la démarche de Thétis fait l’objet d’une allusion, dans la bouche d’Ulysse, au sein de l’épisode du Jugement des armes).
→ Gallica
Il y a ici une grande fidélité dans l’imitation, à quelques outils − omis − près, et considérant que l’artiste a davantage travaillé l’expression du visage des deux protagonistes. Il a aussi remplacé le paysage de montagnes par un paysage de collines toujours agrémenté d’habitations.
4. Hécube emmenée comme captive
Voir la planche 151 de la Métamorphose d’Ovide figurée (et Ovide, Mét. XIII, 418-425).
→ Gallica
L’artiste n’a retenu qu’une figure féminine, là où Salomon a représenté au moins une autre des « dames » tirées du temple où elles s’étaient réfugiées et emmenées comme captives à l’issue de la guerre de Troie. Cela a pu contribuer et peut encore contribuer à penser d’abord à une figure plus « mémorable » que la reine de Troie épouse de Priam, à savoir Hélène. Mais l’enlèvement de cette dernière n’est pas principalement connu comme s’étant déroulé dans la violence, alors qu’il semblerait presque ici que les combats de la guerre continuent.
5. Jugement de Pâris
Voir la description principale (et l’illustration sur Gallica. En supprimant le paon, l’artiste a fait de Diane la troisième déesse participant au jugement, au lieu de Junon (?).
6. Sacrifice d’Iphigénie (?)
Voir la planche 143 de la Métamorphose d’Ovide figurée (et Ovide, Mét. XII, 27-34).
→ Gallica
La position et les gestes des figures qui ont été reprises ne laissent pas de doutes quant à la réalité de l’emprunt. Mais l’extrême simplification de la scène fait se demander s’il faut encore y lire un sacrifice d’Iphigénie : il ne reste plus qu’un roi devant un bûcher, sur lequel un animal brûle qui ressemble plus à un mouton qu’à une biche ; les deux femmes dans le ciel peuvent être Artémis/Diane et Iphigénie sauvée, mais aucun élément de contexte (autres personnages, flotte amarrée) ne le garantit absolument.
7. Alcyoné adressant des prières à Junon pour son époux Céyx
Voir la planche 139 de la Métamorphose d’Ovide figurée (et Ovide, Mét.XI 577-591).
→ Gallica
La ressemblance est ici très nette ; mais à l’exception de la statue divine dans le temple – le paon qui est à côté d’elle permet de savoir qu’il s’agit de Junon – l’artiste a supprimé les détails permettant une identification précise de la scène ; les deux déesses conversant dans le ciel sont présentées sans attributs (chez Bernard Salomon, le paon pour celle de gauche et l’arc-en-ciel pour celle de droite permettent de reconnaître Junon et Iris, au moment où la première demande à la seconde d’aller chercher Songe pour qu’il annonce à Alcyoné la mort de son époux). Le cadre lui-même éloigne de l’histoire d’Alcyoné et de Céyx : la mer sur laquelle celui-ci a péri lors d’une tempête laisse peut-être la place à un lac sans embarcations visibles.
8. Énée quittant Troie avec son père sur ses épaules et son fils à côté de lui
Cf. la planche 157 de la Métamorphose d’Ovide figurée (et Ovide, Mét.XIII, 623-627).
→ Gallica
Le paysage et surtout l’apparence des édifices sont différents ; surtout, Ascagne (peut-être oublié par Bernard Salomon pour autant qu’il en est bien question dans le texte en vers) a été ajouté ! L’a-t-il été d’après le modèle de Raphaël (L’incendie du Borgo) dont il a été question, jusqu’ici, à propos de cette gravure ? (La position de ses bras et surtout, du bas de son corps ne sont cependant pas semblables)
9. Jugement des armes
Cf. la planche 148 de la Métamorphose d’Ovide figurée (et Ovide, Mét.XIII, 1-381).
→ Gallica
Les deux hommes en discussion − sans doute, Ulysse et Ajax en train de se disputer les armes d’Achille − ressemblent beaucoup à ceux du modèle fourni par Salomon. L’artiste a, comme à son habitude, supprimé les personnages secondaires, ici, les guerriers grecs attroupés et spectateurs de la joute verbale entre les deux héros. Il a aussi omis le casque et même le bouclier (!) parmi les armes et placé la cuirasse et la pique entre les deux rivaux. Un modèle intermédiaire l’y a-t-il décidé ou son habitude de se centrer sur les éléments-clefs des épisodes concernés est-elle surtout responsable de cette disposition ?
10. Talos/Perdix
Voir la planche 94 de la Métamorphose d’Ovide figurée (Ovide, Mét.VIII, 240-259).
→ Gallica
Beaucoup d’éléments sont conservés, même s’il n’y a pas l’oiseau (en particulier au premier plan), qui aide, peut-être, à reconnaître le mythe (par le ‘produit’ de la métamorphose). Le paysage se retrouve aussi (habitations, arbres et montagnes, même si celles-ci ont leurs sommets plus arrondis sur le meuble). Les personnages en haut de la tour sont différents eux aussi, plus jeunes en tout cas : c’est surtout le cas du personnage principal, Perdix (qui n’a pas de coiffe).
11. Orphée et Eurydice aux enfers
Voir la description principale, et Ovide, Mét.X, 40-63.
Liens vers les images : www.metmuseum.org ; www.uni-mannheim.de
Citation latine inscrite : « Euridice rescipiente Orpheo ad inferios revocatur »
12. Erysichthon
Voir la planche 101 de la Métamorphose d’Ovide figurée (et Ovide, Mét. VIII, 743-753).
→ Gallica
L’artiste s’est concentré sur l’essentiel de la scène, et a représenté l’arbre et les personnages en plus gros plan. Il a supprimé un des hommes à droite. Il a revanche introduit des habitations dans la campagne à l’arrière-plan gauche. Sans la référence à Ovide, l’on pouvait (et peut ?) être tenté de lire la scène comme le fruit de la ‘contamination’ de deux épisodes virgiliens : celui de Polydore au début du livre III de l’Énéide et celui de l’olivier sacré au livre XII (v. 766 sqq.).
13. Vénus amoureuse d’Adonis
Voir la planche 126 de de la Métamorphose d’Ovide figurée (et Ovide, Mét. X, 529-559).
→ Gallica
L’artiste a centré la scène sur le couple ici aussi ; il y a un moins de paysage, mais plusieurs éléments ont été conservés comme la scène de chasse à l’arrière-plan, la haie. Les personnages sont dans une posture similaire ; en revanche, la coiffe et la chevelure de la figure féminine sont différentes (cheveux, livres et habit d’allure non antique).
14. Thésée et Ariane (?)
Cf. la planche 92 de la Métamorphose d’Ovide figurée (et Ovide, Mét.VIII, 172-174).
→ Gallica
L’artiste n’a repris que les deux personnages et supprimé ce qui est central dans la gravure du livre, à savoir le Labyrinthe de Crète avec le Minotaure à l’intérieur. Une fois encore, il supprime les éléments permettant d’identifier la scène. Dans une lecture virgilienne, on pense à Énée et Didon.
Le travail sur ce cabinet n’en est ainsi qu’à son début… nous espérons le compléter bientôt et, en attendant, un travail collaboratif mené par des étudiants de première année de la licence HSI de l’Université de Lille devrait bientôt déboucher sur une première présentation détaillée – et imaginative – du « petit » cabinet flamand. À suivre, donc… et à bientôt à Bailleul !
- À l’origine de cette analyse – qui n’est encore qu’un début – le choc plaisant d’une rencontre, inattendue, avec ce cabinet dont Cyrille Ballaguy m’avait parlé (un vif merci à lui) et que je n’avais pas encore pris la peine (pas encore eu le temps) d’observer sur des photographies et encore moins d’aller visiter. « Scènes tirées de l’Enéide et de l’Iliade », disait à peu près le cartel de l’exposition Mercator-Ortelius au Musée de Cassel où le cabinet était alors exposé. Aussitôt ma curiosité de virgilienne fut piquée, et d’autant plus facilement que le meuble – l’œuvre – est magnifique. Les jours suivants, elle fut avivée par la mauvaise identification que j’avais faite d’une scène : je voulais que la scène 13 représente Énée et Didon amoureux (sincèrement, tendrement amoureux). Mais heureusement j’ai eu un doute, et j’ai commencé à chercher… un peu aveuglément d’abord, puis dans ce labyrinthe qu’est le site Ovid Illustrated de l’Université de Virginie. Grâce aux références trouvées là, j’ai ensuite passé en revue plusieurs éditions ou versions illustrées d’Ovide ; j’ai ainsi découvert B. Salomon, la possibilité que l’Hélène enlevée soit à l’origine Hécube, la confirmation que la scène 13 représente Vénus et Adonis, l’idée que l’ensemble illustre les Métamorphoses et non l’Iliade et l’Enéide… [↩]
- Voir ainsi Énéide VII, 359-364). [↩]
- Cf. Énéide VIII, 370 sqq. et Iliade XVIII, 388 sqq. [↩]
- Cf. Énéide IV, 59 sqq. [↩]
- Voir M. Riccardi-Cubitt, Un art européen : le cabinet, de la Renaissance à l’époque moderne, Paris, 1993, spécialement p. 49-50 sur des cabinets en ébène et ivoire gravé. Dans la préface d’un collectif dédié aux majoliques européennes et à leur rapport à l’estampe lyonnaise (Majoliques européennes, reflets de l’estampe lyonnaise, actes des Journées d’études internationales Estampes et Majoliques, Dijon, Faton, 2003), J.V.G. Mallet met en avant (p. 11-12) le rôle de l’estampe dans la diffusion des idées visuelles entre le Moyen-Âge et le XIXe s. et remarque, en particulier, que les livres illustrés à Lyon à partir du XVIe s. durent être reçus comme un « don du ciel » par les peintres de majolique et les artisans d’autres spécialités, en France et dans le reste de l’Europe. [↩]
- Sur celui qui s’était appelé lui-même le « petit Bernard », l’on dispose désormais de la monographie de P. Sharatt : Bernard Salomon, illustrateur lyonnais, Genève, Droz, 2005 (p. 150-165 sur l’illustration des Métamorphoses). [↩]
- L’image est visible sur Gallica. Elle a été reprise et réélaborée ensuite, ainsi pour la traduction de Du Ryer, plus tard dans le siècle (voir Gallica. [↩]
- L’inscription saisit même l’instant critique où Orphée jette le regard en arrière fatal à son épouse : « Quand Orphée se retourne pour la regarder, Eurydice est rappelée aux enfers ». [↩]
- Une analyse de la scène se trouve dans le mémoire de master (consulté en ligne) de W. Eubanks, The Lasciuie : Agostino Carracci’s Erotic Prints as the Sources for the Farnese Gallery Vault, University of Georgia, 2004, p. 28-29, et fig. 10 p. 107. Une copie conservée au Metropolitan Museum of Art de New York est visible sur www.metmuseum.org. [↩]
- Une représentation proche de ce que l’on voit sur le cabinet se trouve dans un livre d’emblèmes relativement peu connu : Mikrokosmos, par L. Haechtanus et G. de Jode (Anvers, 1579). Il s’agit de l’emblème 62 intitulé In garrulum (« Contre un bavard [/ les bavards] »). L’image est visible sur le site de l’Université de Mannheim. [↩]
- C’est un élément d’un jugement ancien célèbre, celui du rhéteur Quintilien, au livre X de son Institution oratoire (X, 1, 88 : « Ovide fut folâtre jusque dans ses vers héroïques »). [↩]
Lire aussi sur Insula :
Séverine Tarantino, « Une lecture inédite et ovidienne du cabinet italien du Musée Benoît-De-Puydt », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 23 mai 2017. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2017/05/23/une-lecture-inedite-et-ovidienne-du-cabinet-italien-du-musee-benoit-de-puydt/>. Consulté le 21 November 2024.