Redécouvrir la musique de la Grèce antique

Armand D’Angour propose une brève introduction à la musique grecque antique et ses rapports à la poésie. La traduction française inédite de ce billet paru en anglais pour « OUPblog » en juin 2018 est réalisée pour Insula par les étudiants du Master en « Traduction spécialisée multilingue » (TSM) de l’Université de Lille.

Contrairement aux autres billets publiés par « Insula », les traductions issues de « OUPblog » ne sont pas publiées sous une licence en libre accès.

« Il ne sert à rien d’étudier la musique de la Grèce antique », Giuseppe Verdi

« Personne n’a jamais réussi à déchiffrer la musique de la Grèce antique et personne n’y parviendra jamais. On en deviendrait presque fou », Wilfred Perrett

La poésie de la Grèce antique, avec les fameuses épopées d’Homère, les poèmes d’amour passionné de Sappho et les chefs-d’œuvre de la tragédie et de la comédie grecque, se situe aux origines de toute la littérature occidentale. La majorité de cette poésie se composait de chants et supposait en général un accompagnement instrumental. Grâce aux écrits ayant résisté à l’épreuve du temps, les chercheurs sont désormais en mesure de recréer la musique de la Grèce antique telle qu’on pouvait l’entendre alors. En associant ces connaissances aux technologies modernes et à une musicalité imaginative, nous disposons désormais des clefs pour comprendre les raisons pour lesquelles cette musique avait une telle influence sur les auditeurs.

Dans la société grecque de l’époque, la musique occupait une place aussi centrale que dans la nôtre, aujourd’hui. Dans l’Antiquité, les Grecs pensaient que la musique avait le pouvoir de captiver et d’enchanter. Au Ve siècle av. J.-C., la musique du théâtre athénien était appréciée par des dizaines de milliers d’auditeurs. Les plus grands artistes étaient considérés comme des pop stars : on disait de Pronomos de Thèbes, un joueur d’aulos, que « ses grimaces et ses gestes faisaient le bonheur de son public », à l’instar d’Elvis lui-même. Les rythmes complexes de la poésie de la Grèce antique se mesuraient en mètres, et constituaient la base de pas de danse qui supposaient des mouvements verticaux des pieds des danseurs. Des inscriptions retrouvées sur des pierres et des papyrus décrivent la façon dont les temps correspondaient, dans certains cas, au rythme antique et nous ont aidés à comprendre comment l’on dansait sur celui-ci.

À l’image de toutes les musiques, les éléments principaux qui constituaient la musique de la Grèce antique étaient la voix, les instruments, les rythmes, ainsi que les mélodies. Grâce aux peintures antiques et aux reliques ayant perduré, dont certaines sont en très bon état, nous sommes très bien informés sur les instruments en question. Deux principaux types d’instruments accompagnaient les chansons : l’aulos et la lyre. On raconte que la sonorité douce des cordes pincées aurait permis à l’aède Orphée d’ensorceler les arbres et de contrôler les animaux sauvages. Imaginez que tout ce que nous connaissions des chansons des Beatles, des opéras de Mozart, de Verdi, de Wagner ou de Britten, ne soit que les paroles. Puis, qu’après deux millénaires, nous cherchions à savoir à quoi ils ressemblaient. Nous serions obligés de reconnaître l’énorme différence que le son apporte à l’esprit et aux émotions de l’auditeur. Imaginez !

Le papyrus d’Oreste, d’Euripide. Collection de papyrus de la Bibliothèque nationale autrichienne. Domaine public, accessible via Wikimedia Commons.

Nous savons que la musique, c’est-à-dire le chant, la pratique d’un instrument et la danse, a occupé une place prépondérante dans la société de la Grèce antique pendant des siècles, à partir de l’époque d’Homère, au VIIIe siècle av. J.-C. On la retrouvait dans la pratique de la religion, dans le divertissement et lors de banquets formels et informels, lors de cérémonies telles que les mariages et les célébrations de victoires, et même dans le milieu du travail, où les aulos étaient perçus comme une source de motivation pour les travailleurs. Mais par-dessus tout, nous savons que les textes poétiques les plus anciens ont été mis en musique.

Jusqu’à récemment, les gens pensaient que nous ne savions rien des mélodies antiques. Toutefois, les chercheurs sont enfin parvenus à déchiffrer avec précision des inscriptions sur roche et sur papyrus, qui se sont révélées être des chansons et des fragments de mélodies, dont certaines n’ont pas été entendues depuis 2000 ans. La transposition en mélodie de ces inscriptions a été rendue possible par un ensemble complet de tableaux qui ont été préservés et qui datent environ du Ve siècle apr. J.-C. Leur auteur, appelé Alypius, est par ailleurs inconnu. Ce dernier a répertorié les notations utilisées dans la description du chant et de la mélodie instrumentale, nous permettant ainsi de comprendre à quels modes se référaient les marquages et expliquant les intervalles.

Plus tard, au IIe siècle apr. J.-C., le mathématicien et astronome Ptolémée, également auteur de textes sur la musique, nous a légué des informations très précises concernant l’accordage des lyres à sept ou huit cordes. Il a conçu un octacorde doté d’un chevalet amovible et a mesuré la proportion des cordes, afin de calculer leur hauteur. Ainsi, nous sommes désormais capables de reproduire les instruments à cordes et de les accorder exactement comme ils l’auraient été à l’époque.

Des fragments de papyrus contenant des notations musicales ont commencé à émerger dès le XVIe siècle, ce qui a poussé les musiciens florentins à s’essayer et à redécouvrir avec engouement la musique de la Grèce antique. Hélas, les indications se sont avérées trop succinctes pour leur permettre de jouer convenablement cette musique, les incitant de ce fait à créer leur propre version de l’opéra et de l’oratorio.
Au cours des siècles derniers, cependant, de plus en plus de papyrus et de pierres ont été retrouvés, lesquels comprenaient de nombreuses notations musicales. Grâce à ces trouvailles, nous avons été en mesure de reproduire les sons de la musique qui a été autrefois chantée et jouée. Une douzaine de mélodies ont été transposées et sont maintenant prêtes à être jouées à l’aide de textes qui indiquent le rythme intrinsèque. Le grec ancien comportait des mots composés de syllabes longues et courtes.

Les sonorités des mélodies païennes datant du Ve siècle av. J.-C. au IIIe siècle apr. J.-C. rappellent les chants typiques des débuts de la tradition musicale occidentale telle que nous la connaissons, à savoir le chant grégorien datant du IXe siècle après J.-C. Le lien n’a jamais été démontré auparavant, mais il a un impact sur l’histoire de la musique. En décembre 2017, un court-métrage sur la musique est sorti. Il a connu un franc succès, atteignant plus de 100000 vues au cours des trois premiers mois.
Maintenant que nous sommes capables de reproduire certaines versions chantées de cette poésie, nous devons nous poser la question suivante : dans quelle mesure la musique de la Grèce antique affecte ou interagit avec ces textes poétiques ?

Peinture d’Eustache Le Sueur
Peinture d’Eustache Le Sueur

Crédit image : représentation datant du XVIIesiècle des muses grecques Clio, Thalia et Eutherpe jouant de la flûte traversière, vraisemblablement l’instrument que l’on appelle « phōtinx ». Peinture d’Eustache Le Sueur. Domaine public, accessible via Wikimedia Commons.

Armand D’Angour est professeur associé de musique traditionnelle et musicien. Il a également exercé les métiers de violoncelliste et d’homme d’affaires. Pour les Jeux olympiques d’Athènes en 2004 et ceux de Londres en 2012, il était chargé de composer des odes de Pindare en grec traditionnel, suivant les codes de la poésie métrique, et en dialecte. Il est l’auteur de l’ouvrage « The Greeks and the New : Novelty in Ancient Greek Imagination and Experience » (Cambridge University Press, 2011) et coauteur de « Music, Text, and Context in Ancient Greece » (Oxford, 2018).

Traduction réalisée par les étudiants du Master en « Traduction spécialisée multilingue » (TSM) de l’Université de Lille au cours d’un Skills Lab.

Un Skills Lab est une agence virtuelle de traduction, qui permet aux étudiants de gérer des projets de traduction en totale autonomie. L’objectif est de recréer les conditions de travail d’une agence de traduction au sein même de l’université et d’évaluer les compétences des étudiants pour les différentes étapes de la gestion d’un projet : préparation des fichiers et des ressources, traduction, révision, livraison, relation client. Un descriptif du Skills Lab mis en place au sein de la formation « Traduction Spécialisée Multilingue » est disponible ici :
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Armand D'Angour, « Redécouvrir la musique de la Grèce antique », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 25 septembre 2019. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2019/09/25/redecouvrir-la-musique-de-la-grece-antique/>. Consulté le 23 April 2024.