À propos d’un livre récent.
Le baron Kurd von Hardt a créé une fondation en 1950 pour étudier les civilisations grecque et latine à Vandœuvres, près de Genève. Un livre rédigé par Nicolas Gex, qui vient de paraître (Fondation Hardt, 2016), raconte cette œuvre qui perdure. Nous reproduisons ici un article de Pierre Ducrey paru dans Passé simple, mensuel romand d’histoire et d’archéologie.
« Le CERN de l’Antiquité classique ». C’est ainsi qu’un ancien recteur de l’Université de Genève définit la Fondation Hardt pour l’étude de l’Antiquité classique. Depuis 1950, une belle demeure patricienne de Vandœuvres près de Genève accueille des chercheurs pour des séjours d’étude de deux semaines à deux mois. Au calme de ce cadre idyllique, ils préparent livres et articles en s’appuyant sur une bibliothèque spécialisée dans les domaines du latin, du grec, de l’histoire ancienne ou encore de la philosophie antique. C’est grâce à la généreuse idée du baron Kurd von Hardt que cette tradition se perpétue et se développe depuis plus de six décennies.
La seconde idée du baron fut d’organiser des Entretiens sur l’Antiquité classique. Depuis 1952, ce ne sont pas moins de 63 Entretiens, plus précisément des conférences suivies de discussions, qui se sont déroulés au siège de la Fondation, avant d’être publiés sous la forme d’élégants volumes. Les thèmes retenus par la Commission scientifique sont des plus divers, si bien que la série offre un vaste panorama des études classiques et de leur évolution depuis plus de 60 ans. Les orateurs et, depuis quelques années les oratrices, sont soigneusement sélectionnés parmi les meilleurs spécialistes du moment. Près de 500 d’entre eux ont ainsi défilé à la Fondation et ont contribué à la création et à la diffusion d’un savoir nouveau et inédit.
Le baron Kurd von Hardt
Né en 1889 à Kassel, le baron Kurd von Hardt est le descendant d’une famille d’opulents fabricants et marchands de textiles d’Allemagne orientale, aux titres de noblesse récents, puisqu’ils remontent à la fin du XIXe siècle seulement. Après un début prometteur dans les affaires familiales, la carrière de Kurd est définitivement compromise par la tuberculose. Dès la fin de la Première Guerre mondiale, il embrasse une vie de loisirs, partageant son temps entre le Tessin et la Toscane. La Seconde Guerre mondiale le contraint à chercher refuge au Tessin, où il passe la période de 1938 à 1945. Dès les années 1920, le baron songe à créer une fondation en faveur de jeunes artistes, peintres, poètes, sculpteurs, qui seraient hébergés dans ses villas de Toscane pour s’imprégner de la langue et de la culture italiennes. Mais ses plans ambitieux ne se réalisent pas. On ne sait pas exactement ce qui a poussé le baron à jeter son dévolu sur les rives du Léman. Sa présence aux premières Rencontres internationales de Genève, en1946, au cours desquelles il fut beaucoup question de l’Europe et de son héritage classique, n’y est sans doute pas étrangère. Les propos échangés à cette occasion l’ont probablement encouragé à réunir autour des valeurs portées par la tradition gréco-latine des savants et chercheurs provenant des pays qui s’étaient affrontés dans le conflit le plus grave qu’ait connu l’Europe, au premier rang desquels des professeurs allemands. Dès1947, le baron se met en quête d’une maison qui soit assez vaste pour accueillir ses futurs hôtes. La bonne fortune veut que les héritiers de Paul Des Gouttes, ancien secrétaire général du Comité International de la Croix-Rouge, soient disposés à louer dans un premier temps, puis à vendre le domaine dont ils étaient devenus les propriétaires. En 1948, le baron devient tout d’abord locataire du domaine de Chougny, sur la commune de Vandoeuvres, avant de l’acquérir en 1950. Paul Des Gouttes l’avait baptisé La Chandoleine, nom tiré d’une nouvelle de l’historien et romancier genevois Charles Du Bois-Melly.
En 1949 déjà, le baron reçoit ses premiers hôtes, trois illustres professeurs allemands. Les activités de la Fondation débutent réellement en 1950, avec l’accueil, devenu par la suite régulier, d’hôtes chercheurs. Les premiers Entretiens, consacrés à la notion du divin dans l’Antiquité, ont lieu en 1952.
Tout en se réjouissant de ces bons débuts, le baron s’attelle à son objectif primordial, la création d’une bibliothèque comprenant la totalité des textes grecs et latins, ainsi que les commentaires et autres monographies qui en permettent l’étude et l’interprétation.
Turbulences
Le décès du baron en 1958 ne compromet pas son projet. De tout temps, il avait craint que son œuvre ne lui survive pas. Non sans peine ni tourments, le professeur et homme politique genevois Olivier Reverdin est parvenu durant plus de 35 ans à guider la Fondation à travers vents et marées, avec l’assistance d’un groupe de professeurs et de personnalités dévoués. Les moyens financiers légués par le baron n’étaient pas à la hauteur de ses ambitions. Une fois passées les difficultés liées à la succession du fondateur, il a fallu vendre la moitié des terres du domaine. Mais en dépit des écueils, la Fondation a pu maintenir le cap et poursuivre ses activités jusqu’à la fin du XXe siècle : recevoir des hôtes, organiser des Entretiens et les publier. Le tournant du XXIe siècle aurait pu être fatal à la Fondation, du moins dans son site de Vandœuvres. La mise en vente pure et simple de la propriété a même été évoquée. Mais le soutien décisif d’une fondation privée genevoise, de la Loterie Romande et de la Confédération suisse, par son Secrétariat d’État à l’éducation et à la recherche, enfin des autorités cantonales genevoises lui a permis de prendre un nouveau départ. Les bâtiments ont été modernisés, l’orangerie et la serre de 1862 restaurées. Dès 2005, et surtout à partir de 2008, la Fondation a renforcé et élargi ses activités : l’orangerie accueille des conférences, séminaires, concerts et autres événements, et sert tout naturellement de cadre aux Entretiens annuels. Quant au domaine, il est aujourd’hui inscrit à l’inventaire des immeubles dignes d’être protégés dans le canton de Genève.
Pierre Ducrey
Un ouvrage panoramique
Pour mieux connaître la Fondation Hardt, rien de tel que de se plonger dans le beau volume largement illustré qui vient de paraître.
Dans cet ouvrage intitulé La Fondation Hardt, l’historien Nicolas Gex relate la biographie du baron Kurd von Hardt, créateur de l’institution qui porte son nom, et l’historique de ce centre de recherche unique voué à l’Antiquité classique. On découvre aussi sous sa plume l’épopée que fut la naissance d’une bibliothèque hautement spécialisée, ainsi que la genèse et l’histoire des « Entretiens sur l’Antiquité classique ». Térence Le Deschault de Monredon consacre un chapitre aux objets d’art collectionnés par le baron au cours de sa vie. L’histoire du domaine de Chougny, à Vandœuvres, qui sert d’écrin à la Fondation, est narrée par Christine Amsler, spécialiste de l’architecture régionale genevoise. Cette demeure patricienne a vu baptiser Gustave Ador, le conseiller fédéral genevois, avant d’être agrandie et transformée pour le compte de la famille Périer-Ador par le grand architecte Samuel Darier dans les années 1860.
Nicolas Gex, La Fondation Hardt, Vandœuvres, Fondation Hardt, diff. Genève, Droz, 2016. 200 pages. 180 illustrations.
- Voir le site de la Librairie Droz : www.droz.org
- Voir la notice bibliographique
Pour en savoir plus
- Le site de la Fondation Hardt : www.fondationhardt.ch
- Le site de la revue « Passé simple » : www.passesimple.ch
Remerciements
Nous remercions vivement Pierre Ducrey et la revue « Passé simple » de nous avoir autorisés à reproduire le texte consacré à la Fondation Hardt.
Lire aussi sur Insula :
Pierre Ducrey, « La Fondation Hardt, « le CERN de l’Antiquité classique » », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 28 février 2017. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2017/02/28/fondation-hardt-le-cern-antiquite-classique/>. Consulté le 21 November 2024.