Le mardi 17 juillet 2012, dans le cadre du projet du Vase qui parle, il a été procédé à la numérisation d’un vase grec antique conservé au Palais des Beaux-arts de Lille afin de pouvoir le reproduire en très grande dimension. Nous présentons ici un court reportage photographique de cette séance de numérisation 3D, complété d’un entretien avec Vincent Lacombe de la société DiGiScan3D, qui a réalisé la numérisation du vase.
Le projet de « Vase qui parle », dont il a déjà été question dans Insula, consiste à reproduire un vase grec en terre cuite du VIe siècle avant notre ère (fig. 1) en très grande dimension (à échelle 17) et à le faire « parler » en le stimulant avec l’aide de pointeurs.
La reproduction du vase, pour être au plus proche de la réalité, nécessite une prise de vue de très haute qualité rendue possible par du matériel de haute technologie. L’étape qui vient d’être réalisée est donc un préalable indispensable à la réalisation du Service numérique culturel innovant. La numérisation en très haute résolution permet également de constituer un fichier numérique de conservation qui fixe l’état de l’objet à un moment donné. Ce fichier pourra être décliné pour différents usages et sur différents supports (web, mobiles, tablettes…). Les techniques de numérisation 3D pour les objets, différentes de celles utilisées pour la numérisation des monuments et de l’architecture, sont maîtrisées par quelques sociétés très spécialisées.
Les étapes de la numérisation 3D
Le vase grec du Palais des Beaux arts de Lille, retiré de la lourde cloche en verre qui le protège par le personnel du Musée, est déposé sur un tour à rotation automatique et mis sous le projecteur à lumière bleue (et froide) du scanner. L’originalité du procédé employé par Digiscan3D tient au fait que la digitalisation est réalisée sans avoir à toucher l’objet, fragile : c’est le scanner qui, monté sur un trépied, est déplacé autour du vase et couvre ainsi tous les points de vue nécessaires à la numérisation (fig. 2).
Le système capture 10 millions de points à chaque vue d’une trentaine de centimètres de côtés. La résolution de l’objet numérisé est de l’ordre du dixième de millimètre, avec une précision proche du centième de millimètre. Un défilement de franges de gris crée une zone de contrastes qui permet de déduire les points (fig. 3) conjointement à une méthode de triangulation qui calcule les coordonnées dans l’espace de chaque point qui vont permettre de reconstituer la forme du vase.
Le scanner possède deux caméras en position stéréoscopique et le système de digitalisation est le ATOS II Triple Scan, conçu et fabriqué par la société allemande GOM gmbh. Il n’a pas été réalisé pour de la numérisation d’œuvres patrimoniales mais pour des applications industrielles (automobile, aéronautique, médecine …), ce qui explique le rendu gris du vase numérisé, comme s’il s’agissait d’une réalisation en plastique ou en métal à usiner (fig. 4).
La numérisation permet d’obtenir la forme en 3D du vase mais aussi la trace de chaque relief laissé sur la terre cuite, en particulier – dans le cas de notre vase antique – les incisions réalisées par l’artisan grec avant la mise en peinture de l’objet (fig. 5).
Parce que la digitalisation ne prend pas en compte les couleurs de l’objet, une couverture photographique en haute résolution est ensuite nécessaire pour capturer la couleur et la texture réelle du vase. C’est la phase appelée « Mapping et Texturing » (fig. 6).
Un peu plus de cinq heures furent nécessaires – installation comprise du « studio » dans le Musée – pour que Vincent Lacombe puisse numériser le vase grec. Il lui reste désormais à traiter l’ensemble des données, en particulier à réaliser la reconstruction de l’objet en 3D et son « mappage », à savoir la juxtaposition des photographies sur l’objet numérique.
Entretien avec Vincent Lacombe (DiGiScan3D)
Christophe Hugot : Comment en êtes-vous venu à vous spécialiser dans la numérisation 3D d’œuvres patrimoniales (on vous doit en particulier la numérisation du casque d’Agris) ?
Vincent Lacombe : Durant mes études (thèse de paléontologie), j’ai été amené à utiliser l’outil 3D pour résoudre certaines questions… C’est là que je me suis rendu compte de la puissance de cet outil, de son accès difficile et de sa faible valorisation… Fort de mon expérience, lorsque j’ai eu terminé mes études, j’ai créé DiGiScan3D afin de proposer ces services de numérisation aux institutions et laboratoires afin qu’ils puissent avoir un accès facilité à toutes ces technologies.
Ch. Hugot : Quelles sont les spécificités de DiGiScan3D ?
V. Lacombe : Les spécificité de DiGiScan3D sont doubles. Tout d’abord, il y a « moi » ! Je ne suis pas ingénieur (comme c’est le cas de 99% des personnes familiarisées avec ce genre d’outils), mais un pur produit de nos chères institutions (universités). J’ai fait les mêmes études et j’ai eu à résoudre les mêmes problématiques que les gens qui me demandent d’intervenir… ! Autrement dit, je comprends ce qu’il veulent naturellement et je connais leurs problématiques : je sais exactement ce qui est important pour eux lors de la numérisation. Ce que l’on doit absolument voir, ce qui est moins important, etc. Je connais le vocabulaire de l’archéologie, de la paléontologie, de la géologie, de l’anatomie… Un dialogue pertinent s’installe immédiatement, sans risque de quiproquo…
Ensuite, le matériel de DiGiScan3D, son scanner, est très spécifique… C’est actuellement ce qui se fait de mieux sur le marché au niveau du relevé de formes sans contact. N’oubliez pas qu’il ne s’agit pas d’un appareil destiné à numériser des vases grecs (moi je « l’exapte » de son but premier), mais un appareil de métrologie industriel. À la base, il sert à contrôler des pièces industrielles au centième de mm, avec une précision de l’ordre de 5 µm… Le fait qu’il soit capable de reconstruire en 3D un objet n’est « qu’une conséquence heureuse » de son fonctionnement… L’avantage c’est que lorsque l’on travaille sur des problématiques de conservation ou pour des problématiques scientifiques et que je fais un relevé 3D de votre objet, vous avez l’assurance d’avoir un double numérique parfait de l’original… Vous pouvez donc faire un véritable travail scientifique en vous appuyant sur cette 3D… Pas de déformation, pas d’erreur, numérisation traçable et répétable… Autant de spécificités qu’aucun des petits scanners que l’on trouve n’est capable d’atteindre.
Ch. Hugot : Je suppose que chaque objet a ses particularités. Quelles sont les difficultés particulières apparues pour la numérisation du vase grec ?
V. Lacombe : Chaque objet a sa spécificité effectivement… Celles du vase étaient les suivantes : Tout d’abord, le vase du Palais des Beaux-arts de Lille est très ancien… Il n’est jamais « aisé » de travailler sur des pièces irremplaçables… Cela apporte du stress…
Ensuite, comme il s’agit d’une terre-cuite à vernis noir, le vase brillait beaucoup et possédait, avec des zones de transitions très faibles, des zones claires (le fond ocre) et des zones très sombres (le pigment noir particulièrement profond des personnages). Ce sont des caractéristiques toujours très difficiles à gérer lorsque l’on travaille avec des capteurs à lumière texturée… Il faut un peu réfléchir aux réglages du scanner, afin d’obtenir le meilleur résultat en un minimum de prises de vues, avec le moins d’erreur possible… Il est en effet difficile de créer des zones de contraste sur un objet lui-même très contrasté. Le meilleur réglage pour relever la zone claire ne fonctionnera sûrement pas sur la zone sombre… Et vice-versa.
Enfin, l’objet est petit (12 cm de hauteur pour un diamètre de 22,5 cm) et donc, intrinsèquement, les détails à relever sont très fins… Il faut donc faire attention au volume de mesure dans lequel on travaille… Trop grand, on ne relève pas les détails, trop petit on ne reconstruit pas la forme facilement… Le capteur doit travailler de façon très fiable et fidèle afin d’obtenir un résultat de qualité… Si l’on combine ça à la brillance, aux contrastes et à la fragilité… On commence à entrevoir le genre de sport que cela représente !!!
Pour en savoir plus
- Site internet du projet européen 3D-COFORM : http://www.3d-coform.eu
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « Numérisation d’un vase grec antique : le Vase qui parle … », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 19 juillet 2012. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2012/07/19/numerisation-vase-grec-antique-le-vase-qui-parle/>. Consulté le 7 October 2024.
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