Une exposition itinérante attire un nombreux public. Elle offre la reconstitution du visage d’une fillette de onze ans qui a vécu au Ve siècle avant notre ère. Cette reconstitution n’est pas réalisée à partir de l’une des nombreuses sculptures antiques, à la beauté idéale, mais à partir d’un squelette retrouvé lors de fouilles. L’analyse du matériel et l’étude des restes humains ont permis de dater et d’élucider la cause du décès. En effet, la fillette – que les archéologues ont appelé « Myrtis » – serait morte vers 429/426 avant J.-C., lors de la Guerre du Péloponnèse qui opposa les Péloponnésiens aux Athéniens, de l’épidémie qui causa des ravages au sein de la cité d’Athènes. Ayant pu visiter l’exposition lors de son récent passage au Musée archéologique de Thessalonique, nous en livrons ici un compte rendu1.
La fosse commune d’Athènes et la « peste » de 429 avant notre ère
En 1994/95, des fouilles préventives menées à Athènes sur le trajet du futur métro permirent d’importantes découvertes. Dans le secteur du « Céramique », lieu de l’une des nécropoles antiques, les archéologues du Service du Ministère de la Culture, sous la direction de Mme E. Baziotopoulou-Valavani, ont mis au jour une fosse commune regroupant plus de 150 squelettes des deux sexes et de tous âges. Ce contexte funéraire, sans précédent pour la Grèce classique, exigeait une explication. Cette découverte allait entraîner une collaboration fructueuse entre les archéologues et une équipe du département d’Odontologie de l’Université d’Athènes. Le matériel retrouvé dans la fosse livra lui-même la datation : les vases peints trouvés à l’intérieur de la fosse portent tous un décor datable des années 440-425 avant notre ère. L’hypothèse était alors tentante d’associer cette sépulture collective aux personnes décédées lors de la grande « peste » qui a frappé Athènes au début de la Guerre du Péloponnèse, entre 429 et 426. En effet, ce terrible loimos, mentionné par Thucydide (II 47-54 ; III 87) et Hippocrate (Lettres 25), aurait causé la perte de 50.000 Athéniens, dont le leader politique de la cité, Périclès. Le nombre des squelettes retrouvés dans la fosse, la datation du mobilier et le caractère hâtif et inhabituel des pratiques funéraires : tout concourrait pour associer la découverte archéologique avec cette célèbre « peste » qui constituait l’une des grandes énigmes de l’histoire de la médecine, suscitant maintes interprétations divergentes2. D’autres fosses, réunissant des sépultures « collectives », furent découvertes à Athènes, notamment vers le Nord de la cité (entre les actuelles rues Peiraios et Panepistimiou). Archéologues et scientifiques ont alors pu profiter de l’occasion pour éclairer ce moment sombre de l’histoire grecque : plusieurs crânes, très bien conservés, ont alors permis de réaliser des analyses ADN à partir d’échantillons effectués dans les cavités dentaires, selon le protocole des Professeurs D. Raoult et M. Drancourt (Université d’Aix-Marseille) qui a été utilisé pour l’étude des défunts des grandes pestes du Moyen-Âge et les momies égyptiennes3. Ces prélèvements ont montré que la cause de cette « épidémie » meurtrière était une bactérie de la famille des salmonelles (Salmonella enterica serovar Typhi), provoquant une fièvre typhoïde entraînant de très fortes céphalées, des éruptions cutanées et de la diarrhée… La maladie pu se propager rapidement en raison de la forte concentration de la population athénienne qui, protégée des guerriers ennemis à l’abri des remparts de l’asty et du port du Pirée, offrait un terrain idéal pour la propagation de la bactérie, avec l’inévitable détérioration des conditions d’hygiène pendant les premières années de la Guerre. La création récente d’un Laboratoire de Paléopathologie spécialisée à l’Université d’Athènes accélérera le rythme de l’étude des autres sépultures de la fosse mais aussi des autres contextes funéraires grecs : à suivre, donc.
Myrtis : la restitution du visage d’une fillette défunte
L’origine de la fosse était élucidé et la « peste » venait de trouver son explication scientifique, mais le responsable de l’équipe scientifique internationale4, le Pr. Manolis Papagrigorakis (Université d’Athènes), désira aller plus loin et souhaiter donner « chair » au visage d’un de ces défunts. L’universitaire grec effectue depuis plus de trente ans des études craniométriques et pléopathologiques sur des squelettes datés des deux derniers millénaires av. J.-C. En collaboration avec d’autres établissements européens (l’Université de Bergen en Norvège, l’Université d’Aix-Marseille, le Musée Vasa de Stockholm), l’équipe a suivi le même protocole dermoplastique que celui qui a permis de reconstituer le visage du roi Philippe II de Macédoine5. La méthode utilisée, connue comme la « technique Manchester », consiste à associer deux procédés complémentaires : d’une part l’utilisation de « clous » qui correspondent à l’épaisseur des tissus et des fibres musculaires en tenant compte du sexe, des conditions hygiéniques et de l’âge du squelette et, d’autre part, la « sculpture » des masses musculaires. Pour ce faire, le crâne d’une jeune fille de 11 ans n’a pas été choisi au hasard : il figure parmi les mieux conservés, ayant même conservé certaines de ses dents de lait.
Et c’est ainsi que, au terme de dix mois de travail, le visage de la petite athénienne put être reconstitué. Le fait qu’il s’agisse d’un enfant fut sans doute déterminant dans le choix du squelette. La fillette est à la fois porteur d’émotion (comme victime innocente des affres de la guerre) et symbolique. La petite fille, née vers 440 av. J.-C., a vécu dans une Athènes alors en train d’atteindre son apogée politique et culturel. L’enfant a sans doute connu les chantiers de l’Acropole et elle a vu le Parthénon achevé. Le nom de Myrtis qui lui a été donné a été choisi dans l’onomastique du Ve siècle et a été retenu pour sa sonorité simple et sa signification : Myrtis, la myrte…
Myrtis : l’ambassadrice d’un message humaniste et humanitaire
Le créateur de la Myrtis « moderne » ne dissimule pas ses intentions : au-delà de l’histoire et de la science, la reconstitution de ce visage enfantin comporte un message pour le monde contemporain. Une mort causée par la fièvre typhoïde était sans doute inévitable dans l’Antiquité, mais est un fait impardonnable pour les sociétés actuelles qui possèdent tous les moyens permettant de l’éviter à des centaines de milliers d’enfants qui, pourtant, en meurent chaque année ! Le voyage de Myrtis en Grèce et à l’étranger — elle a déjà été accueillie dans plusieurs musées grecs ainsi qu’en Chine lors de l’exposition universelle à Pékin en 2010 — a pour but de diffuser ce message humaniste et humanitaire dont la valeur reste diachronique et, malheureusement, actuelle. Myrtis est en effet devenue l’objet d’une exposition itinérante, à la scénographie particulièrement simple et efficace : en dehors du mannequin, qui ne dépasse pas les 1,2 m de hauteur, représentant de manière sommaire le tronc et la reconstitution finale du visage, sont exposés le moulage du crâne et deux autres étapes intermédiaires (sur les vingt-six au total !) de la reconstitution du visage. Des panneaux explicatifs en grec et en anglais accompagnent les images et les photographies. L’exposition ne comporte aucun objet archéologique ni autre objet de valeur. Myrtis, morte il y a 2500 ans, avec son visage qui pourrait être celui d’une fille du 21ème siècle, est devenue cette année une image universelle, l’enfant ayant été choisi comme « image officielle » de la campagne contre la pauvreté pour 2011 par l’ONU.
L’exposition Myrtis a déjà été l’occasion de multiples événements et activités, non seulement archéologiques et scientifiques, mais aussi artistiques, culturels, pédagogiques qui réunissent chaque fois des dizaines de milliers de personnes. L’exposition à Thessalonique a ainsi permis une grande présentation de peintures d’artistes grecs dont la vente est venue alimenter le projet Myrtis. De nombreuses interventions auprès des publics jeunes sont proposées : au-delà de l’aspect purement scientifique, l’exposition devient le prétexte de manifestations pédagogiques (concours de peinture, contes, etc). L’écrivain Maria Angelidou a été jusqu’à imaginer la vie de Myrtis à destination des enfants6. Parallèlement, l’exposition évolue avec des infrastructures permettant sa présentation aux handicapés.
Myrtis ne sera bientôt plus seule. Toujours pour les reconstituer, le Professeur Papagrigorakis étudie actuellement cinq autres squelettes, dont celui d’un homme retrouvé dans la grotte préhistorique de Théopétra (en Thessalie). À suivre …
Références d’auteurs anciens :
Pour en savoir plus
Un site internet est consacré à Myrtis.
Un petit catalogue en grec et en anglais a été publié : Myrtis : face to face with the past, ouvrage coordonné par Manolis J. Papagrigorakis, Ekdoseis Metaichmio, 2010. [Localiser l’ouvrage]
Vidéos : le site Myrtis propose 5 vidéos en podcast proposant des entretiens avec l’équipe scientifique [en grec sous-titrage en anglais]. Voir les vidéos.
Crédits
Nous remercions le Professeur Manolis Papagrigorakis d’avoir accordé les crédits pour les images présentées dans ce billet et de son aide.
Bibliographie sélective
E. Baziotopoulou-Valavani, I. Tsirigoti-Drakotou, « Station Kerameikos ». In : Liana Parlama, Nicholas Stampolidis (curators), Athens : the city beneath the city : antiquities from the Metropolitan Railway excavations, Greek Ministry of Culture-Museum of Cycladic Art, 2001, , pp. 164-275. [Localiser l’ouvrage]
E. Baziotopoulou-Valavani, « A Mass Burial from the cemetery of Kerameikos ». In : Maria Stamatopoulou, Marina Yeroulanou (eds), Excavating Classical Culture, (BAR International Series ; 1031) Archaeopress, 2002, pp. 187-201. [Localiser l’ouvrage]
M. J. Papagrigorakis, C. Yapijakis, P. N. Synodinos, E. Baziotopoulou-Valavani, « DNA examination of ancient dental pulp incriminates typhoid fever as a probable cause of the Plague of Athens », International Journal of Infectious Diseases 10.3 (May 2006), pp. 206-214 [PubMed].
M. J. Papagrigorakis, C. Yapijakis, P. N. Synodinos, « Typhoid Fever Epidemic in Ancient Athens », dans D. Raoult, M. Dancourt (éds), Past Human Infections, Springer, 2008, pp. 161-173.
M. J. Papagrigorakis, C. Yapijakis, E. Baziotopoulou-Valavani, « Dental status and orthodontic treatment needs of an 11-year-old female resident of Athens, 430 B.C. », Angle Orthodontist 78.1 (2008), pp. 152-156 [PubMed].
M. J. Papagrigorakis, P. N. Synodinos, A. Antoniadis, E. Marvelakis, P. Toulas, O. Nilsson, E. Baziotopoulou-Valavani, « Facial reconstruction of an 11-year-old female resident of Athens, 430 B.C. », Angle Orthodontist 81.1 (2011), p. 171-179 [Texte intégral en ligne sur le site de Angle orthodontist].
- L’exposition s’est tenue au Monténégro en mars-avril et ira sur l’île de Tinos en juin [↩]
- Sur la « « peste » d’Athènes, voir en particulier l’article de D.L. Page, « Thucydides’ description of the great plague », Classical Quarterly NS 3 (1953), pp. 97–119. [Localiser le périodique ; également accessible aux abonnés de JStor] [↩]
- Les analyses ont été effectuées dans deux Laboratoires de Neurobiologies Moléculaire, à Athènes et en Crète. [↩]
- Equipe constituée, outre Mme Baziotopoulou-Valavani, déjà citée, de Ph. Synodinos, un genétiste-dentiste, Ch. Yapijakis, bilogiste et l’équipe dermoplastique constituée de G. Panagiaris, M. Tsilivakos, P. Toulas, A. Antoniadis, M. Maravelakis et Oscar Nilsson. [↩]
- A.J.N.W. Prag, « Reconstructing King Philip II : the “nice” version », American Journal of Archaeology 94 (1990) pp.237–247 [Localiser le périodique]. [↩]
- Récit déjà traduit en anglais, en cours de traduction en français et pour d’autres langues … [↩]
Lire aussi sur Insula :
Giorgos M. Sanidas, « Myrtis : fillette de la Grèce classique, symbole actuel », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 22 mai 2011. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2011/05/22/exposition-myrtis/>. Consulté le 21 November 2024.
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