Publication d’un inventaire illustré des lieux du savoir.
Les éditions Le Passage viennent de publier : Les lieux du savoir. Le patrimoine universitaire de la métropole lilloise. Cet élégant ouvrage se veut une invitation à (re)découvrir la diversité et la richesse du patrimoine de l’enseignement supérieur dans la métropole lilloise, de 1850 à nos jours.
Une histoire et un patrimoine universitaires récents
Le passé universitaire de Lille est récent. Ce n’est en effet qu’au milieu du XIXe siècle, grâce à la prise de conscience des élites républicaines1, qu’y sont fondées la faculté des sciences, l’École préparatoire de médecine et de pharmacie et l’École des arts industriels et des mines. Il faut attendre le décret du 22 octobre 1887 pour que les facultés douaisiennes de lettres et de droit rejoignent Lille, qui peut alors revendiquer de posséder une université publique complète. Pour les Républicains du Nord, il était temps : depuis la bulle pontificale du 15 janvier 1877, l’Institut catholique de Lille avait en effet été créé, comprenant quatre facultés (droit, lettres, sciences et médecine).
Cette double histoire de l’enseignement supérieur à Lille − public, privé − se retrouve dans la maillage urbain. Les bâtiments prennent place dans deux nouveaux quartiers créés par le dégagement du versant sud des fortifications de la ville : l’université publique s’implante dans le quartier Saint-Michel, l’institution catholique dans le quartier Vauban. À ces deux ensembles, il faut ajouter, très tôt, la création de « grandes écoles » nées du souhait d’une industrie en plein essor qui requiert recherche scientifique et personnel de haut niveau. C’est ainsi qu’à Lille, mais encore à Roubaix, puis à Tourcoing, se construisent quantité de bâtiments d’enseignement supérieur en lien direct ou non avec l’essor des facultés2.
Jusqu’aux années 1960, les architectures de l’enseignement supérieur se trouvent essentiellement − sinon exclusivement − dans la ville de Lille. Face à la démocratisation de l’enseignement supérieur et l’accroissement du nombre d’étudiants, les bâtiments du XIXe siècle se montrent souvent inadaptés. La période de 1965 à 1985 est celle des campus qui s’étendent à l’est de la ville, à Annappes pour la cité scientifique (Lille 1) et Flers pour les facultés de droit et de lettres (Lille 2 et Lille 3), dans ce qui deviendra la ville nouvelle de Villeneuve d’Ascq. « Un tournant apparaît dans les années 1990 quant à la localisation des lieux d’enseignement et de recherche dans la mouvance du concept de ville renouvelée ». L’enseignement supérieur réintègre la ville de Lille (dans des quartiers aussi divers que Moulins, le Vieux Lille ou EuraLille) et s’insère dans les villes postindustrielles de Tourcoing et surtout Roubaix, qui escompte 14000 étudiants en 2020. Des pôles d’excellence et d’innovation s’ouvrent dans le quartier de la Haute Borne à Villeneuve d’Ascq, Zone de l’Union, Eurasanté et Euratechnologies créant une multiplication des lieux et des formes abritant l’enseignement supérieur.
Un patrimoine riche et diversifié sur le territoire de la métropole
L’un des intérêts du livre est de présenter une palette très diversifiée de bâtiments, révélatrice de la diversité des structures.
Si les universités et les Écoles forment l’essentiel de l’ouvrage, si on y retrouve des architectures emblématiques de ville de Lille, comme la masse géante du CHRU, les auteurs ont pris soin de présenter des lieux qu’on aurait sans doute tendance à oublier ou négliger dans un tel contexte : le conservatoire (1808 et 1897), le grand séminaire (1930-1931), l’Observatoire (1929-1934), le stade universitaire (1952-1970), les résidences et restaurants universitaires, l’École des beaux-arts de Lille (1959-1964) et celle de Tourcoing (1904),…
Un autre intérêt de ce guide est d’ouvrir les portes de bâtiments rarement accessibles à d’autres visiteurs que leurs seuls usagers, et à faire découvrir des détails architecturaux de lieux qui peuvent pourtant sembler familiers.
Au long des presque 200 pages qui le constituent, le livre rend compte de cette très grande diversité des architectures, représentatives des diverses écoles architecturales. Celles-ci reflètent parfois, dans la pierre, la brique et le béton, l’opposition entre enseignement public et privé. C’est ainsi qu’au XIXe siècle, les bâtiments de l’enseignement public font référence à l’Antiquité, avec des symboles païens, tandis que La Catho privilégie le style néogothique.
Les bâtiments créés pour l’enseignement supérieur de la métropole lilloise sont monumentaux ou discrets, bâtis dans le style Empire, néoclassique, néogothique, subissent de influences byzantines, de la Renaissance italienne ou de l’architecture industrielle, se montrent éclectiques, régionalistes, résolument rationalistes, modernes.
Destins divers des bâtiments
On peut distinguer les architectures en deux catégories principales : les bâtiments créés pour l’enseignement supérieur et ceux créés à l’origine pour un autre usage mais utilisés aujourd’hui pour l’enseignement supérieur. Dans cette seconde catégorie, on trouve d’anciennes usines reconverties, à Lille (faculté de droit) et en particulier à Roubaix et Tourcoing pour les LEA et Infocom de Lille 3, par exemple3. À Lille, l’hospice général, architecture du XVIIIe siècle classée aux monuments historiques, abrite aujourd’hui le campus de l’Institut d’administration des entreprises de Lille, citons encore une ancienne caserne des XVII et XVIIIe siècles accueillant la Meshs. À Lille et Roubaix, des maisons bourgeoises sont occupées par des Écoles.
Parmi les architectures créées pour l’enseignement supérieur, certains bâtiments continuent d’être utilisés à cette fin, même s’ils ont parfois changé de propriétaire. L’ancienne faculté des lettres de Lille, par exemple, retrouvera une affectation pour l’enseignement supérieur en accueillant prochainement l’Institut d’études politiques de Lille. De nombreuses architectures ont en revanche changé d’affectation. On ne citera que quelques exemples : l’Institut National de la Propriété Industrielle occupe l’ancienne École des beaux-arts de Lille ; un lycée a pris place dans l’École des beaux-arts de Tourcoing. Certains bâtiments ont été transformés en logements, comme l’ancienne faculté de médecine et pharmacie, dont la première pierre fut posée par Jules Ferry en 1880, dont il ne subsiste aujourd’hui que la façade majestueuse, qui allie pierres et briques polychromes. D’autres bâtiments cherchent preneurs, comme l’ancienne faculté de pharmacie de Lille qui est à vendre4.
Parmi les bâtiments qui sont restés dévolus à un usage universitaire, nombre d’entre eux n’apparaissent plus dans leur état initial. Les auteurs relèvent − souvent pour le regretter − les nombreuses transformations réalisées au fil du temps, dont sont principalement responsables l’augmentation du nombre d’étudiants, les normes de sécurité et les préoccupations énergétiques, mais encore les changements ou le manque de goût. Les architectures du XIXe siècle ont perdu de leur splendeur intérieure, à la suite de « petits arrangements progressifs », celles du XXe siècle n’ont pas toujours été comprises : les plans des campus de Lille 1 et Lille 3 sont chahutés par des constructions nouvelles ne respectant pas les plans et les principes initiaux.
Une seconde édition du livre sera sans doute rapidement à prévoir, tant les projets architecturaux abondent : nouvelles résidences universitaires en construction, village étudiant à la Cité scientifique, Learning centers, comme celui déjà en chantier à Lille 1, en projet à Lille 3, agrandissement de la faculté de médecine, bâtiment associant l’Institut du marketing et du management de la distribution (Lille 2) et LEA (Lille 3) sur le campus de l’îlot gare à Roubaix,… Dans le contexte de « troisième révolution industrielle », d’interventions massives sur le patrimoine, les auteurs de cet ouvrage nous rappellent l’importance, la valeur et la qualité d’un patrimoine souvent méconnu, donc fragile.
Un guide abondamment illustré
l’ouvrage est découpé en cinq chapitres, suivant un ordre chronologique, introduits par des présentations situant les bâtiments dans leur contexte. Chaque période est illustrée de nombreux exemples. À défaut d’exhaustivité, les architectures présentées sont représentatives de la période considérée, ou exemplaires.
On apprend beaucoup de choses avec ce guide. La plupart des bâtiments sont traités sur une double page, comprenant textes et illustrations, à l’exception de certains ensembles plus importants. Le campus du Pont-de-Bois de Lille 3, « d’une plastique spectaculaire », a ainsi droit a plusieurs pages, bien illustrées, les divers types de bâtiments conçus par Pierre Vago étant photographiés (la façade extérieure de la Bibliothèque des sciences de l’Antiquité est d’ailleurs représentée). Une notice est consacrée à la Bibliothèque universitaire de Lille 3, qui est le seul bâtiment de cette université dont on voit l’intérieur.
Les textes sont brefs et c’est une gageure de pouvoir traiter de l’essentiel de chacune de ces architectures en moins de 1000 caractères. Le souci de la concision laisse peu de place pour évoquer certains détails ou pour être plus précis. Par exemple, il n’aurait pas été inutile de souligner que le fronton de la Faculté des lettres et de droit, qui fait écho à la Grèce antique, ne date pas de la construction de la façade du bâtiment inauguré en 1895 mais n’a été réalisé qu’en 1946 par le sculpteur Robert Coin. On corrigera également une erreur d’appréciation concernant la Bibliothèque universitaire Georges Lyon, inaugurée en 1907. L’auteur de la notice écrit à propos de ce bâtiment : « Traité comme un temple de la connaissance à l’effigie du dieu Hermès, il est typique du style académique antiquisant ». Ce n’est pas le dieu Hermès qui figure au-dessus de la porte monumentale de la bibliothèque, mais Athéna, bien à sa place comme déesse de la sagesse, aisément identifiable à son gorgonéion.
Le livre est illustré par plus de 300 images, présentées sur une pleine page ou, le plus souvent, par des vignettes. Le photographe Max Lerouge donne à voir une très grande variété d’éléments des bâtiments, en un bel hommage, photographiant les extérieurs sous un ciel obstinément bleu, nous faisant découvrir de nombreux intérieurs (halls, escaliers, amphithéâtres,…). Curieusement, les bâtiments sont presque exclusivement montrés sans leurs occupants habituels, ce qui pourrait laisser au lecteur une impression de vacuité − au sens propre comme au sens figuré − à ce patrimoine universitaire. À découvrir ces architectures désertées, on peine en effet à réaliser que la métropole lilloise représente une ruche d’environ 100.000 étudiants, et on pense à la formule de Walter Benjamin à propos des prises de vues de Paris par Atget : « La ville, sur ces images, est inhabitée, comme un appartement qui n’aurait pas encore trouvé de nouveau locataire »5.
Toujours à propos de ces photographies, on regrettera peut être le choix qui a été fait de ne pas légender les illustrations, certes très nombreuses. Les auteurs ont en revanche eu la bonne idée d’ajouter des cartes pour situer les bâtiments, les différenciant par périodes, de proposer un glossaire pour aider le lecteur à appréhender les sigles si fréquents dans l’enseignement supérieur, ainsi que de courtes biographies de quelques uns des architectes ayant participé à la construction de ces lieux du savoir. Détail important : la taille du livre permet de le transporter commodément pour visiter la métropole lilloise avec un nouveau regard.
Références du livre
Les lieux du savoir : le patrimoine universitaire de la métropole lilloise
Le Passage, 2014, 191 p., ISBN 978-2-84742-252-8
- Voir sur le site de l’éditeur : www.lepassage-editions.fr
- Voir dans une bibliothèque : Notice bibliographique
Crédits photographiques et remerciements
Nous remercions les éditions Le Passage de nous avoir aimablement autorisé à reproduire les photographies de Max Lerouge issues de l’ouvrage Les lieux du savoir.
- En particulier le Sénateur-maire Guy Legrand [↩]
- Les arts et métiers (1881), l’Institut catholique des arts et métiers (1895), l’École supérieure de commerce (1892), l’École des hautes études commerciales du Nord (1905), l’Institut de chimie (1894), l’Institut Pasteur (1899), Hautes études industrielles (1885), l’École nationale supérieure des arts et industries textiles (1889). [↩]
- Les éditions Le Passage ont publié un livre consacré à ces métamorphoses. [↩]
- Article de La Voix du Nord du 28 janvier 2015 :http://www.lavoixdunord.fr/region/la-mairie-de-lille-pour-soigner-ses-finances-vend-ia19b0n2629172 [↩]
- « Petite Histoire de la photographie », Œuvres, II, p. 312. [↩]
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « À propos du patrimoine universitaire de la métropole lilloise », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 9 mars 2015. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2015/03/09/a-propos-du-patrimoine-universitaire-de-la-metropole-lilloise/>. Consulté le 21 November 2024.
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