Un livre, un colloque, une exposition.
Indispensable à la survie des êtres vivants, le sel est un élément fondamental des sociétés, ayant contribué à leur développement et à leur prospérité. Afin d’étudier le sel sous des angles multiples et complémentaires, un programme de recherche a été mis en place. Un ouvrage issu des premiers travaux vient de paraître aux Presses universitaires du Septentrion, tandis qu’un colloque à l’Université de Lille et une exposition à Dainville (62) ont pour vocation à approfondir la recherche et de la faire connaître au plus grand nombre.
Un travail issu de l’atelier « Sel » du laboratoire Halma UMR 8164
On constate un renouvellement significatif des connaissances relatives à l’archéologie du sel par un apport varié de données et de découvertes récentes. De ce fait, nous avons souhaité « mettre notre grain de sel » afin de participer au débat sous la forme d’un groupe de recherche mis en place en 2013 que nous pilotons en qualité de membres du laboratoire Halma – UMR 8164 (CNRS, MCC, Lille SHS), dirigé par Didier Devauchelle, puis par Stéphane Benoist, qui ont apporté leur soutien actif et précieux à cet atelier scientifique. Le but poursuivi est de montrer la richesse de la réflexion sur ce sujet à partir des données récoltées dans le nord de la Gaule depuis la Protohistoire. En effet, les fouilles menées par Gilles Prilaux et Armelle Masse ont été les leviers permettant de rassembler des travaux similaires afin d’établir des points de comparaison sur la base d’un corpus régional, et de proposer des pistes de réflexion, notamment sur la chaîne opératoire de la fabrication du sel ignigène et sur le statut de ces lieux de production.
Par ailleurs, nous souhaitions adopter une démarche qui s’élargirait au fur et à mesure des rencontres, d’une part dans une perspective diachronique, d’autre part en croisant les approches, avec un objectif pluridisciplinaire et transversal. De ce fait, nous avons lié nos travaux à ceux de Michel Dubois, du laboratoire de Génie Civil et Géo-Environnement de l’université des Sciences Lille Nord de France (LGCgE / EA 4515, Université de Lille), spécialiste de minéralogie, géochimie, ressources naturelles, matériaux, qui nous a permis, avec son équipe, la mise en place de cette collaboration tout à fait fructueuse. La participation de collègues spécialistes de littérature antique, Séverine Clément-Tarantino (Université de Lille, Halma–UMR 8164) et Anne-France Morand (Université de Laval, Canada), a été un atout supplémentaire pour percevoir la richesse de l’approche pluridisciplinaire, déjà amorcée avec le regard des géologues, des archéologues et des historiens.
Le livre Sel et société tient compte des deux manifestations scientifiques que nous avons organisées, l’une le mardi 26 novembre 2013, l’autre le mardi 25 novembre 2014, à la Maison de la Recherche de l’Université de Lille, SHS–Lille 3. Lors du premier volet, centré sur les « sels du Nord », les découvertes archéologiques récentes dans le Nord de la Gaule ont été présentées en une série d’approches concrètes. Il s’agissait de dresser d’abord un bilan des connaissances, et ensuite de faire l’inventaire des nouvelles perspectives de la recherche sur l’archéologie du sel dans la région. Ces communications concernaient essentiellement la production et les problématiques liées à la difficulté d’évaluer le fonctionnement et le rôle exact des nombreux ateliers de fabrication des pains de sel découverts sur le littoral et à l’intérieur des terres. Les objectifs de la deuxième journée ont été d’appréhender de manière très large les usages du sel : dans la perspective d’une approche diachronique et pluridisciplinaire. En compléments, deux expérimentations ont eu lieu sous l’égide de l’Inrap : en 2007, à travers la reconstitution d’un fourneau à sel gaulois découvert à Pont-Rémy en 1994 et en 2014 au Parc de Samara, près d’Amiens, dans la Somme, à partir des découvertes de Gouy-Saint-André. Ce dernier essai a permis de vérifier un certain nombre d’hypothèses, offrant aussi d’autres champs de réflexions pour améliorer les reconstitutions.
Un livre sur le sel grâce à des approches multiples
Une caractéristique de l’étude du sel est précisément la continuité du phénomène : l’homme ne pouvant se passer de sel, pour les divers usages qu’il en fait, a exploité tout au long de son histoire ce précieux minéral, jusqu’à abuser même de ses qualités par une consommation trop intense qui caractérise notre société actuelle. La recherche d’un équilibre est une quête récente, mais dès l’Antiquité, on réfléchissait aux différents usages du sel et à la manière de s’en servir de façon optimale. De même, l’impact de l’exploitation du sel sur l’environnement et sur les structures sociales focalise aussi l’attention. De ce fait, l’approche diachronique et pluridisciplinaire s’applique parfaitement à ce thème du sel.
« Techniques, usages, langage » est un ouvrage divisé en deux parties qui reprennent globalement les deux thématiques des deux journées d’études : « Les sels du Nord » et les « Usages du sel ». Certaines fouilles ont déjà donné lieu à des publications de synthèse auxquelles nous renvoyons volontiers et dont il faut souligner l’importance comme l’atelier de saunier de Conchil-Le-Temple (Pas-de-Calais) sous la direction de Frédéric Lemaire, celui de Saint-Laurent-Blangy (Pas-de-Calais) grâce à Alain Jacques et Gilles Prilaux et celui de Pont-Rémy (Somme) par le biais de l’étude de Gilles Prilaux. Si l’on prend ce dernier exemple, son étude a permis de déterminer que le travail du sel occupait une place prépondérante dans l’économie de cet établissement agro-pastoral gaulois, un grand fourneau produisait en un cycle, entre 250 et 350 kg de sel, conditionnés sous forme de pains compacts de 1 à 2,5 kg. En revanche, le site de Gouy-Saint-André (Pas-de-Calais) a été revu et les conclusions ont pu être affinées dans un article qui propose une réflexion sur le processus de construction et d’utilisation des fourneaux de sauniers.
Porté par la volonté de traiter de façon transdisciplinaire le sujet du sel dans les sociétés, l’ouvrage commence par une approche minéralogique, géologique et physico-chimique du sel (article de Michel Dubois, Claudie Hulin, d’Arnaud Gauthier et de Sandra Ventalon). Cette introduction est essentielle pour aborder les contraintes de production du sel et comprendre les différentes méthodes et les principales phases nécessaires d’extraction du sel de ses supports naturels.
Les traces de production de sel dans le Nord de la France présentent une certaine homogénéité dans les choix technologiques, entre le second âge du Fer et les débuts de la période romaine. En revanche, le devenir des productions fait partie des grandes questions que l’on se pose. Et tout d’abord il est important de savoir pour qui produisaient les sauniers et si leur but était leur propre consommation ou l’échange de sel contre d’autres produits. Déterminer s’il y avait un véritable commerce de cette précieuse denrée est aussi un objectif de la recherche. Or, il semble que tous ces cas soient possibles, comme le montrent les trois articles réunis : celui de Sabrina Sarrazin et d’Émilie Louesdon ; celui de Laurent Duvette ; et celui d’Armelle Masse et de Nicolas Tachet. Il a été confirmé que le sel circule dans la région Hauts de France à la période gauloise. Sur des sites d’habitat sans atelier de saunier attesté, des fragments de moules caractéristiques de la production de sel sont découverts dans les structures archéologiques. La caractérisation pétrographique des moules permet même de lancer des hypothèses sur leur provenance. On se référera pour cela à l’article d’Adeline Lagneau et de Caroline Gutierrez (et de leurs collaborateurs) qui éclairent sur la nature des constituants utilisés.
Par ailleurs, les usages du sel sont multiples, à commencer par le domaine de l’alimentation. Même si les données sont indirectes, le sel a largement contribué à la conservation des aliments. L’article de Claire Barat (Université de Valenciennes, Calhiste, EA 4343) permet d’apprécier un exemple en Asie Mineure antique, celui des salaisons produites au bord de la Mer Noire. Les techniques de fabrication et la commercialisation de ces produits sont traitées avec précision, permettant une approche globale des ressources de la pêche et de leur place dans les cités de l’espace géographique considéré. De plus, les textes nous éclairent sur la présence du sel dans les pratiques médicales antiques ainsi que le montre clairement l’article d’Anne-France Morand. En outre, le langage courant utilise nombre d’expressions qui s’inspirent du sel, en particulier de ses qualités d’exhausteur de goût. Le mot « sel » et ses dérivés s’invitent fréquemment à l’oral comme à l’écrit et ce phénomène s’observe dès l’Antiquité. Dans la vie quotidienne, la conversation ne manque pas de sel et les poètes antiques n’hésitent pas à utiliser toute la rhétorique figurée du sel dans leurs écrits, mécanisme que Séverine Clément-Tarantino s’est attachée à démontrer pour l’Antiquité. Mais ce type d’expressions où les jeux de mots et les métaphores sur le sel l’emportent n’est pas spécifique à une partie de l’histoire, il a inspiré largement les hommes et leur regard sur eux-mêmes. Un très beau documentaire a été tourné par Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado, sorti en octobre 2014, prix spécial Un certain regard du Festival de Cannes, à partir du regard et de la vie du photographe Sebastião Salgado, pour décrire l’homme avec la lumière. Or, il porte le titre « Le sel de la terre », désignant par là l’homme dans son unité, reprenant l’expression tirée de l’évangile de saint Matthieu, ch. 5, verset 13 : « Vous êtes le sel de la terre ».
D’ailleurs, nous avons prolongé la réflexion au Moyen Âge et à la Renaissance éclairant notre connaissance des techniques de la production de sel, qui s’avèrent différentes de la période antique ainsi que l’on montré Étienne Louis et Sébastien Bernez. Ensuite, les villes d’Italie, et plus précisément Venise, qui a été étudiée par Jean-Claude Hocquet, spécialiste reconnu de l’histoire du sel, on perçoit comment la Cité des doges a bâti une partie de son immense fortune sur le commerce du sel.
Un colloque international et un prochain volume à paraître : sel et société 2.
Le colloque « sel et société », organisé par le laboratoire Halma–UMR 8164, les 23 et 24 novembre 2017 à l’Université de Lille (site Pont-de-Bois), est le 42e organisé par le laboratoire. Cette nouvelle manifestation s’inscrit comme une nouvelle étape de l’atelier « sel ». Pour compléter l’approche qui en a été faite dans ce premier volume, il fait une place de choix à trois axes privilégiés : d’une part, le lien qui unit sel et santé de l’Antiquité à nos jours, d’autre part, le sel des croyances, et enfin, les conséquences de l’exploitation du sel à travers un regard sur l’économie engendrée et sur les retombées sociales qui en ont découlé. Le regard s’est porté sur des horizons plus lointains, sur des problématiques différentes et complémentaires. La manifestation est soutenue par Région des Hauts-de-France, et a été inscrite dans le programme Recherche et Innovation. Elle a également été aidée par la Maison Européenne des Sciences de l’Homme et de la Société (MESHS) dirigée par Martine Benoit, qui prône le dialogue science et société, l’interdisciplinarité et l’internationalisation, par le laboratoire de Génie civil et d’environnement, auquel appartient Michel Dubois, et par le laboratoire Irhis, dirigé par Stéphane Michonneau, l’un et l’autre de l’Université de Lille.
Une exposition : « Ça ne manque pas de sel ! »
En lien avec le colloque, une exposition a été créée à la Maison de l’archéologie du Pas-de-Calais à Dainville (62). Présentée jusqu’au 17 juin 2018, a été réalisée sous la direction d’Armelle Masse, en un partenariat regroupant le Département du Pas-de-Calais, l’Inrap et l’Université de Lille. Des ateliers pour enfants (7-15 ans) sont organisés par les médiateurs et des conférences par les commissaires de l’exposition qui animent les débats sur le sel de l’Antiquité à nos jours. Les objets rassemblés proviennent des fouilles réalisées dans le nord de la Gaule, de différents musées, signalons un très bel autel consacré à la déesse Dea Nehalennia, véritable divinité du sel, qui protégeait du Ier au IIIe s. apr. J.-C. bateliers et marins faisant le commerce de cette denrée, ainsi que des spécialités de sauces à base de poissons et de sel, et autres marchandises sur les cours d’eau de Gaule (Escaut, Rhin, Moselle…) et vers l’île de Bretagne (actuelle Grande-Bretagne). L’autel provient du musée de Leyde (Pays-Bas).
Pour en savoir plus
- Le livre
Christine Hoët-van Cauwenberghe, Armelle Masse et Gilles Prilaux (dir.),
Sel et société. Tome 1 : Techniques, usages, langage, PUS, 2017, 272 p.
ISBN 978-2-7574-1803-1, 16×24 cm, 22€.
Voir sur le site de l’éditeur (sommaire,…) :
www.septentrion.com - Le colloque
Date : du jeudi 23 au vendredi 24 novembre 2017
Lieu : Maison de la Recherche, salle des colloques – Université de Lille , Sciences Humaines et Sociales
Site Pont-de-Bois (Métro Pont-de-Bois)
Page du colloque (programme, renseignements pratiques) :
halma.univ-lille3.fr - L’exposition « Ça ne manque pas de sel ! »
16 septembre 2017 au 17 juin 2018
Maison de l’archéologie du Pas-de-Calais, rue de Whitstable 62000 DAINVILLE France tél. +33 (0)3 21 21 69 31.
Page de l’exposition (renseignements pratiques, cafés-archéo, animations, …) :
archeologie.pasdecalais.fr
Lire aussi sur Insula :
Christine Hoët-Van Cauwenberghe, « Actualité de la recherche sur le sel », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 20 novembre 2017. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2017/11/20/actualite-de-la-recherche-sur-le-sel/>. Consulté le 21 November 2024.
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