Des clichés surexposés.
Chaque nouvelle découverte archéologique un peu médiatique fait désormais référence à Indiana Jones et à la ville de Pompéi. On trouve des Indiana Jones de toutes les tailles et des « Pompéi » un peu partout. Ou réciproquement. Petite recension.
Le titre de notre billet pourrait faire croire à celui du prochain opus des films de Spielberg. Mais rien ne filtre sur le scénario du 5e Indiana Jones, dont la sortie en France serait désormais fixée au 8 juillet 2020. « Indiana Jones à Pompéi » serait la rencontre d’un personnage parmi les plus connus du cinéma, dans le cadre qui a donné lieu à de très nombreuses productions cinématographiques. Ce serait aussi la rencontre d’un archéologue avec un site archéologique. Mais notre « Indiana Jones à Pompéi » voudrait plutôt s’intéresser au phénomène qui touche ces deux noms, lesquels identifient de manière régulière, comme une rengaine, le métier d’archéologue et un site archéologique exceptionnel.
Indiana Jones = archéologue
« Les Indiana Jones de l’Inrap »
« Indiana Jones » est devenu l’antonomase d’une profession. De même qu’un coureur de jupons est un « Don Juan », il est bien connu qu’un archéologue est un « Indiana Jones » qui a pour mission de découvrir des « trésors ». Pour s’en convaincre, il suffit de suivre quotidiennement les médias. Une rapide revue de presse, essentiellement faite à partir d’articles de ces deux derniers mois, le confirmera. Ainsi, à Uzès, dans le Gard, le journal 20 Minutes rapporte que « les Indiana Jones de l’Inrap, l’Institut national de recherches archéologiques préventives, ne s’attendaient pas à la découverte d’un tel trésor » en déterrant une splendide mosaïque. À Aix-en-Provence, le héros n’est pas présent sur le chantier de fouilles mais, patience, « il ne serait pas vraiment étonnant de voir débarquer Indiana Jones au milieu des décombres » annonce Mésactu. À lire La Charente Libre du 18 juillet 2017, le site paléontologique d’Angeac-Charente semble le cadre idoine pour servir de décor exotique au prochain film de Spielberg :
« La carrière dédiée aux fouilles a des airs de décor de cinéma. De grandes tentes, des looks d’aventuriers tout droit sortis d’«Indiana Jones», de l’argile à perte de vue ».
Si l’aventurier est né dans le New Jersey, le titre d’Indiana Jones n’a pas de frontières. L’étiquette revient sans doute à l’archéologue égyptien Zahi Hawass, « l’homme au chapeau d’Indiana Jones et à la chemise en jean », pour reprendre (entre autres) la description de Télérama. « Zahi Hawass, l’« Indiana Jones » égyptien » titre (par exemple) Le Parisien en 2010, voire « the ‘Real Indiana Jones' » pour The Telegraph en 2011, etc. À Krefeld en Allemagne, c’est Ulrich Esters qui est « Der Indiana Jones aus Linn », selon un article de RP Online du 2 août 2017. On peut être un Indy spécialiste : « Jean Cartier, l’« Indiana Jones » de la céramique du Beauvaisis » titre Le Parisien le 22 juillet 2017. Pour Le Figaro du 20 juillet 2017, même un détectoriste peut devenir un « Indiana Jones armoricain » pour avoir découvert « un trésor romain d’exception ». C’est sans doute à propos de tels « découvreurs » que l’on peut reprendre le mot de Jean-Olivier Gransard-Desmond dans Que faire à Paris ? du 16 juin 2016 : « Là où Indiana Jones passe, l’archéologie trépasse ! ».
Plus efficace que de revêtir un déguisement (chemise, chapeau et fouet), les stages ou initiations à l’archéologie semblent le plus sûr moyen pour pouvoir s’identifier au héros. « Vous vous sentez une âme d’Indiana Jones ? » demande Le Parisien du 31 juillet 2017 : « Alors participez à la nouvelle campagne de fouilles organisée par le musée Archéa, sur le site archéologique d’Orville à Louvres ». « Si l’imaginaire collectif a retenu Indiana Jones comme l’image d’Épinal de l’archéologue, qu’en est il en réalité ? » s’interrogeait pourtant le même journal le 8 mars 2017. La Nouvelle Union du 24 juillet 2017 confirme l’intérêt des stages pour les Indiana Jones en herbe (comme on dit souvent) : « Profitez du mois de l’archéologie pour vous glisser dans la peau d’Indiana Jones ». Mais c’est parfois à cette occasion que certains messages sont à faire passer. Ainsi, lors d’un week-end de présentation des métiers de l’archéologie au parc de Bliesbruck-Reinheim en juin 2017, Dimitri Mathiot (docteur en archéologie de l’Université de Lille et responsable d’opération du site) expose son plan d’attaque au Républicain Lorrain : « On veut casser l’image de l’archéologue à la Indiana Jones ». Parce que, comme le souligne La Provence en juin 2017 à propos des découvertes faites à Marseille :
« Parfois victimes de clichés, fantasmés tels des Indiana Jones des temps modernes, les archéologues ont un quotidien assez éloigné des arches perdues et du temple maudit. »
Avouons que certains journalistes échappent à la comparaison par une jolie pirouette : ainsi, dans Ouest France du 17 juillet 2017, le journaliste évoque un « archéologue de formation, très loin des clichés à l’Indiana Jones » et l’invité de la semaine du mois de juin 2017 de La Nouvelle République est présenté comme un « archéologue plus historien qu’Indiana Jones ». La journaliste de confirmer :
« On est loin de l’image d’Épinal de l’archéologue baroudeur, s’aventurant dans les temples incas façon Indiana Jones ou Lara Croft. Laborieux, précis, scientifique, le métier d’archéologue, qui a bien évolué depuis 20 ans, reste essentiel pour comprendre et préserver notre patrimoine ».
À noter, mais c’est sans doute pour une question de plastique (ou de misogynie), que Lara Croft est bien moins citée que Henry Walton Jones Junior dès qu’il est question de trouver un modèle aux archéologues. Rappelons qu’Indiana est un surnom qui était d’abord le nom du chien du héros, ce qui doit expliquer le flair indispensable pour faire ce métier. Or donc, un archéologue, un vrai, n’est pas un Indiana Jones (et, encore moins, semble t-il, une Lara Croft). L’Est Républicain a même trouvé « un archéologue anti-Indiana Jones » au sein de l’Inrap. Pourtant, affirme le National Geographic dans un très intéressant article intitulé « How Indiana Jones Actually Changed Archaeology », George Lucas a créé son personnage en s’inspirant d’archéologues comme Hiram Bingham, Roy Chapman Andrews ou encore Sir Leonard Woolley. Surtout, le personnage au chapeau aurait provoqué de nombreuses vocations d’archéologues.
Pompéi(s)
Indiana Jones ou pas, notre archéologue trouve des trésors. Et, le fin du fin, c’est de trouver Pompéi. Non pas de fouiller dans la cité de Campanie, où les premières « fouilles » datent de 1748, mais, bel et bien, de trouver un nouveau Pompéi. De même qu’il existe des tas de Venise à travers le monde (Bruges, « la Venise du Nord », le marais poitevin, « la Venise verte », etc), il existe sous nos pieds des tas de Pompéi qui s’ignorent. Heureusement, les médias sont là pour les pointer un peu partout sur la carte du monde.
Le dernier « Pompéi » en date, à l’origine de ce billet, est celui trouvé dans le Rhône et qui fait les gros titres de tous les médias depuis ce 1er août avec des articles conçus avec l’AFP : « Une « Pompéi viennoise » découverte au bord du Rhône » titre Le Point. Pompéi, certes, mais « une « petite Pompéï viennoise » » nuance Sciences et Avenir, voire une « mini-Pompéi » pour France Info qui joue les rabats-joie. Les guillemets sont là, les qualificatifs raisonnables, mais le mot est lancé : Pompéi. De quoi s’agit-il ? « Un faubourg entier de la Vienne romaine s’étendant sur 7000 mètres carrés a été mis à jour à l’occasion d’une opération d’archéologie préventive réalisée en bord de Rhône depuis avril 2017. Préservés par de multiples incendies, les édifices découverts par les archéologues présentent un incroyable état de conservation » (Sciences et Avenir). Le titre de « Pompéi » est vendeur. Depuis deux jours, le monde entier parle de la mini-Pompeï in Frankrijk, de la “piccola Pompei” a sud di Lione, the ‘little Pompeii‘ south of Lyon, un « Mic Pompei« , « küçük Pompei« , etc.
Retour en Italie. Fin juin 2017, le Figaro annonçait : « Un nouveau Pompéi découvert sur le chantier du nouveau métro à Rome ». Quatorze mètres sous terre, une maison carbonisée a été retrouvée avec son contenu (« des morceaux de bois, des fresques et fragments de meubles mais aussi, des sculptures et des fenêtres »), y compris les ossements d’un chien. « Les traces de ce que les archéologues surnomment déjà un «mini Pompei» ! ».
Le Maroc a aussi son Pompéi, consacré comme tel par le Napoli Post, en ce 1er août 2017 : « Volubilis, la Pompei del Marocco ». Le média italien justifie son manque de chauvinisme en écrivant en substance : « notre » Pompéi est unique mais d’autres sites antiques valent parfois qu’on fasse un détour pour faire des comparaisons.
Le Canada tient le sien. « Le Pompéi de Montréal au musée Pointe-à-Callière » titre La Presse en ce 18 juillet 2017, qui rapporte : «Notre Pompéi à nous», voici comment Louise Pothier, archéologue en chef du musée Pointe-à-Callière, décrit le site qui abritait le parlement du Canada-Uni, incendié en 1849″.
En juin 2017, un reportage était diffusé sur Arte relatif à la découverte du « Pompéi britannique » de l’âge du bronze qui avait été le sujet de nombreux articles en janvier 2016. Le journal La Croix résume : « À première vue, c’est une serre boueuse au sol jonché de branches d’arbres en pagaille. Les apparences sont trompeuses : Must Farm, près de Cambridge, est un site archéologique exceptionnel. La richesse de ses ruines datant de l’âge du bronze et leur exceptionnel état de conservation lui ont valu le surnom de « Pompéi britannique ». » Pensez donc : ce village construit sur pilotis, ravagé par les flammes, a été ensuite enseveli sous la vase qui a préservé les vestiges. Duncan Wilson, directeur général de Historic England, justifie la comparaison avec le site italien :
“L’analogie la plus juste à laquelle je peux penser, c’est Pompéi où une catastrophe a fait fuir tout le monde dans la précipitation, laissant derrière eux toute leur vaisselle. Certains n’y survivront pas. Ici, nous ne savons pas encore, mais nous avons trouvé des restes humains que nous sommes en train de mettre au jour”.
Notre recension ne se veut pas exhaustive, se limitant volontairement à quelques exemples publiés récemment dans les médias, mais une typologie semble toutefois s’imposer. Pour devenir un « Pompéi », un site doit soit posséder de belles élévations en un même espace, comme à Volubilis, soit posséder des éléments complets, et en bon état de conservation, révélant la vie d’un lieu (maison avec mobilier, de décor, voire restes de nourriture ou ossements), abandonné suite à une destruction soudaine, comme un incendie. Ou une explosion nucléaire. Abandonnée depuis 30 ans, Tchernobyl, devient « la Pompéi du communisme » pour L’Usine nouvelle. Pompéi n’est en effet pas seulement devenu le symbole de traces antiques, mais celui de notre propre civilisation au bord de l’effondrement, comme dans la chanson Pompeii chantée en 2013 par le groupe britannique Bastille :
« And the walls kept tumbling down
In the city that we love
Great clouds roll over the hills
Bringing darkness from above »
Nota Bene
Au fait : Pompéi brûle-t-il ? ou Pompéi brûle-t-elle ? En fonction des articles, on trouve la ville au genre masculin ou féminin. « La » Pompéi viennoise ou « le » Pompéi du Canada ? « Le » ou « la », c’est selon, il n’y a pas de règles véritables pour cela, même si le masculin tend à l’emporter sur une tradition qui faisait de Vaison « la Romaine ». Pour Pompéi, peu importe finalement que ce soit « le » ou « la » : on l’aura compris, c’est surtout « les ».
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « Indiana Jones à Pompéi », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 3 août 2017. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2017/08/03/indiana-jones-a-pompei/>. Consulté le 21 November 2024.