Dans le cadre du festival « Next », la scène nationale La Rose des Vents a programmé – en première française et belge – Preparatio mortis, spectacle de Jan Fabre pour une danseuse. Nous en proposons ici une lecture.
Preparatio mortis : une description
Preparatio mortis commence comme un opéra : par une ouverture. Ou commence comme 2001, l’Odyssée de l’espace : les spectateurs sont longuement plongés dans le noir et subissent une musique discordante jouée à l’orgue. L’orgue – instrument liturgique par excellence – accompagnera toute la durée du spectacle, la liturgie.
Bien avant que la lumière ne les éclaire, on les sent présentes : l’odeur des fleurs coupées est entêtante. La lumière fait lentement apparaître la sommité de fleurs ondulantes d’où sort d’abord une main, puis un bras qui s’étire, comme après un long sommeil. Le corps de la danseuse émerge peu à peu, à mesure que les fleurs s’écartent : comme suspendu dans le vide, le corps est allongé dessus un cercueil transparent où figure une date (de naissance, de mort ?) : 17.01.1975.
La danseuse Annabelle Chambon, seule interprète de cette « préparation à la mort », va descendre de son catafalque pour rejoindre un sol intégralement jonché de fleurs coupées, disposées par centaines, longues tiges de couleur tapissant le sol en un parterre multicolore. Jan Fabre aime à faire évoluer des êtres zoomorphes sur la scène. Il y a de fait quelque chose d’animal dans ce corps chevalin et athlétique en sous-vêtements noirs qui danse avec puissance et énergie. L’animal ou l’insecte joue avec les fleurs, les brasse, les rejette, s’en couvre. Puis, la danseuse plante une tige qui se fige sur le sol – telle une ultime banderille. Noir.
Second tableau. La danseuse est nue, enfermée dans le cercueil transparent et embué. Elle se cogne aux parois, trace avec le doigt, dans la buée, des dessins empruntés à l’art pariétal, aux représentations premières, primitives, puissances animales et sexuelles : représentations de taureau, de chèvre, d’un sexe turgescent, … Tandis que la musique semble avoir trouvé son harmonie, des papillons envahissent le cercueil devenu vivarium. La danseuse nous adresse des cris inaudibles, se replie sur elle-même en position fœtale dans un cercueil devenu uterus. Noir.
Preparatio mortis : une lecture
Preparatio mortis est autant une « préparation à la mort » qu’une préparation à la vie. Après la nuit noire (l’ouverture du spectacle), l’être qui danse sort de terre avec les fleurs et vit un « sacre du printemps » avant de retourner dans son cercueil, où il va disparaître pour renaître, et ainsi recommencer éternellement le Cycle de la vie. Alors qu’importe de savoir si la date du 17 janvier 1975 inscrite sur la tombe est une date de naissance (Annabelle Chambon est née en 1975) ou une date de mort : l’une est l’autre, quand il n’y a pas de fin.
Le spectacle de Jan Fabre est ce qu’il nomme parfois « a real time performance », une « installation vivante ». Dans Preparatio mortis, l’artiste anversois devient Orphée : sa mise en scène met en osmose le végétal, l’humain et l’animal. Tous les éléments sont égaux, puisqu’ils forment et rendent possible la vie, dans l’harmonie retrouvée du jeu de l’orgue.
Le jeu de l’orgue, omniprésent durant la représentation, renvoie à la Liturgie. On pense à la célébration d’un Mystère, celui de la vie, et on songe à ceux qui étaient célébrés à Éleusis durant l’Antiquité, où les mystes apprenaient qu’une vie pouvait exister après la mort. Et le mythe de raconter ceci : Perséphone, fille de Zeus et de la déesse Terre, passe six mois de l’année sous terre aux côtés de son époux Hadès, aux Enfers, durant l’automne et l’hiver. Les six autres mois de l’année, elle revient sur Terre en tant que Koré (jeune fille) pour assister sa mère dans sa généreuse profusion des fruits du printemps et de l’été. Avec le retour du printemps, peuvent alors pousser les fleurs qui couvriront le tertre, et la vie se révéler en se mettant à danser. Noir.
Preparatio mortis, concept de Jan Fabre ; chorégraphie de Jan Fabre et Annabelle Chambon avec Annabelle Chambon ; composition et exécution à l’orgue de Bernard Foccroulle ; une production Jan Fabre/Troubleyn ; durée 50 minutes. Dates sur le site Troubleyn
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « Preparatio mortis de Jan Fabre : une lecture », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 26 novembre 2010. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2010/11/26/preparatio-mortis-de-jan-fabre/>. Consulté le 7 October 2024.