Les experts ne sont pas unanimes pour attribuer ce texte à Thucydide et penchent plutôt pour un exercice scolaire de l’époque impériale, durant lequel l’élève devait écrire à la manière d’un auteur. Quoi qu’il en soit de la date de sa composition, cet extrait nous donne un aperçu des difficiles conditions sanitaires qui apparaissaient sur les lieux d’enseignement, mal chauffés, à l’arrivée des premiers froids, et des problèmes que l’on avait alors pour s’approvisionner.
La troisième année de l’archontat de Simos, comme l’automne approchait, le mal fondit sur l’école de latin et de grec. On ne sait quelle en fut la cause : les médecins pensaient que les stratèges ayant interdit de faire du feu dans cet endroit pour ne pas alerter les ennemis qui guettaient, et comme les nuits s’étaient subitement allongées mais que l’on avait interdiction de manger tout de suite du fromage fondu pour ne pas en épuiser les réserves, les corps étaient affaiblis par le froid et par un travail trop lourd, et ainsi ils s’épuisaient à la tâche sans pouvoir être ranimés. Une autre cause de l’épidémie, dont j’ai été témoin moi-même, fut que, pour une raison inconnue, les jarres disposées de par l’agora, qui habituellement étaient pleines d’un breuvage chaud qui ranimait les esprits, étaient vides cette année-là, de même que les greniers à grain restaient fermés sur ordre des magistrats, si bien qu’à la maladie s’ajouta bientôt la famine et que les moins résistants, tant des maitres que de leurs disciples, succombèrent en un temps réduit.
Si le mal se propagea si vite entre les maitres de latin et de grec, c’est peut-être parce que, soit par coutume, soit pour se témoigner leur affection, ils s’embrassaient sur les joues quand ils se rencontraient et se saluaient, et ainsi se transmettaient la maladie. En outre, comme tout le monde était cantonné dans un petit espace, le mal, bien vite, passa des maitres à leurs élèves, si bien que ce fut la majorité de la population qui fut atteinte, et même jusqu’au tenant des livres, qui pourtant jouissait d’une excellente santé. On se mettait à trembler, la peau devenait grise et tirée, tous les membres étaient douloureux et l’on ressentait une fatigue si immense que l’on finissait par s’allonger dans un recoin, et que, si l’on n’était pas aperçu et secouru de ses proches, on mourait. Moi-même, cependant, j’ai survécu comme d’autres à ce fléau.
C’était alors un spectacle terrible à voir que celui de la population qui, prise de faiblesse, oubliant ses usages et ses convenances, s’adonna à toutes les bizarreries. Les maitres et les disciples s’emmitouflaient de peaux de bêtes lorsqu’ils s’entretenaient afin de ne pas succomber au froid. Devant les greniers et les fours publics, les occupants de l’école, en file, se mélangeaient au reste du peuple jusqu’à former des masses confuses et indénombrables, et ils suppliaient durant de longues heures pour obtenir de quoi soulager leur faim ou cuire sur le feu une maigre galette. Bien souvent, des êtres dont on ne savait plus s’ils étaient encore vivants ou déjà cadavres roulaient les uns sur les autres pour se rapprocher de ces lieux de salut dans un dernier sursaut d’espoir, et l’attente du repas se transformait en rixes qui ne laissaient personne indemne et faisaient disparaitre tout honneur.
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Anne de Cremoux, « Épidémie à l’école de latin et de grec, d’après Thucydide », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 22 octobre 2019. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2019/10/22/epidemie-a-lecole-de-latin-et-de-grec-d-apres-thucydide/>. Consulté le 10 December 2024.