Un nouvel épisode de la série « Alix Senator ».
La saga « Alix Senator » se poursuit chez Casterman. Les démons de Sparte, le dernier opus de Valérie Mangin et Thierry Démarez, emmène cette fois le lecteur en Grèce, à la recherche des Livres Sibyllins réclamés par l’empereur Auguste.
Comme les autres aventures parues de la série « Alix Senator », l’histoire narrée dans Les démons de Sparte est censée se passer en 12 avant notre ère. Cette année-là, si on en croit Suétone (mais la datation a été revue de manière plus haute par Jean Gagé), Auguste décide le transfert des Livres Sibyllins du temple capitolin au temple d’Apollon sur le Palatin. Ces Livres Sibyllins − Libri Sibyllini − son importants : ils contiennent des prophéties et prescriptions qui sont consultées en particulier pour interpréter les prodiges effrayants pouvant menacer Rome1. Les livres acquis par les Tarquins ayant été détruits le 6 juillet 83 avant notre ère lors de l’incendie du Temple de Jupiter, des légats sont envoyés en Italie, Grèce et Asie Mineure pour les reconstituer. À l’issue de cette mission, qui se déroule en 76 avant notre ère, le recueil des Livres Sibyllins est déposé au Capitole et y demeure jusqu’à ce que Auguste, devenu Grand Pontife, les dépose au Palatin. Par cette décision, l’empereur ôte à Jupiter une partie de ses pouvoirs divinatoires et renforce le Palatin comme lieu du pouvoir à Rome.
Dans Les démons de Sparte, la scénariste Valérie Mangin imagine qu’une délégation romaine menée en Grèce par Marcus Atilius pour récupérer des Livres Sibyllins est décimée par une étrange armée se réclamant des 300 de Sparte. Le sénateur Alix est alors envoyé par Auguste pour faire la lumière sur ce drame et rapporter les livres à Rome, en particulier l’un d’eux qui contiendrait un grand secret.
Comme nous l’avions déjà évoqué lors de la recension du premier volume de la série « Alix Senator », paru en 2012, Les aigles de sang, Valérie Mangin excelle à broder un scénario crédible à partir d’un évènement connu par les sources antiques, mais d’une manière suffisamment vague pour élaborer une fiction. Comme pour les précédents épisodes, on retrouve dans Les démons de Sparte des personnages créés par Jacques Martin dans la série « Alix » : cette fois, il s’agit d’Héraklion et Numa Sadulus. Mais, l’autre retrouvaille de l’album, c’est celle d’Alix avec la Grèce.
Fragments archéologiques
Alix connaît la Grèce qu’il a parcouru dans des aventures de la série mère. Jacques Martin aimait la Grèce, en particulier celle du siècle de Périclès, qu’il pouvait retrouver en représentant l’Acropole d’Athènes, lieu préservé de la période classique. La Grèce présentée dans Les démons de Sparte est très éloignée de son image glorieuse de l’époque classique. C’est en effet une Grèce désolée, asservie, que nous découvrons. Rome a en effet ravagé le pays. La Grèce est en ruine et, dans certaines vignettes de la bande dessinée, Alix semble voyager dans des tableaux d’Hubert Robert. Si le sanctuaire de Delphes est intact, témoignant de sa gloire passée, la cité de Delphes en particulier apparait tel un « Ouradour » antique. L’Acropole d’Athènes, préservée par Sylla, fait contraste. L’album permet en effet un retour à Athènes pour Alix, qui fait découvrir les merveilles classiques aux adolescents qui l’accompagnent.
Pour restituer la Grèce, les plans d’ensemble réalisés par Thierry Démarez sont différents de ceux dessinés par Jacques Martin. La réalité archéologique aura été plus forte que l’hommage au créateur d’Alix : les spécialistes et leur loupe chercheront en vain le bâtiment en béton des années 1930 que Jacques Martin avait malencontreusement dessiné sur l’acropole d’Athènes comme étant un bâtiment antique. Si Jacques Martin nous avait présenté l’Athéna Parthénos de Phidias, c’est l’Athéna Promachos du même sculpteur que découvre le lecteur, ainsi que la frise intérieure du Parthénon, laquelle donne des envies d’histoire de l’art à l’un des personnages.
Thierry Démarrez prend un soin particulier à la représentation des architectures, sans doute au détriment de la vie qui devait les animer. La colline d’Athènes ne semble en effet pas très fréquentée par les fidèles (écartés par la présence de l’autorité romaine ?), et les espaces sont vides, comme après le passage d’une commission de sécurité, alors qu’ils devaient être encombrés d’offrandes.
De Delphes, on découvre le temple, les trésors − en particulier le Trésor des Athéniens, bien connu grâce à l’anastylose réalisée dès le début du XXe siècle par l’École française d’Athènes − le sphinx des Naxiens, l’omphalos auprès duquel intervient la Pythie. Il est aisé de comparer les dessins de Thierry Démarez avec les représentations du site ou du musée de Delphes. Les auteurs imaginent un Trésor des Spartiates pour le besoin de leur enquête. La consultation de la Pythie n’a malheureusement pas laissé de traces aisément déchiffrables et nous en sommes réduits aux hypothèses. La consultation telle qu’elle est présentée dans l’album est sans doute très éloignée de celle qui devait être dans l’Antiquité. On a beaucoup glosé sur la consultation de l’oracle, mais on ne devait pas pouvoir l’interroger comme on le ferait avec une quelconque nécromancienne. Mais, au-delà de ces quelques remarques, la frustration du lecteur porte surtout sur le nombre de pages : il est en effet difficile de construire une histoire fouillée en seulement 45 pages dessinées. Cette série d’Alix mériterait en effet plus de pages pour que le scénario puisse vivre à un pas de sénateur.
Retour en Gaule ?
Les Livres Sibyllins étant oraculaires, osons ici la prophétie. La série « Alix Senator » se déroulant en 12 avant notre ère, gageons qu’après avoir été en Égypte et en Grèce, Alix le Gaulois retourne bientôt en Gaule : c’est cette année-là en effet que se tint la réunion des notables gaulois à Lugdunum avec l’instauration du « conseil des trois Gaules ». Nul doute que le rôle d’Alix y fut décisif. Cette remarque souligne notre impatience à découvrir la suite.
Pour en savoir plus
Thierry Démarez et Valérie Mangin, « Les démons de Sparte » (« Alix Senator » T4), Casterman, 2015 – ISBN : 9782203089211.
Voir le site de l’éditeur : http://www.casterman.com
Le site Casterman propose un site de l’album : http://www.alixsenator.com
Crédits
Les illustrations d’Alix Senator sont reproduites avec l’aimable autorisation des Editions Casterman S.A. pour l’usage exclusif du blog Insula. Nous en remercions vivement l’éditeur. Rappelons que les couvertures et les illustrations sont protégées par le droit d’auteur, qu’elles ne peuvent donc être utilisées sans l’autorisation des Editions Casterman S.A. et que toute reproduction ou utilisation non autorisée est constitutive de contrefaçon et passible de poursuites pénales.
- On se reportera pour un résumé commode à Charles Guittard, Carmen et prophéties à Rome, Brepols, 2007, pp. 239 sqq. [↩]
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « Retour en Grèce pour Alix avec « Les démons de Sparte » », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 10 mars 2016. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2016/03/10/retour-en-grece-pour-alix-avec-les-demons-de-sparte/>. Consulté le 21 November 2024.