« El arte de divulgar : un reto estimulante » est un texte de Francisco García Jurado, publié en janvier 2016 sur le blog « Reinventar la Antigüedad ». La traduction française inédite publiée sur « Insula » est réalisée par Ombeline Pavy, étudiante en Master « Traduction Spécialisée Multilingue » – TSM, de l’Université Lille 3.
Nous savons qu’il est bien souvent difficile d’expliquer au grand public ce sur quoi nous effectuons des recherches. De même, les professionnels de l’information, par manque de connaissances sur ce qu’ils transmettent, peuvent tomber dans la banalité lorsqu’ils évoquent des travaux scientifiques approfondis. Pour cette raison, il est conseillé à ceux d’entre-nous qui se consacrent à la recherche académique de s’efforcer de faire connaître nos travaux de la manière la plus adéquate. Je voudrais que le blog « Reinventar la Antigüedad », bien que rédigé à la hâte, soit une sorte de manuel abordant le fascinant défi que suppose la divulgation de la connaissance.
UNE ACTIVITÉ IMPORTANTE POUR LE CHERCHEUR. Je commencerai par dire que les chercheurs ne devraient pas mépriser la divulgation. Il est évident qu’il est impossible de divulguer quelque chose que nous ne maîtrisons pas (c’est en partie ce qu’il se passe lorsque nous donnons des cours : nous ne pouvons pas enseigner correctement quelque chose que nous n’avons pas étudié en profondeur de notre côté). Pour cela, il est nécessaire d’effectuer un important travail au préalable et de s’appuyer sur des publications universitaires de haut niveau. En revanche, nous devrions faire tout ce qui nous est possible afin qu’au moins, la communication d’une partie des résultats de notre travail de recherche ne se limite pas au cercle restreint des spécialistes. Faire tomber les barrières purement académiques m’est toujours apparu comme étant un défi stimulant, y compris lorsque nous réalisons un travail difficile à comprendre en dehors de notre petit monde. Il est possible de transmettre, au moins, la passion pour ce que nous faisons. Je me souviens d’un article intéressant publié dans le bulletin du Musée national des Sciences naturelles de Madrid qui racontait comment un chercheur avait passé des années à recueillir des étiquettes d’eau minérale du monde entier. Sa passion n’obéissait pas à un caprice, tel que l’envie de collectionner, par exemple, des bouteilles de Coca-Cola, mais plutôt à l’envie d’étudier la biodiversité des eaux naturelles en se basant sur la composition minérale détaillée sur les étiquettes. D’une manière similaire, j’ai moi-même rassemblé des manuels de littérature grecque et latine publiés en Espagne entre 1784 et 1935. Mon objectif consiste à rendre compte de l’évolution d’une discipline à partir des événements historiques d’une nation.
DIVULGUER NE SIGNIFIE PAS VULGARISER. Fernando Lázaro Carreter, dans ses Dardos en la palabra, ((Littéralement « Le dard dans le mot », une histoire de l’usage de la langue espagnole, miroir de l’évolution de la société espagnole.)) a mis l’accent sur la différence fondamentale qui existe entre la « divulgation » et la « vulgarisation ». Dans tous les cas, divulguer la connaissance ne veut pas dire la dénaturaliser jusqu’à la rendre banale et méconnaissable. Ce même Lázaro a pris pour exemple un chef d’orchestre qui a mis en pièces des œuvres musicales du répertoire classique en vue d’une diffusion plus importante (et, bien sûr, en vue de s’en mettre davantage dans les poches). Dans ce sens, de même que la divulgation de la musique classique devrait contribuer à la formation musicale, la divulgation scientifique se doit d’avoir pour objectif la constitution d’une culture générale scientifique, de sorte que les clichés concernant la recherche (certains ne font pas la différence entre un chimiste et un alchimiste, entre un astronome et un astrologue, ou entre un historien et un habitué des réunions) disparaissent au profit d’appréciations rationnelles. Nous n’en serions pas là aujourd’hui si nos politiques avaient été formés selon ces principes, et s’ils ne considéraient pas la recherche comme étant quelque chose de lointain et d’incompréhensible.
LA DIVULGATION DEMANDE-T-ELLE DE PRÉSENTER LES CHOSES AUTREMENT ? Il est évident que la divulgation exige de simplifier les exposés que nous utilisons habituellement dans une monographie scientifique (schémas, matériels bibliographiques, notes…) afin de donner davantage de légitimité à notre travail. Un public non spécialisé n’a pas besoin des nombreuses notes de bas de page qui viennent étayer nos affirmations. Par ailleurs, les articles scientifiques obéissent souvent à des exposés argumentaires sur lesquels la divulgation peut faire l’impasse. Prenons le cas de mon récent article publié dans le Bulletin Hispanique concernant Machado et Virgile. Dans ce travail, je me suis senti obligé de justifier, par exemple, pourquoi un texte intéressant que Machado a écrit sur Virgile dans Les complémentaires vient du critique français Sainte-Beuve. Dans un article de divulgation, l’accent devrait surtout être mis sur le fait qu’un poète moderne porte autant d’attention à un poète antique, contrairement à ce qu’une personne non spécialisée en tradition classique pourrait penser, plutôt que sur des points plus précis.
POUR QUEL PUBLIC ÉCRIVONS-NOUS ? Parfois, nous divulguons les choses de nous-même, parfois, sans qu’on nous le demande. Dans mon cas, je suis heureux de collaborer, par exemple, à la revue Historia National Geographic. Lorsque cela se produit, je dois assumer le fait de ne pas pouvoir écrire ce que je veux, ni de choisir de quelle façon je veux écrire. Lorsque je collabore à cette revue, on me donne un thème (le dernier a été « Claude, du bouffon à l’empereur »), qui est censé intéresser son million de lecteurs. Je me souviens particulièrement, non sans plaisir, de la première fois où j’ai eu l’occasion d’écrire un article pour HNG. Par chance, on m’a proposé de rédiger un article sur les vêtements portés à Rome, ce qui m’a permis de développer quelques-unes des idées fondamentales de ma thèse doctorale, qui portait sur les habitudes vestimentaires à travers les verbes associés aux tenues vestimentaires dans la langue latine. Je n’ai jamais pensé que certaines des idées fondamentales de ma thèse, telles que le fait qu’il existe deux verbes spécifiques pour chaque type de vêtement (tunique et toge), pourraient être porté à la connaissance d’autant de personnes.
IL EXISTE PLUSIEURS FORMES DE DIVULGATION. En effet, il y a autant de façons de divulguer la connaissance que notre esprit est capable d’en imaginer. D’un simple blog à une visite guidée, en passant, naturellement, par des activités dans lesquelles le public se sent impliqué de par son savoir. Il y a quelques années, je me suis fortement impliqué dans l’organisation d’activités pour la Semaine de la Science. Et, dans une certaine mesure, j’ai pu fidéliser le public. Désormais, je me consacre principalement aux blogs universitaires, même si je suis conscient qu’ils servent davantage à communiquer des informations à caractère académique plutôt qu’à remplir une fonction de simple divulgation, étant donné qu’ils recueillent parfois des informations concrètes sur l’activité du chercheur. Pour cela, j’essaie de compenser ces informations concrètes (congrès, publications récentes…) avec des blogs qui peuvent avoir une portée plus générale (la présentation d’un personnage historique…).
NOUS POUVONS CHANGER LE COURS D’UNE VIE. Il va sans dire que notre comportement obéit surtout aux émotions, et que certaines des décisions les plus importantes que nous prenons sont liées à des événements imprévus. Prenons le cas d’un enfant qui rêve de devenir médecin. Peut-être a-t-il pensé à sa future spécialisation, aux années qu’il devra passer à étudier, et aux années de pratique qui vont suivre ? A-t-il une idée du monde professionnel qui l’attend ? En aucun cas. Peut-être qu’il rêve de porter une blouse blanche et un stéthoscope sans savoir précisément pourquoi, mais cela suffit puisqu’il a créé un lien affectif avec une vocation. La divulgation peut souvent alimenter ce type d’affections intuitives, en nous faisant rêver de mondes que nous ne connaissons pas. Dans ce sens, lorsque j’étais enfant, ma visite au Musée national des Sciences naturelles a changé ma vie, même si par la suite, je ne me suis pas consacré aux sciences expérimentales. J’avais découvert quelque chose de plus important que le fait d’être « un littéraire » ou « un scientifique » : la curiosité pour les choses.
Traduction réalisée par Ombeline Pavy,
étudiante du Master « Traduction Spécialisée Multilingue » – TSM, de l’Université Lille 3.
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Les traductions publiées par « Insula » le sont avec l’accord des auteurs ou du responsable éditorial du site ou du blog concerné. Nous les en remercions chaleureusement.
Lire aussi sur Insula :
Francisco García Jurado, « L’art de divulguer : un défi stimulant », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 1 juillet 2016. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2016/07/01/lart-de-divulguer-un-defi-stimulant/>. Consulté le 21 November 2024.