Actualité de l’Antiquité # 15.
L’État − via Phil@poste − a tranché dans la querelle d’experts : le buste retrouvé dans le Rhône en 2007 représente un « Buste de César ». Au mois de février 2014, La Poste a en effet édité un timbre consacré au buste d’Arles immédiatement identifié comme étant Jules César par son découvreur, l’archéologue Luc Long, attribution qui fut rapidement contestée. La Vénus d’Arles, quant à elle, avait quitté la Provence peu après sa découverte en 1651 pour Versailles. Elle avait d’abord était appelée Diane par les archéologues avant d’être nommée Vénus par le roi Louis XIV. C’est l’aventure de cette statue que narre Louis XIV et la Vénus d’Arles, ouvrage publié par l’éditeur arlésien Actes sud.
Les liens de Jules César et de la déesse Vénus sont connus, et revendiqués par l’intéressé : César se proclamait descendant de Vénus1. À Arles, les liens entre Vénus et César sont réunis par des trouvailles archéologiques. À plus de 350 ans d’intervalle, le site d’Arles a livré deux antiques parmi les plus beaux trouvés en France, devenus immédiatement populaires : une statue représentant Vénus, un buste représentant Jules César, à moins que la première ne représente Diane et le second un anonyme Républicain.
« Mais c’est César ! »
L’exclamation est devenue célèbre. En 2007, Luc Long sort du Rhône une statue en marbre qu’il identifie immédiatement comme le portrait du vainqueur de la guerre des Gaules. Mieux : pour l’archéologue, le César d’Arles serait la seule effigie connue qui aurait été sculptée du vivant même du dictateur pour figurer dans la colonie romaine d’Arelate fondée par lui en 46 av. J.-C.. De quoi susciter un accueil enthousiaste et, pour reprendre l’expression de Xavier Lafon, « une médiatisation quelque peu outrancière »2. De fait, pour Claude Sintès, le « Buste de César » est devenu « la Joconde » du Musée départemental de l’Arles antique qu’il dirige, un « people » que les Arlésiens se sont appropriés en le représentant sur des chocolats ou des serviettes de restaurant3.
Mais, en l’absence de dédicace sur la statue, malgré l’intuition et les arguments de Luc Long − d’ordre stylistique, anatomique, géologique et historique − les spécialistes ne sont pas unanimes à présenter le buste comme étant un portrait de César. Pour Paul Zanker, il s’agirait de la représentation d’un contemporain de Jules César, dont les seuls points communs avec le célèbre dictateur seraient le visage émacié et la calvitie4. En 2009, Emmanuelle Rosso fait le constat suivant : « le personnage dont nous avons conservé les traits ne peut, dans l’état actuel des connaissances, que demeurer anonyme ».5
L’État sait mieux
Il est certain que présenter précautionneusement un portrait comme celui d’un anonyme est moins flatteur que de le baptiser d’un nom célèbre. En l’absence d’inscription sur le marbre, un timbre émis par l’État français a donc tranché : « Buste de César » est-il inscrit sans ambiguïté sous la représentation du célèbre marbre dessiné et gravé par Pierre Albuisson. Il faut aller sur le site internet de Phil@poste pour y trouver un léger doute : « Buste attribué à César » est-il écrit dans la légende officielle présentant le timbre6. Tiré à 1 million d’exemplaires, le timbre va véhiculer l’image et le nom de César, comme autrefois les monnaies romaines.
Outre la querelle d’experts sur l’identification du portrait, les Arlésiens eurent quelques craintes de voir s’échapper de leur cité le buste trouvé dans le Rhône. Il y eut les prétentions du bouillonnant Georges Frêche, président de Languedoc-Roussillon (décédé en 2010), qui assurait en effet que les antiquités découvertes dans le Rhône avaient été trouvées du côté gardois du fleuve et revendiquait qu’elles soient installées à Nîmes7. Mais la crainte la plus sérieuse venait de Paris. Luc Long réalisant ses fouilles pour le compte de l’État français, le buste pouvait être déposé au Musée du Louvre − avec lequel le Musée départemental Arles antique a passé un contrat à long terme − ou laissé à la ville8. L’Éphèbe d’Agde, conservé vingt ans par le Louvre était un précédent inquiétant. Surtout : le souvenir amer de la Vénus d’Arles, donnée à Louis XIV par les Arlésiens, aujourd’hui au Musée du Louvre, réveillait en Provence la crainte d’être spolié par la Capitale. C’est l’aventure de cette statue que narre Louis XIV et la Vénus d’Arles, ouvrage publié par l’éditeur arlésien Actes sud.
Dominique Séréna-Allier, Conservatrice du Museon Arlaten (ce que l’éditeur ne précise pas), musée départemental d’ethnographie créé en Arles à la fin du XIXe siècle par le poète Frédéric Mistral, est l’auteure d’un petit ouvrage (79 pages) consacré à la plus célèbre des Arlésiennes : la « Vénus ».
L’histoire moderne de la « Vénus » commence le 5 juin 1651, quand des terrassiers découvrent à Arles une statue féminine en marbre d’un peu plus de 6 pieds (1,94 mètre). La statue est immédiatement considérée comme un chef-d’œuvre antique, consacrant Arles comme une ville romaine de tout premier ordre.
La statue féminine, privée de ses bras, n’a pas attribut permettant de pouvoir l’identifier avec certitude. Comment alors l’interpréter et la nommer ? Un érudit local, François de Rebatu9, la désigne rapidement comme étant une représentation de la déesse Diane. En 1656, il édite un opuscule sur la Diane et le Jupiter d’Arles en exposant ses arguments puis, en 1659, peaufine son sujet dans une nouvelle publication. C’est donc comme « Diane » que la statue, propriété des Consuls, est exposée à Arles pendant plus de trente ans, présentée aux visiteurs, exhibée lors de fêtes, objet de dissertations brillantes et de conversations galantes, son image diffusée sous forme d’estampes. Outre l’intérêt historique et artistique porté alors à « Diane », Dominique Séréna-Allier montre bien la fonction à la fois symbolique et politique assignée à cette Arlésienne devenue célèbre.
« Arles célèbre-t-elle Diane la chasseresse ou Vénus la séductrice ? »
En 1680, les premiers doutes interviennent à propos du sujet représenté. Pour Claude Terrin, antiquaire arlésien, il ne s’agirait pas d’une représentation de Diane mais de Vénus. Terrin expose son interprétation dans La Vénus et l’obélisque d’Arles. Une escalade de publications s’ensuit entre les tenants de « Diane » et ceux de « Vénus », une joute qui atteint son paroxysme au cours de l’été 1684, tandis que le débat s’est déplacé à Paris, accompagnant la statue dans la capitale.
À la mi-mars 1684, « Diane » quitte Arles pour Paris. Les Arlésiens ont en effet été sollicités pour, écrit Dominique Séréna-Allier, contribuer, en tant que fidèles sujets, à la « splendeur du rêve antique » de Louis XIV. « Diane » est offerte au Roi pour être exposée dans la Galerie des Glaces de Versailles, alors en chantier, venant ajouter à moindre frais une pièce de choix − qui plus est nationale − à la collection d’antiques encore très indigente des rois de France. Un moulage grandeur nature remplace à Arles la statue devenue à Versailles l’ambassadrice et la fierté de son lieu d’origine.
Dans les publications (Journal des scavants, Mercure Galant), les cénacles, jusqu’à l’Académie française, on s’interroge : « Diane » ou « Vénus » ? Mais, dans ce « Jugement de Pâris » d’un nouveau genre, c’est finalement le Roi qui tranche. Après Charles Le Brun et une équipe d’artistes, Louis XIV décide que la statue représente la déesse de l’amour et la consacre comme la plus belle femme de son royaume. Le sculpteur Girardon est alors prié de compléter la statue, l’époque préférant un faux antique achevé plutôt qu’un fragment archéologique10. Parmi les ajouts les plus spectaculaires : la déesse retrouve deux bras. La main droite tient la pomme gagnée lors du Jugement de Pâris, la gauche un miroir, subissant − pour reprendre la formule écrite ailleurs par Chantal Grell − « une métamorphose qui lui donne une vigueur nouvelle »11. La Vénus d’Arles est née. Les partisans de « Vénus » font éclater leur joie. La statue trouve sa place dans la Galerie des Glaces de Versailles, cette Rome régénérée, en pendant au Bacchus. Elle va y demeurer jusqu’en 1798, quand elle est saisie pour le musée du Louvre où sa gloire est bientôt éclipsée par une autre statue : la Vénus de Milo.
Si la Vénus d’Arles pâlit à Paris, son mythe se régénère au XIXe siècle à Arles où on parle avec nostalgie du temps où Vénus était en Provence, avant son rapt. Dominique Séréna-Allier développe un court chapitre, pour nous le plus original, sur la destinée régionaliste de la statue, au même moment où s’élabore le cliché de la beauté antique des Arlésiennes, filles de Vénus, que Frédéric Mistral − mais il ne sera ni le seul ni le premier − va contribuer à propager, dans ses textes et au sein du Museon Aarlaten.
La suite ?
Au final, Louis XIV et la Vénus d’Arles est un petit livre d’une lecture agréable, élégant comme il sied à un ouvrage consacré à la déesse de la beauté. On s’étonnera qu’auteur et préfacier ne soient pas mieux identifiés dans leur titre respectif. On regrettera peut être que la statue ne soit représentée que par des gravures anciennes et que les éditeurs choisirent d’illustrer la couverture par la même photographie que les éditeurs du catalogue de l’exposition Praxitèle.
On pourra surtout vouloir connaître la suite de l’aventure, qui ne s’achève pas avec Louis XIV (ou Frédéric Mistral). On aimerait voir évoqués en particulier les doutes et les discussions sur l’attribution de l’œuvre à Praxitèle, ainsi que l’utilisation de la Vénus d’Arles dans l’art, l’imaginaire et les discours contemporains. La Vénus d’Arles, rappelaient les auteurs d’un ouvrage sur les antiques du Louvre, témoigne bien des modes successives de la science archéologique « tour à tour agitée par les questions d’identification, d’attribution et de datation mais aussi, à des moments précis, par les problèmes de l’histoire des restaurations »12. Un second livre sur le sujet serait le bienvenu. Pourquoi pas dans la collection « Solo », consacrée aux œuvres majeures du Musée du Louvre où la déesse s’en est retournée, après un bref retour à Arles en 2013. Le temps de l’exposition « Rodin : la lumière de l’antique », on a en effet pu admirer à Arles la statue dite « Vénus d’Arles » présentée à quelques salles du désormais fameux Buste dit de César.
À propos du livre
Dominique Séréna-Allier, Louis XIV et la Vénus d’Arles : la plus belle femme de mon royaume, Actes sud, 2013. 79 pages. ISBN 978-2-330-02639-4
- Les Julii se proclamaient descendants de Iule, fils d’Énée, lequel était né des amours d’Anchise et de Vénus. [↩]
- Xavier Lafon, « Renouveau des études sur les décors de la Gaule romaine : peinture murale et sculpture », Perspective [En ligne], 2 | 2010, mis en ligne le 13 août 2013, consulté le 25 mars 2014. URL : http://perspective.revues.org/1120. [↩]
- Voir l’article « Le buste de César, c’est notre Joconde ! » dans Historia du 31 mai 2011 : http://www.historia.fr/mensuel/774/le-buste-de-cesar-cest-notre-joconde-01-06-2011-67616 [lu le 22 mars 2014]. [↩]
- Paul Zanker, « Caesars Büste ? Der Echte war energischer, distanzierter, ironischer » dans Sueddeutsche Zeitung : http://www.sueddeutsche.de/wissen/caesars-bueste-der-echte-war-energischer-distanzierter-ironischer-1.207937 [lu le 22 mars 2014]. [↩]
- Emmanuelle Rosso, « Le nez de César » dans L’Histoire n°342, mai 2009, p. 20 : http://www.histoire.presse.fr/actualite/infos/le-nez-de-cesar-01-05-2009-8411 [lu le 22 mars 2014]. [↩]
- Voir sur le site de Phil@poste : www.ffap.net/Documents/Timbres/2014/Buste_Cesar_2014.pdf. [↩]
- Voir par exemple l’article paru dans Le Figaro du 20 janvier 2009 : « Frêche réclame la statue de César retrouvée dans le Rhône » http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/01/19/01016-20090119ARTFIG00340-freche-reclame-la-statue-de-cesar-retrouvee-dans-le-rhone-.php. [↩]
- Pour un écho de cette crainte, voir par exemple l’article du journal Le Monde du 16 juin 2008 : « Arles entend bien garder ses trésors pêchés dans le Rhône » http://www.lemonde.fr/culture/article/2008/06/16/arles-entend-bien-garder-ses-tresors-peches-dans-le-rhone_1058767_3246.html. [↩]
- L’auteure écrit François Rebatu, sans la particule que nous trouvons pourtant sur les ouvrages dudit écuyer. [↩]
- Louvois est représentatif de son époque quand il écrit au directeur de l’Académie de France : « J’aime mieux une belle copie, d’un marbre bien poly, qu’une antique qui ayt le nez ou le bras cassé » : Lettre au directeur de l’Académie de France, 1682. [↩]
- Chantal Grell, « Le prince et l’antique », dans : Alexandre Maral et Nicolas Milovanovic, Versailles et l’Antique, Paris, 2012, p. 15. [↩]
- Jean-Luc Martinez (dir), Les antiques du Louvre : une histoire du goût d’Henri IV à Napoléon Ier, Paris, 2004, p. 101. [↩]
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « Vénus et César, ou l’arlésienne des noms », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 28 mars 2014. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2014/03/28/venus-cesar-arles/>. Consulté le 21 November 2024.
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