Entretien avec Arnaud Waels, designer développeur de dispositifs multimédia.
Le « Vase qui parle », est la reproduction en grand format d’un vase grec antique. Cet objet fait parler de lui en tant que dispositif numérique de médiation culturelle. Pourtant, la structure se présente sans écran, sans surface tactile, sans 3D apparente, sans vidéo. Autant dire un maigre parterre numérique. Est-ce qu’un casque et une lampe torche pointant sur une réplique géante d’un vase grec constituent une expérience numérique ? Si oui est-ce qu’une visite avec un audioguide constitue dans ce cas une expérience numérique ?
Christophe Hugot : Le « Vase qui parle » est lauréat des « Services numériques culturels innovants » du Ministère de la culture et de la communication et lauréat d’« Expériences Interactives » de Pictanovo1. En quoi est-il numérique et innovant ?
Arnaud Waels : Il n’y a pas de comédiens cachés à l’intérieur du vase, mais bien des ordinateurs avec des processeurs très sollicités, trois vidéo-projecteurs, des caméras infra-rouge, des émetteurs radio FM, des lecteurs RFID, une multitude de câbles. Le numérique est bien là mais il s’efface pour ne laisser en apparence qu’une expérience macroscopique avec un vase, dont les personnages sont désormais à taille humaine et nous apparaissent bien plus familiers.
Ensuite, si on parle d’innovation technique, on peut signaler le fait de pouvoir pointer librement l’avatar afin d’obtenir des informations personnalisées dans son casque. Il est également possible, si le visiteur le souhaite, de partager sa visite en livrant à plusieurs casques l’exploration d’un seul pointeur. Par ailleurs, on peut citer en tant qu’innovation la numérisation 3D en très haute résolution du vase afin de le reproduire 17 fois plus grand tout en gardant sa forme et sa texture en haute résolution.
Ch. Hugot : Comment fonctionne concrètement l’exploration du vase par le visiteur ?
A. Waels : La manipulation est très simple, presque intuitive. Le visiteur dispose d’un casque audio et d’un boitier rudimentaire d’aspect, muni d’un seul bouton. Le Vase nous dit : « pointe avec la lampe torche un détail iconographique, et je t’expliquerai de quoi il s’agit ». Le Vase raconte alors qui il est, livre le sens des scènes représentées, et donne la parole aux personnages reproduits sur lui. Le visiteur a la possibilité de choisir librement et facilement un discours pour enfant ou pour adulte.
Ch. Hugot : Quelles sont les innovations d’usage d’une telle visite ?
A. Waels : Il y a d’abord un nouveau rapport à l’objet. L’original est petit et difficilement lisible : son agrandissement permet un contact plus intime avec l’objet, les personnages de l’Antiquité étant présentés à taille humaine. L’exploration du Vase offre une profusion de détails iconographiques. La présence seule de cet avatar physique du vase dans la pièce interroge de manière troublante. L’avatar pourrait finalement se suffire à lui même, sans artifice ni ajout, engendrant un nouveau rapport cognitif à l’objet archéologique.
Ensuite, en réponse aux interrogations suscitées par le vase, ce mode d’interaction permet au visiteur de pointer les éléments qui l’intéressent, donnant ainsi une autonomie au visiteur au cours de sa visite par rapport à un audioguide. Par ailleurs, la gestuelle implique une interaction physique avec l’objet. Le visiteur n’est donc pas dans la passivité d’un discours qu’il ne contrôle pas. À noter que la difficulté est également dans l’écriture du discours muséographique, afin que les éléments soient autonomes et isolables les uns par rapport aux autres.
Ch. Hugot : Pourquoi ne pas avoir choisi le mode tactile plus privilégié aujourd’hui ?
A. Waels : Paradoxalement, l’innovation en ce moment tient peut être à vouloir sortir du tactile et de l’écran. Cette expérience à première vue archaïque se révèle être en temps réel et personnalisée de l’ordre de l’interaction tangible, le pointage à la lampe torche se substituant à une interaction tactile traditionnelle. Finalement, il s’agit bien d’un dispositif numérique, au service d’une expérience qui ne se matérialise pas de manière numérique.
Ch. Hugot : Quelles furent les difficultés rencontrées lors de la réalisation de ce projet ?
A. Waels : J’en retiendrai trois, d’ordre technique. En premier, plusieurs personnes interagissant simultanément avec le Vase, il faut être techniquement en mesure d’identifier la source de chacun des pointeurs de manière à renvoyer un contenu audio personnalisé dans le casque sans-fil de la bonne personne. La seconde difficulté fut de trouver une technique adéquate pour reproduire le vase géant à l’échelle, en respectant notamment sa courbure si particulière, et de convaincre une société d’accepter de le réaliser2. La troisième difficulté est d’être tenu de respecter la contrainte réglementaire de puissance maximale des pointeurs lasers infrarouge, qui est de 5 mW, ce qui est faible.
Ch. Hugot : Quels sont les autres projets auxquels tu participes actuellement ?
A. Waels : Il y a plusieurs autres projets en cours. Je peux citer en particulier la valorisation de la maquette historique du port de Nantes datant de 1900 du musée d’histoire de Nantes, qui sera augmentée avec des contenus documentaires et de la vidéo-projection. Parmi les autres réalisations en cours, il y a également la mise en place d’une visite dont vous êtes le héros sur tablette dans le Château de Fontainebleau et une carte interactive de la Cité Universitaire Internationale de Paris sur une grande table multitouch.
Pour en savoir plus
Arnaud Waels travaille dans le cadre de « Devocité », structure associative spécialisée dans la réalisation d’objets multimédia et leur emploi à destination du grand public. Lien : http://devocite.com
Informations pratiques
Lieu et horaires de l’exposition sur Insula : https://insula.univ-lille.fr
Projet réalisé et soutenu par : Service commun de la documentation de Lille 3 ; Bibliothèque des sciences de l’Antiquité (Lille 3) ; Département « Langues et cultures antiques » – UFR « Humanités » (Lille 3) ; Université Lille 3 ; Halma-Ipel – UMR 8164 (CNRS, Lille 3, MCC) ; Geriico (EA 4073) ; Palais des Beaux-Arts de Lille ; Learning Center archéologie/égyptologie de Lille 3 ; Pictanovo ; Conseil régional Nord-Pas de Calais ; Ministère de la culture et de la communication
- Pôle Images Nord-Pas de Calais et le Centre Régional de Ressources Audiovisuelles (CRRAV) ont fusionné le 3 décembre 2012 et cette nouvelle entité a pris le nom de Pictanovo. [↩]
- La société retenue est ToileConcept [↩]
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « Le Vase qui parle ou l’expérience (non) numérique », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 13 mai 2013. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2013/05/13/experience-non-numerique/>. Consulté le 7 October 2024.
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