Louis Carton, médecin militaire et archéologue en Tunisie

Compte rendu de : Jean-Louis Podvin (éd.), Louis Carton, de Saint-Omer à Tunis, Shaker Verlag, 2017.

Les éditions Shaker Verlag viennent de publier les actes d’une journée d’études qui s’était tenue en mai 2015 à Boulogne-sur-Mer consacrée à la figure de Louis Carton, médecin militaire en Tunisie qui s’adonna à l’archéologie. Sous la direction de Jean-Louis Podvin, cette publication regroupe huit études en français dont nous souhaitons donner ici un rapide aperçu.

Compte rendu par Christophe Hugot, responsable de la Bibliothèque des sciences de l’Antiquité de l’Université de Lille.
Louis Carton, de Saint Omer à Tunis

Né à Saint-Omer (Pas-de-Calais) en 1861, Louis Benjamin Charles Carton devient médecin militaire en 1884 et part en 1886 pour la Tunisie, territoire récemment acquis à la France. Il fait carrière en Tunisie, à l’exception d’une période lilloise entre 1891 et 1902, jusqu’à sa retraite en 1907 où il s’installe à Carthage plutôt que de revenir dans la métropole afin de mener son activité devenue principale : l’archéologie. C’est en marge de ses occupations de médecin en Tunisie que Louis Carton découvre et s’initie à l’archéologie, explorant de nombreux sites dont il est parfois l’inventeur. Comme le note Jean-Pierre Laporte dans l’article qui clôt l’ouvrage (p. 135-170), il n’était alors pas rare que des militaires s’adonnent à l’archéologie en Tunisie, les militaires désœuvrés sur le plan guerrier cherchant par ce moyen à obtenir les Palmes académiques à défaut de Légion d’Honneur. Dans ce contexte, certains y mirent plus d’ardeur, comme François Icard, à qui l’article de J.-P. Laporte est consacré, Gustave Hanezo (article pdf) et, surtout, Louis Carton.

Portrait de Louis Carton issu « La beauté des ruines de Carthage ».

Louis Carton entreprend des recherches archéologiques en particulier à Bulla Regia, Dougga, Carthage et Sousse. Pages 63 à 74, Roger Hanoune s’intéresse au site de Thuburnica en Tunisie (Sidi Ali Bel-Kacem), certes moins connu que d’autres, mais « typique du style de Carton » qui agit dans ses fouilles en maître des lieux, y possédant une ferme installée sur le temple de Saturne, écornant des vestiges. Carton s’approprie une part de ses trouvailles archéologiques. Des photographies de sa villa Stella, située à Khéreddine, la montre remplie d’antiquités acquises frauduleusement, lesquelles se retrouvent dans son testament et dans les plaintes de Louis Poinssot, Directeur des Antiquités. Les relations de Carton avec les autorités archéologiques sont d’ailleurs très conflictuelles, parfois haineuses (Poinssot traite Carton de « malhonnête », de « fou », de « maître-chanteur »), Carton réalisant son activité archéologique en fustigeant les « savants », archéologues officiels et lointains, à l’esprit « administratif ».

Carte postale représentant la loggia de la villa Stella du docteur Carton.

La tension permanente entre Louis Carton et les autorités archéologiques françaises est le sujet d’un article de Jean-Marie Pailler (p. 75-87) qui montre Carton avoir maille à partir avec Paul Gauckler, de la Direction des Antiquités et Beaux-Arts, à propos des découvertes et de la valorisation du site d’Uppena (p. 75-97), mais également à propos d’autres sites où Carton est intervenu. Carton critique que la « province » soit délaissée au profit de Tunis et de la création du musée du Bardo (« mausolée officiel » dont Gauckler est « l’ombrageux gardien » qui s’accapare les trouvailles faites dans le pays), mais encore que le normalien (« habile dans la réclame ») puisse tirer une gloire usurpée des trouvailles archéologiques faites par d’autres. Derrière les attaques, parfois basses, souvent anonymes, pointe l’amère rancœur de Carton de n’avoir pas obtenu lui-même la fonction de Directeur du Serviteur des antiquités et des beaux-arts. Antonella Mezzolani Andreose se fait l’écho des disputes à propos de Carthage (p. 113-134). Roger Hanoune, dans un second article (p. 99-112), approfondit quant à lui ses recherches sur Carton entamées en 1967, en particulier concernant les fouilles de Bulla Regia, en se focalisant sur les archives Poinssot qui révèlent encore une fois l’âpre tension entre Carton et les autorités.

Claire Fredj s’intéresse à la présence de Carton en Tunisie comme médecin militaire et, plus largement, traite de la médecine militaire exercée alors dans cette récente colonie française (p. 45-61). Pour Carton, la carrière de médecin n’est guère qu’un gagne-pain. Si celui-ci semble peu s’intéresser à la médecine, écrivant peu de publications médicales, s’absentant de son poste sans en informer sa hiérarchie, il semble infiniment plus motivé à fouiller et à écrire des articles archéologiques. Il en publie en effet énormément, pour la plupart consacrés à l’Afrique du Nord, comme le montre la bibliographie en annexe du livre (p. 171-182). S’il devient membre correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, après des efforts laborieux pour s’y faire admettre, Carton cherche à s’adresser au-delà du cercle des savants en communiquant vers le plus large public. L’article d’Antonella Mezzolani Andreose souligne ainsi l’intense énergie qu’il déploie pour faire connaître les trouvailles réalisées en Tunisie, en particulier à Carthage : il publie des guides, prononce des conférences, rédige des articles pour la presse, organise des fêtes dans le théâtre romain. Son espoir est que les touristes (ces « pèlerins du passé ») viennent en Tunisie, attirés par les vestiges archéologiques, la mise en place d’infrastructures hôtelières et la mise en valeur des sites patrimoniaux devant stimuler l’économie locale.

Frontispice du programme de la fête du Théâtre romain organisée par l’Institut de Carthage (issu de la « Revue tunisienne », n° 59, sept. 1906).

Certes moins célèbre qu’Auguste Mariette, son voisin de Boulogne-sur-Mer, Louis Carton n’est pas un inconnu, en raison de l’importance de ses découvertes et de ses publications, mais encore pour avoir fait l’objet de diverses communications ou de chapitres historiographiques (pour Carthage, Bulla Reggia etc). Ces actes  devraient pourtant le faire découvrir davantage, en premier lieu comme un archéologue dont les mérites scientifiques sont très grands. Si la personnalité de Carton est parfois détestable, l’étude du dossier permet d’avoir une position positive vis-à-vis de son œuvre d’archéologue. Il s’agit certes d’un archéologue « marginal » (J.-M. Pailler), mais son esprit se révèle être « très ouvert et avancé pour son temps », Carton agissant en « vrai professionnel » (R. Hanoune), s’intéressant en particulier aux retombées touristiques de ses trouvailles, avec un sens aigu de la vulgarisation, comme on ne disait pas encore. Au-delà d’un lectorat intéressé par l’histoire d’une discipline et à ses figures, Louis Carton, de Saint-Omer à Tunis devrait encore être lu avec profit par ceux qui se préoccupent de l’histoire du protectorat tunisien, dont Carton — colonial sans réserve — fut un acteur, comme médecin militaire, puis comme l’un des « notables »1. Figure proche des « prépondérants », qui désiraient une colonisation à l’algérienne pour ce monde nouveau, Louis Carton voulait que la France soit « la gardienne du passé et la protectrice de l’avenir en Tunisie ».

Louis Carton garda un attachement indéfectible à sa région natale, comme le montre l’article de Jean-Louis Podvin (p. 11-32). En particulier, il rapporte de ses fouilles tunisiennes des antiquités pour les musées de Saint-Omer et Boulogne-sur-Mer, notamment des lampes puniques découvertes à El-Kenissa qui font l’objet d’une étude de Virginie Caron et Jean-Louis Podvin (p. 33-44). Ces lampes données aux musées du Pas-de-Calais ne sont qu’un échantillon parmi celles qu’il mis au jour (il en découvrit 3100 à El-Kenissa, parmi près de 6700 objets) mais forment un choix intéressant et original dans les collections françaises. Décédé en décembre 1924, Louis Carton est enterré à Tatinghem dans le Pas-de-Calais, mais c’est à Tunis qu’une rue porte son nom.

À propos …

Jean-Louis Podvin (éd.),
Louis Carton, de Saint-Omer à Tunis,
Shaker Verlag, 2017.
194 pages, 34 figures
ISBN 978-3-8440-2486-9
Table des matières

  1. Louis Carton était chevalier de la Légion d’honneur, officier de l’Instruction publique, chevalier du Mérite Agricole, commandeur du Nichan-Iftikhar, médecin-major de 1ère classe en retraite, propriétaire d’une exploitation agricole et d’une mine de manganèse à Thuburnic, près de Ghardimaou. Il était en outre membre correspondant de l’Institut ; président d’honneur de la Société archéologique de Sousse ; ancien président, et vice-président d’honneur de l’Institut de Carthage ; vice-président délégué de la Section tunisienne de la Société de Géographie Commerciale de Paris ; président du Comité des Sites et Monuments du T.-C.-F. (section de Tunis) ; président du Comité central de la Ligue des Amis des Arbres ; président du Comité d’initiative nord-ouest tunisien (Souk-el-Arba). []

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Christophe Hugot, « Louis Carton, médecin militaire et archéologue en Tunisie », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 19 mars 2018. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2018/03/19/louis-carton-medecin-militaire-et-archeologue-en-tunisie/>. Consulté le 21 November 2024.