Une Antiquité vivante et colorée.
On fête cette année les 1500 ans du prestigieux manuscrit du De materia medica de Dioscoride conservé à Vienne en Autriche. L’occasion pour nous de présenter ce fabuleux témoignage du début du VIe siècle et sa reproduction en fac-similé. L’occasion également de présenter l’édition du commentaire de Dioscoride publiée en 1572 et présente au sein de la Réserve des livres précieux à la Bibliothèque centrale de l’université Lille 3.
Le Codex medicus Graecus 1 de la Bibliothèque Nationale d’Autriche1 est un vénérable témoin du début du VIe s. Produit vers 512 à Constantinople, ce manuscrit inestimable aurait donc aujourd’hui 1500 ans. Presque contemporain de la mort de Clovis (511), un peu antérieur à celle de Boèce2, ce codex est dédié à une femme de la « branche constantinopolitaine » des Anicii, la princesse Anicia Juliana3, fille d’Olybrius, éphémère empereur d’Occident (472), qui méritait sans doute mieux que la postérité d’« olybrius » qui d’ailleurs ne le concerne pas vraiment puisque ce juron du capitaine Haddock4 vient d’un homonyme beaucoup moins prestigieux, un gouverneur des Gaules au IIIes.
Un recueil pharmacologique
Outre le De materia medica, composé au 1er siècle de notre ère par le médecin grec Dioscoride, ce monument viennois contient des paraphrases en prose de Nicandre, d’Oppien et ce qu’il est convenu d’appeler l’Ixeutikon de Denys5, ainsi que le carmen de uiribus herbarum parfois attribué à Rufus d’Éphèse. L’orientation du recueil est clairement pharmacologique, malgré la présence d’opuscules consacrés aux animaux. Les représentations botaniques faisaient bon ménage avec les images à caractère zoologique comme le prouve aussi le Supplément grec 247 de Paris, fameux manuscrit de Nicandre, dont les miniatures sont facilement accessibles grâce à la base Mandragore de la Bnf.
Le fac-similé du manuscrit de Vienne : deux tomes somptueux
Pour fêter cet anniversaire, la Bibliothèque des sciences de l’Antiquité de Lille 3 a fait l’acquisition de l’édition fac-similé du manuscrit de Vienne qui vient opportunément constituer un pendant à l’édition du Vindobonensis 93 déjà en rayon6 : ce manuscrit italien date, quant à lui, du début du XIIIe s. et contient l’Herbarius du Pseudo-Apulée, ainsi que d’autres textes pseudépigraphiques comme la Lettre d’Hippocrate à Mécène, le De herba uettonica attribué à Antonius Musa, et un traité du pseudo-Dioscoride, le De herbis feminis ; on y trouve également le Liber medicinae ex animalibus de Sextus Placitus.
L’édition fac-similé du « Dioscoride de Vienne » se compose de deux tomes somptueux – le huitième volume d’une collection intitulée « Glanzlichter der Buchkunst ». La somme de Dioscoride occupe les deux tiers de l’ensemble : les autres traités figurent à la fin du second tome. Chaque tome contient un commentaire succinct des planches : le tome 1 contient aussi une introduction au manuscrit et le tome 2 des indices. Cette édition constitue un précieux document de première main pour étudier l’image du monde naturel, mais, outre son intérêt documentaire, elle permet aussi une émouvante prise de contact directe avec une Antiquité vivante et colorée et produit, page après page, des émotions qui ne sont pas sans rappeler les vertiges que l’on ressent lors des promenades dans Pompéi ou devant les portraits du Fayoum.
On comprend que ce manuscrit ait été considéré par l’Unesco comme un objet relevant du patrimoine de l’humanité dans la cadre du programme Mémoire du monde.
Commentaires sur les Six livres de Dioscoride par Pierandrea Mattioli
La Réserve commune des universités lilloises possède les commentaires aux six livres de Dioscoride réalisés en 1544 par le médecin et botaniste italien Pierandrea Mattioli (Pierre André Matthiole) dans l’édition traduite en français par Jean des Moulins, docteur en médecine, et publiée en 1572 à Lyon.
Cet ouvrage abondamment illustré de gravures sur bois est une traduction de Dioscoride accompagnée de longs commentaires dans lesquels Pierandrea Mattioli va au-delà des connaissances du médecin grec. En effet, Mattioli décrit toutes les plantes dont il a connaissance, insérant, écrit-il dans son épître aux lecteurs, « plusieurs especes de drogues et simples medicamens trouvés en partie par des Arabes, en partie des autres qui ont fleuri d’âge en âge »7.
Si les commentaires de Mattioli sont guidés par les conceptions de la médecine de son temps, celui-ci expérimenta sur des malades les plantes décrites par Dioscoride pour vérifier les dires du médecin grec …8
[Sébastien Barbara pour la présentation du Dioscoride de Vienne ; Christophe Hugot pour la présentation du livre de Mattioli.]
Pour en savoir plus
Der Wiener Dioskurides : Codex medicus Graecus 1 der Österreichischen Nationalbibliothek, Kommentar von Otto Mazal, Akademische Druck u. Verlagsanstalt, 1998-1999. 2 volumes (243 f.-89 p., 248 f.-125 p.). [Voir notice] ;
Le site Wikimedia Commons présente une galerie de photographies du Dioscoride de Vienne ;
Commentaires de M. Pierre Andre Matthiole medecin senois sur les six livres de Ped. Dioscoride Anazarbeen de la matiere medecinale, reveuz & augmentés en plus de mille lieux par l’autheur mesme, & enrichis pour la troisiéme fois, d’un grand nombre de pourtraits, de plantes, & animaux tirés au vif, plus qu’aux precedentes editions, avec certaines tables medecinales, tant des qualités & vertus des simples medicamens, que des remedes pour toutes maladies, qui peuvent avenir au corps humain, comme aussi des sentences, mots, & matieres traictees esdicts commentaires: davantage y a sur la fin, divers pourtraits de fourneaux & alembics, pour distiller & tirer les eaux de toutes plantes, avec le moyen de les conserver en leurs naïves odeurs: mis en françois sur la derniere edition latine de l’autheur, par M. Jean Des Moulins…, A Lyon : Guillaume Rouillé, 1572. Pièces lim. 819 p. et table. : fig. ; in-fol. [Voir notice Sudoc] ; l’ouvrage a été numérisé sur le site de la BIUM. Voir également la numérisation sur Gallica.
- = Österreichische Nationalbibliothek. Site internet : http://www.onb.ac.at. [↩]
- Traditionnellement datée de 524, elle serait plutôt survenue vers 525-526 selon J. Moorhead, Theodoric in Italy, Oxford, 1992, p. 225. [↩]
- Au sujet de laquelle on lira l’article disponible en ligne de Leslie Brubaker, « The Vienna Dioskorides and Anicia Juliana » (extrait de A. R. Littlewood et al. (eds), Byzantine Garden Culture, Dumbarton Oaks, Washington D.C., 2002). Voir en ligne. [↩]
- Voir A. Algoud, Le Haddock illustré. L’intégrale des jurons du Capitaine, Casterman, Paris, 1991, p. 67. [↩]
- Une traduction française de ce traité sur les oiseaux, édité en 1967 par A. Garzya, est disponible dans Ch. Vendries – J. Trinquier (éds), Chasses antiques : pratiques et représentations dans le monde gréco-romain (IIIe s. av. – IVe s. apr. J.-C.), PUR, Rennes, 2009, p. 243-256 [voir notice]. [↩]
- P. M. Jones – F. Unterkircher (éds), Medicina Antiqua. Codex Vindobonensis 93. Vienna, Österreichische Nationalbibliothek, Harvey Miller Publ., Londres, 1999 [voir notice]. [↩]
- Voir Bernard Joly, « L’ambiguïté des paracelsiens face à la médecine galénique », dans : Galen on pharmacology. Philosophy, history and medicine, edited by Armelle Debru, Leyde, Brill, 1997, p. 306 [voir notice]. [↩]
- Voir l’introduction du site internet que Guy Ducourthial consacre à son Atlas de la flore magique et astrologique de l’Antiquité sur le site de la BIUM. [↩]
Lire aussi sur Insula :
Sébastien Barbara, « Le « Dioscoride de Vienne » a 1500 ans », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 22 octobre 2012. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2012/10/22/dioscoride-de-vienne/>. Consulté le 10 December 2024.