Compte rendu du Mémoire d’étude d’Adèle Martin, enssib, décembre 2014.
À l’heure où la dématérialisation des contenus et l’accès à distance des ressources documentaires éloignent une partie des publics des bibliothèques, rendant moins lisible le rôle des bibliothécaires, le mémoire d’Adèle Martin est bienvenu pour rappeler le rôle que l’action culturelle peut apporter aux bibliothèques universitaires. Mais, pour être comprise et efficace, cette affirmation de la bibliothèque universitaire comme lieu culturel doit se construire au diapason de l’université dont elle dépend.
Sommaire
- Le contexte de la culture à l’université
- L’implication tardive des bibliothèques universitaires
- Un lieu, un personnel, des moyens
- La typologie des actions culturelles en BU
- Bibliothécaires, enseignants-chercheurs, étudiants, grand public
- Le(s) territoire(s) de l’action culturelle en BU
- En conclusion
- Apostille : trois exemples d’actions culturelles à la BU de Lille 3
Le contexte de la culture à l’université
C’est l’un des grands intérêts du mémoire d’Adèle Martin d’avoir envisagé la question de l’action culturelle des bibliothèques universitaires en relation avec la politique culturelle globale des universités et de rappeler les lois, rapports, directives qui y ont affirmé et renforcé l’action culturelle, depuis la loi Faure de novembre 19681, la loi Savary de 19842, le protocole d’accord sur les arts et la culture dans l’enseignement supérieur passé entre le ministère de la Culture et de la Communication et le ministère de l’Éducation nationale en 20023. Les lois et textes de la dernière décennie n’ont fait que renforcer l’action culturelle dans l’université4, laquelle doit permettre d’accompagner la démocratisation de l’enseignement supérieur, tout en souhaitant que l’université se tourne davantage vers la cité.
Alors qu’en 1984 le « rapport Domenach » fait part d’un véritable « désert culturel » à l’université5, aujourd’hui la très grande majorité des universités dispose de services prenant en charge l’animation culturelle, même s’il faut toutefois souligner leur grande hétérogénéité6. Pour prendre l’exemple de Lille 3, l’université s’est dotée dès 1986 d’une véritable politique culturelle, qui s’est manifestée par la création en 1990 d’un service dédié − « Action Culture » − ainsi que d’un certain nombre d’outils de production et de diffusion. Pour superviser ces services, des Vice-Présidences « Culture » sont créées, concrétisant la forte légitimité de l’action culturelle en université7.
C’est dans ce contexte que les bibliothèques universitaires cherchent une légitimité et des territoires à une action culturelle.
L’implication tardive des bibliothèques universitaires
Si le bien-fondé de l’action culturelle dans les bibliothèques de lecture publique est reconnu depuis longtemps, cette activité cherche parfois encore sa légitimité dans les bibliothèques universitaires. Ces dernières sont en effet d’abord considérées comme des lieux d’étude et de recherche. De fait, les actions culturelles en bibliothèque universitaire sont souvent récentes, ayant commencé bien après celles initiées par les universités elles-mêmes.
Dès 1984, le « Rapport Demenach » souligne pourtant le rôle majeur que peuvent jouer les bibliothèques des universités dans le développement culturel, évoquant la possibilité pour les bibliothèques d’accueillir des manifestations telles que des expositions8. Adèle Martin constate : « il faudra cependant encore du temps pour que cette bonne volonté affichée prenne corps et se traduise par des actions concrètes »9.
Pour Adèle Martin, le retard des bibliothèques universitaires semble avoir une double origine : d’une part, une intégration insuffisante de la bibliothèque au sein de l’université et une coopération insuffisante entre les acteurs qui pourraient travailler ensemble ; d’autre part, le manque de légitimité de l’activité culturelle au sein des bibliothèques universitaires.
Le cadre législatif donne cependant peu à peu une légitimité aux bibliothèques universitaires en matière d’action culturelle. Ainsi, l’article 2 du décret n°2011-996 du 23 août 2011 relatif aux bibliothèques et autres structures de documentation des établissements d’enseignement supérieur stipule que celles-ci participent « aux activités d’animation culturelle, scientifique et technique de l’université ». La convention cadre « Université, lieu de culture » de 2013, évoquée plus haut, affirme quant à elle la volonté d’intégrer les bibliothèques parmi les acteurs susceptibles de contribuer à l’essor de la culture à l’université :
« les bibliothèques universitaires contribuent fortement à l’animation culturelle et artistique locale (conférences d’artistes, performances, concerts, expositions…) au sein de l’université en partenariat avec des centres de recherche ou des unités de formation et de recherche et, plus largement, au niveau d’une agglomération en partenariat avec les structures culturelles des collectivités territoriales (en particulier les bibliothèques municipales) et en lien avec les DRAC »
Pour étudier l’action culturelle en BU, Adèle Martin a interrogé les bibliothèques universitaires, les services culturels et des enseignants-chercheurs par l’envoi d’un questionnaire. Sur les 47 bibliothèques universitaires qui ont répondu à son enquête, 46 déclarent avoir une action culturelle. On peut évidemment regretter avec l’auteure du mémoire que toutes n’ont pas pu ou souhaité répondre au questionnaire, ce qui nécessite de pondérer les résultats de l’enquête en avançant que les établissements les plus enclins à répondre à son questionnaire sont sans doute ceux qui ont une activité d’action culturelle.
Une offre culturelle récente
Le premier enseignement donné par les répondants est que l’offre des bibliothèques universitaires en matière d’action culturelle est souvent récente (moins de cinq ans). Seule une partie des établissements répondant à l’enquête présente un projet culturel construit, une véritable politique, tandis que les autres avouent ne pas avoir encore défini de projet précis, l’action culturelle se créant au fil de l’eau.
Un lieu, un personnel, des moyens
Un lieu pluridisciplinaire, ouvert
Les avis sont unanimes : la BU est « un lieu bien connu et fréquenté de l’établissement », « un lieu où la plupart des gens passent ». Dans l’université, la bibliothèque est d’abord un lieu consensuel et pluridisciplinaire, un lieu de passage ouvert à tous, avec des horaires souvent étendus, ce qui fait un ensemble d’atouts pour y mener des actions culturelles et se proposer comme un espace de rencontre et de débat. La majorité des bibliothèques universitaires ayant répondu à l’enquête dispose de lieux pour y mener de l’action culturelle (un espace d’exposition, qui peut être un couloir aménagé, plus rarement des salles de conférence, des auditoriums, des amphithéâtres…). Parfois, la bibliothèque universitaire est le seul lieu du campus disposant d’un espace dédié (ou aménagé) aux expositions et à l’action culturelle. « Le fait de disposer d’un espace semble en soi un argument suffisant pour affirmer sa vocation à prendre part aux activités culturelles de l’université », écrit Adèle Martin.
Ce lieu peut servir à des actions culturelles menées par la bibliothèque, mais également accueillir des actions conçues par d’autres services ou par des chercheurs, ou pour présenter des initiatives étudiantes.
Un personnel dédié (en partie)
Il est révélateur que la BU soit généralement désignée en tant que lieu, et qu’il soit plus rarement fait référence aux personnels qui y travaillent : cela montre, écrit Adèle Martin, « qu’elle n’est pas perçue comme un acteur culturel mais comme un facilitateur, un outil logistique ». Il est vrai que les moyens humains consacrés à l’action culturelle y sont insuffisants. Rares sont en effet les établissements disposant de personnels affectés à plein temps à cette mission. En revanche, la quasi totalité des établissements ayant répondu à l’enquête a souligné l’existence d’au moins un agent y consacrant au moins une partie de son temps de travail. Généralement, l’action culturelle fait rarement l’objet d’un poste à part entière mais est souvent cumulée avec d’autres fonctions.
Dans les réponses fournies à l’enquête d’Adèle Martin, les personnels des bibliothèques ont souligné l’importance de construire la politique d’action culturelle de la bibliothèque en tenant compte des compétences des personnels. De fait, l’auteure souligne qu’il s’agit là d’activités auxquelles participent tous les corps de la filière des bibliothèques : conservateurs, bibliothécaires, bibliothécaires adjoints spécialisés, assistants des bibliothèques, magasiniers.
Un budget étriqué
La grande majorité des établissements ayant répondu à l’enquête d’Adèle Martin déclare mener sa politique d’action culturelle avec un budget inférieur à 2000 euros, voire sans budget. Cette somme est souvent prise sur le budget de fonctionnement global de l’établissement documentaire. Il est vrai qu’en période de restrictions budgétaires, l’université peut estimer (à bon droit ?) que la bibliothèque universitaire doit prioritairement acquérir de la documentation et remplacer son mobilier ou ses ordinateurs usagés, plutôt que de financer une exposition ou une œuvre d’art, surtout s’il existe déjà un service et un budget dédiés à l’action culturelle dans l’université.
On peut évidemment faire de l’action culturelle à peu de frais, au risque toutefois de ne pouvoir mener des actions d’envergure. Parfois, certaines dépenses peuvent être prises en charge par d’autres services de l’université (service communication, service culturel…), ce qui nécessite un partenariat. Nous y reviendrons. En fonction du budget et des forces humaines dont la bibliothèque dispose, Adèle Martin juge préférable de programmer peu d’événements mais d’en soigner la qualité des contenus.
La typologie des actions culturelles en BU
La valorisation des collections est un axe essentiel de l’action culturelle en bibliothèque universitaire. C’est l’action pour laquelle la bibliothèque a le plus de légitimité aux yeux de la communauté universitaire. La bibliothèque universitaire se montre également un allié particulièrement utile quand il s’agit de proposer des manifestations relevant de la vulgarisation scientifique.
Expositions
Les expositions sont les événements qui ont le plus de visibilité, d’une part parce qu’elles se trouvent souvent dans des lieux de passage, d’autre part parce qu’elles peuvent rester en place longtemps. En 1998, Benoît Lecoq avait montré que l’exposition est l’action la plus répandue en bibliothèque universitaire10. Adèle Martin relève que, pour certains professionnels, le fait de disposer de fonds patrimoniaux contribue à asseoir la légitimité de la politique d’action culturelle de la bibliothèque. C’est au moins « un catalyseur puissant ». De fait, les présentations de documents ou d’objets, sont une tradition ancrée des établissements qui disposent de fonds patrimoniaux, pour qui les expositions constituent l’occasion de montrer leurs « trésors ».
Manifestations orales et autres manifestations
Les conférences, débats, lectures, rencontres, « cafés littéraires »… forment l’autre forme très prisée des bibliothèques universitaires. Ces manifestations orales peuvent s’adresser aux usagers habituels de la bibliothèque mais certaines sont clairement proposées en direction de publics différents des publics universitaires traditionnels.
Rappelons que les BU ont ceci de particulier d’être des institutions où se trouvent des auteurs : les enseignants-chercheurs et les chercheurs. Sans pour autant transformer les bibliothèques en instrument de promotion au service de ces derniers, elles peuvent les associer pour des conférences autour de leurs livres ou sujets de recherche.
Adèle Martin relève d’autres formes d’actions culturelles proposées par les bibliothèques universitaires (projections de films, concerts, spectacles vivants,…), plusieurs établissements déclarant avoir créé des manifestations littéraires (prix littéraires, festivals…). Par ailleurs, les établissements participent massivement aux événements nationaux, en particulier la Fête de la science, le Printemps des poètes, les Journées du patrimoine, le Mois du film documentaire.
Bibliothécaires, enseignants-chercheurs, étudiants, grand public
Personnel des bibliothèques
Bien que la médiation soit au cœur des métiers des professionnels des bibliothèques, ces derniers ne sont pas des spécialistes de l’animation culturelle telle que la pratiquent les services d’action culturelle. Mais, par leurs compétences logistiques, les personnels de la bibliothèque universitaire peuvent faciliter le montage des événements en prenant en charge les questions techniques et administratives. Les personnels des bibliothèques ont rarement une formation initiale liée à la conception d’actions culturelles et se forment souvent sur le tas, en créant ces actions, ou en se formant dans le cadre de la formation continue (lors de stages proposés par l’enssib ou MédiaLille, par exemple).
Adèle Martin rappelle que les professionnels des bibliothèques ont des compétences spécifiques qui fondent leur légitimité, soulevant qu’une diversification irraisonnée de leurs compétences « ne peut que conduire à un effet de dilution ». Il n’est donc pas forcément souhaitable qu’ils apprennent à tout faire mais, plutôt, de s’appuyer sur des compétences abritées par l’université. « Il faut avant tout que ces différents personnels et services travaillent ensemble » insiste l’auteure.
Les enseignants-chercheurs
La collaboration des enseignants est primordiale pour la réussite des actions culturelles, surtout si celles-ci servent à valoriser des travaux de recherche. S’appuyer sur un noyau d’enseignants-chercheurs motivés apporte une plus-value incontestable à l’action de la bibliothèque universitaire, ceux-ci fournissant en effet l’essentiel du contenu scientifique des événements11.
Si, en impliquant des enseignants, la bibliothèque acquiert de la légitimité sur le sujet traité par l’action culturelle, elle peut espérer attirer les étudiants. Certes, la BU ne doit pas être cantonnée à l’offre d’un soutien logistique aux enseignants-chercheurs. Il demeure qu’« il faut que la stratégie de la bibliothèque en matière culturelle soit explicite et diffusée » pour que les enseignants aient envie de s’y impliquer. La bibliothèque universitaire doit être « force de proposition », est-il souligné mais, pour l’être, il est primordial que la bibliothèque universitaire connaisse les sujets traités par l’université et les spécialistes des divers domaines, aller à leur rencontre. Nous avons déjà affirmé ce point en rendant compte récemment du mémoire de Cécile Arènes12.
Les étudiants
Les étudiants sont souvent le cœur de cible des actions culturelles, mais force est de constater que ceux-ci sont d’abord opportunistes. Il faut en effet souvent que la manifestation fasse directement écho à un enseignement donné pour que ceux-ci y participent. En revanche, les projets impliquant les étudiants dans leur conception même, en valorisant des travaux pédagogiques réalisés avec des étudiants, semblent rencontrer un certain succès. Il n’est toutefois pas toujours facile de les mobiliser pour les associer en amont à la construction du projet culturel de la bibliothèque.
Le grand public
« les actions culturelles donnent lieu à information vers l’extérieur, à médiatisation », écrit Claude Poissenot13. Les actions culturelles doivent être pensées comme des moyens de dialoguer avec la société et peuvent dès lors attirer des publics extérieurs aux seuls usagers habituels de la bibliothèque universitaire. Ces actions culturelles sont également un très bon moyen d’attirer des partenaires de l’université, ou de futurs partenaires, les édiles locaux, les médias, en particulier lors des vernissages.
Le(s) territoire(s) de l’action culturelle en BU
La bibliothèque universitaire peut être considérée comme un simple lieu d’accueil d’actions culturelles réalisées par d’autres ; elle peut être sollicitée pour assurer le complément documentaire d’une manifestation (présenter les livres d’un auteur invité, créer des bibliographies sur le sujet d’une exposition, exposer le fonds patrimonial, etc). Pour Adèle Martin, il semble que la bibliothèque universitaire soit rarement considérée comme susceptible de porter ses propres initiatives.
Ainsi, certains enseignants ayant répondu à l’enquête d’Adèle Martin jugent préférable que la bibliothèque universitaire « se concentre sur ses missions premières », c’est-à-dire d’être pourvoyeuse de documentation, de gérer les ressources. Cet avis semble partagé par les tutelles (ministère, CPU), pour qui les seuls interlocuteurs pour l’action culturelle sont les services culturels de l’université, qui ont pour mission de coordonner les initiatives des différents acteurs.
Si la participation de la bibliothèque universitaire à la diffusion de la culture scientifique et technique est incontestée, celle-ci semble perçue comme une entité susceptible d’accueillir des manifestations plutôt que de les concevoir, dès lors qu’on quitte strictement le cadre documentaire.
Territoires naturels
« L’action de la BU gagne à être articulée avec les fonds qu’elle conserve, sans quoi elle se mue en galerie d’expo, ce qui n’a guère de sens » (un enseignant)
Les actions culturelles qui valorisent le fonds documentaire ou donnent le goût de la lecture aux étudiants s’accordent avec les missions premières de la bibliothèque. Ce sont également celles que la bibliothèque peut mener de son propre chef avec une forte légitimité pour la communauté universitaire et les tutelles. La bibliothèque peut également jouer un rôle important dans la valorisation de la recherche et de l’enseignement.
Rôle d’incubateur
La bibliothèque universitaire dépasse le cadre du département pédagogique ou du Centre de recherche. Si elle peut servir de vitrine à une discipline présentée dans un lieu fréquenté par toute la communauté, la bibliothèque universitaire peut plus encore servir de lieu de rencontre en permettant des actions communes d’acteurs de divers disciplines, voire « des coopérations inédites entre personnels de la bibliothèque et enseignants-chercheurs ».
Il semble que la bibliothèque universitaire doive naturellement (et sans doute prioritairement) s’impliquer dans la valorisation de la recherche et des formations de l’université dont elle constitue une vitrine. Si la bibliothèque universitaire doit rester sur le terrain de ses spécificités, elle doit participer à la valorisation de ce qui se fait à l’université. « Pour les enseignants comme pour les bibliothécaires, la bibliothèque universitaire est dans son rôle lorsqu’elle monte des projets qui sont « en lien avec la recherche et les enseignements menés à l’université », en particulier lorsqu’ils sont co-construits avec les étudiants et enseignants » écrit Adèle Martin. Les bibliothécaires s’accordent sur ce point avec les enseignants et rappellent que « la diffusion de la culture scientifique et technique est une mission des SCD ».
Un territoire à construire
La bibliothèque universitaire doit se positionner en tant qu’acteur culturel et, pour cela, doit impérativement définir son identité. Il semble toutefois dans son intérêt de rester sur le territoire qui lui revient « en évitant d’intervenir dans des domaines où elle risquerait de se trouver en concurrence avec d’éventuels partenaires ». Sinon, « quand il y a des redondances, cela peut soulever des interrogations de la part de la présidence ».
Pour être crédible, l’action culturelle en bibliothèque universitaire doit être de qualité. Dans un souci de lisibilité, il semble pertinent que la bibliothèque distingue dans sa programmation et ses bilans les manifestations qu’elle a elle-même conçues de celles, conçues par d’autres, qu’elle se contente d’accueillir, ou pour lesquelles elle a eu un rôle de partenaire.
Pour mener à bien les actions culturelles, il semble souhaitable, autant que possible, d’« inscrire dans les missions de certains agents la participation aux manifestations culturelles, afin que les projets puissent être réfléchis et suivis à plusieurs ».
Une politique de traces
Il est également fondamental, rappelle Adèle Martin, d’adopter une politique de traces. Les établissements ayant répondu à l’enquête s’efforcent, pour une grande majorité d’entre eux, de garder la mémoire des manifestations culturelles passées (livrets bibliographiques, catalogues d’exposition, enregistrements sonores ou vidéo), allant parfois jusqu’à faire une véritable éditorialisation des événements, par exemple via un blog, comme « Le Carreau de la BULAC », offrant un prolongement aux manifestations organisées dans le cadre de l’action culturelle.
L’évaluation
« L’évaluation des politiques d’action culturelle en est encore à ses balbutiements », écrit Adèle Martin. Le succès d’une manifestation est difficile à quantifier. S’il est relativement aisé de compter les personnes venues assister à une conférence, par exemple, comptabiliser les personnes venues voir une exposition gratuite, libre d’accès, a fortiori installée dans un lieu de passage, s’avère plus délicat. Un article paru dans Educpros à propos de la « Galerie 5 », lieu dédié à l’art contemporain qui dessert les espaces d’étude de la bibliothèque universitaire du campus de Belle-Beille à Angers, estime à un million le nombre de passages par an devant les œuvres d’art exposées14. En revanche, le même article précise que les étudiants font peu de retours sur les expositions qui y sont proposées.
Notons avec Adèle Martin que le succès d’une manifestation varie beaucoup selon la qualité des intervenants, si l’action s’inscrit dans un programme de formation et se trouve prescrite par un enseignant, mais également en fonction du moment choisi pour la réaliser, dans un calendrier universitaire contraint.
En conclusion
Ce mémoire est bienvenu pour rappeler le rôle que l’action culturelle peut apporter aux bibliothèques universitaires à l’heure où la dématérialisation des contenus et la généralisation de l’accès à distance aux ressources documentaires éloignent une partie des publics potentiels, rendant moins lisible le rôle des bibliothécaires. La bibliothèque universitaire peut, de cette façon, réaffirmer son existence comme lieu de vie culturelle, et inciter ainsi un plus grand nombre d’usagers à la fréquentation physique de ses locaux. Il s’agit également d’une opportunité pour renouveler l’image de la bibliothèque, lui donner une image plus dynamique, et permettre une approche différente de ses missions. Ce faisant, rappelle Adèle Martin, « la BU ne fait que renforcer son rôle traditionnel de médiateur puisqu’il s’agit au bout du compte de favoriser la rencontre entre des flux de contenus (quels que soient leurs supports) et des flux d’usagers ».
Notons cependant que les bibliothèques universitaires ne sont pas « hors sol » et ne doivent pas penser leur politique culturelle indépendamment de celle de l’établissement, dès lors qu’elles ne se cantonnent pas à la valorisation et la médiation de leurs collections. Adèle Martin remarque qu’une majorité d’établissements documentaires semble collaborer avec les services culturels de l’université. Néanmoins, dans certaines universités, bibliothèques universitaires et services culturels travaillent chacun de leur côté, ce qui peut engendrer une répartition des rôles peu claire pour les publics et pour les tutelles.
Or, souligne Adèle Martin, les bibliothèques universitaires et les services culturels sont complémentaires. Ils n’ont ni les mêmes savoir-faire, ni les mêmes moyens, ni les mêmes objectifs, même s’ils doivent être articulés au sein d’une politique culturelle commune décidée au niveau de l’université de tutelle. Bibliothèques universitaires et services culturels « ont tout intérêt à développer des pratiques de coopération, d’une part parce que cela ne peut que renforcer l’efficacité de leur action, d’autre part parce que le projet culturel global dans lequel ils s’inscrivent n’en sera que plus lisible. » Cette complémentarité est d’autant plus nécessaire que les moyens des universités sont aujourd’hui comptés.
Rappelons un fait à ce propos, sans doute suffisamment évident pour qu’il ne soit pas évoqué dans le mémoire d’Adèle Martin. Jusqu’à la Loi LRU de 2007, l’État finançait directement les deux tiers du budget des SCD et les universités s’en tenaient bien souvent à reverser les droits de bibliothèques. La suppression des dotations fléchées aux bibliothèques universitaires a fait que celles-ci sont devenues moins autonomes dans l’usage de leur budget et, à l’inverse, a donné à l’université un pouvoir d’arbitrage plus étendu, ce qui était clairement le vœu de la CPU. En clair, et pour rester dans l’action culturelle, c’est celui qui paie les musiciens qui doit choisir la musique. La bibliothèque universitaire ne peut donc créer son exposition en catimini de l’université avec de l’argent qu’elle a reçu de cette université, au risque de créer de l’incompréhension, voire un profond mécontentement. Pour filer la métaphore, la bibliothèque universitaire a tout intérêt d’accorder ses violons avec l’action culturelle de l’université dont elle dépend. Rappelons enfin que c’est à cette fin que les universités ont créé des vice-présidences « culture », pour que l’orchestre puisse jouer sans fausse note, au diapason.
Apostille : trois exemples d’actions culturelles à la BU de Lille 3
Si Adèle Martin présente des actions culturelles réalisées par divers établissements, en particulier par la BULAC, nous voudrions apporter un complément à ce compte rendu en l’illustrant de trois exemples d’actions culturelles réalisées au sein de la bibliothèque universitaire de Lille 3.
Exposition « 13 livres, 26 regards et plus encore … »
Comme le souligne Adèle Martin, il est assez traditionnel que le bibliothèque universitaire présente son fonds patrimonial. La bibliothèque universitaire de Lille 3 accueillant une réserve patrimoniale riche de 13000 titres, les ouvrages précieux y sont régulièrement présentés en complément d’expositions ou pour eux-mêmes. En 2013, la BU a ainsi organisé l’exposition « 13 livres, 26 regards et plus encore … ».
L’originalité de cette action culturelle tient dans son principe : dix-neuf enseignants-chercheurs de l’université ont sélectionné un ouvrage dans la collection patrimoniale de la bibliothèque universitaire et ont ensuite rédigé un texte libre sur « leur » ouvrage en rédigeant un texte scientifique (ou plus personnel, parfois). Des bibliothécaires ont ensuite rédigé leurs notices en regard de celles des enseignants-chercheurs, replaçant les volumes dans l’histoire du fonds, dans celle de l’édition ou pour en faire une description purement matérielle. Parce que ce n’était pas le choix de spécialistes de la documentation, l’exposition était surprenante et montrait la diversité et la richesse des disciplines enseignées à Lille 3.
Exposition « Michel Foucault auteur, lecteur, archiviste »
Le deuxième exemple est l’exposition-dossier consacrée à « Michel Foucault auteur, lecteur, archiviste » présentée en 2014 dans le hall de la bibliothèque universitaire de Lille 3. Cette exposition, qui a mis en synergie de nombreux services de l’université, est née de l’initiative de deux bibliothèques associées du SCD (Bibliothèque de philosophie et Bibliothèque des sciences de l’Antiquité). Le sujet s’est appuyé sur divers éléments : il s’agissait de commémorer le soixantième anniversaire du passage de Michel Foucault comme enseignant à l’université de Lille (1954) et le trentième anniversaire de la mort du philosophe (1984). L’exposition a surtout pu s’appuyer sur les recherches et l’enseignement d’un enseignant-chercheur de Lille 3, spécialiste de Michel Foucault. L’exposition a ainsi bénéficié d’une légitimité par l’expertise de son commissaire scientifique, par son investissement et son carnet d’adresse (pour obtenir des compléments documentaires à l’exposition et des intervenants pour les conférences). La bibliothèque universitaire a, quant à elle, mis ses locaux à la disposition de l’événement, a accordé son soutien logistique, a participé au financement et a aidé à la dimension documentaire du projet (établissement de bibliographies, création de tables thématiques etc).
L’exposition étant organisée dans une bibliothèque, par des bibliothèques, le thème choisi était pleinement en accord avec le lieu « bibliothèque », la dimension privilégiée étant Foucault comme auteur, lecteur, archiviste. Les fonds de nombreuses bibliothèques de Lille 3 furent sollicités ainsi que les archives de l’université. Par ailleurs, l’exposition a reçu l’aide financière et logistique de la mission scientifique du Learning Center, de l’UFR « Humanités » ainsi que de l’université, dans le cadre d’un appel à projets lié au quarantième anniversaire de l’établissement de son campus à Villeneuve d’Ascq. Enfin, le laboratoire de recherches STL a permis d’entourer l’exposition d’une « quinzaine Foucault », en particulier en favorisant le tenue de conférences avec des foucaldiens prestigieux.
Il s’agit d’une situation sans doute idéale, celle de pouvoir exposer un sujet à la fois médiatique et intéressant de nombreux domaines étudiés à l’université (philosophie, psychologie, histoire…), pouvant attirer la communauté universitaire et, bien au-delà, un grand public curieux15. La présence d’un enseignant-chercheur spécialiste fut déterminante et a assuré la pertinence et la légitimité du contenu. L’université a pu ainsi, à la bibliothèque universitaire, faire de la médiation autour de l’un de ses sujets de recherche et d’étude et a pu valoriser les fonds des bibliothèques. Connue de tous, présente dans l’agenda des manifestations de l’université bien en amont de sa réalisation, l’exposition a sans doute acquis une part de son succès d’avoir été pleinement partagée. Elle a ainsi pu bénéficier des services de l’université, via le service communication, le service imprimerie, le service maintenance et logistique, le service audiovisuel et « Action Culture », le service culturel de l’université. Soulignons, s’il en était besoin, que ces services doivent être traités en partenaires, non en prestataires de service. Ayant leur propre activité, il est important de les associer le plus en amont possible des projets et de tenir compte de leurs propres contraintes pour que l’action culturelle devienne l’affaire de tous et une réussite commune.
« Cafés » et rencontres littéraires
Plus brièvement, le troisième exemple parmi les actions culturelles concerne les « Cafés littéraires » que la bibliothèque universitaire organise régulièrement dans ses locaux et qui sont, pour certains, le fruit d’un partenariat avec la Villa départementale Marguerite Yourcenar et le service « Action Culture » de Lille 3. Lors de ces rencontres, les écrivains invités échangent le plus souvent avec des enseignants-chercheurs, voire des étudiants, comme ce fut le cas pour celle qui a réuni Didier Daeninckx, Jean Rouaud et Gilles Heuré sur le thème « Écrire la guerre ».
Ces événements attirent souvent au-delà du public de la communauté universitaire. « Écrire la guerre » a ainsi accueilli 120 personnes. La réussite de ces rencontres tient dans l’organisation efficace réalisée par la bibliothèque universitaire, dans l’implication de la communauté universitaire et des services de l’université cités précédemment (communication, imprimerie, audiovisuel…).
Soulignons pour terminer que ces différentes actions culturelles génèrent quelques traces. Des livrets sont produits à l’occasion des expositions, ainsi que des bibliographies. Les conférences sont captées et les vidéos disponibles. L’exposition et la « quinzaine Foucault » étaient présentées sur un site internet dédié, toujours visible.
À propos de ce mémoire
Adèle Martin, Action culturelle à l’université : quel(s) territoire(s) pour la bibliothèque universitaire ?, mémoire DCB, enssib 2014. http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/65113-… (pdf) [Consulté le 1er avril 2015]
- Il est dit dans cette loi que les universités les universités « doivent s’attacher à porter au plus haut niveau et au meilleur rythme de progrès les formes supérieures de la culture et de la recherche et à en procurer l’accès à tous ceux qui en ont la vocation et la capacité ». [↩]
- C’est avec cette loi qu’apparait explicitement « la diffusion de la culture et [de] l’information scientifique et technique » parmi les missions de l’université française. [↩]
- Celui-ci prévoit « le renforcement des compétences et des moyens, pour [les] services culturels déjà existants », « la création de services culturels dans tous les établissements universitaires qui en sont […] dépourvus », et « la généralisation des conventions entre les DRAC et les universités ». [↩]
- La LRU en 2007 − qui réaffirme que la diffusion de la culture et de l’information scientifique et technique fait partie des missions du service public de l’enseignement supérieur ; le Rapport Ethis en 2010 − ensemble de 128 propositions pour la construction des politiques culturelles des établissements ; Loi Fiorasso en 2013 ; convention cadre « Université, lieu de culture » entre le Ministère de la Culture et de la Communication et le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en juillet 2013 ; enfin, à l’automne 2014, une enquête intitulée « Actions culturelles et artistiques » adressée aux directeurs des services culturels par le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. [↩]
- En mai 1990, les militants de l’action culturelle universitaire rédigent le « Manifeste de Villeneuve d’Ascq » demandant au Ministre de l’Éducation nationale de prendre des dispositions pour que les établissements d’enseignement supérieur soient en mesure d’accomplir de manière systématique leur mission de « diffusion de la culture et de l’information scientifique et technique » énoncée par la loi du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur. Ils créent l’association Art + Université + Culture (A+U+C) qui fédère les services culturels universitaires en un réseau toujours actif aujourd’hui. Ce réseau est même devenu l’interlocuteur privilégié du MESR et de la CPU pour ce qui concerne les questions culturelles. [↩]
- Adèle Martin relève que si « la création des SUAPS (Services universitaires des activités physiques, sportives et de plein air) a été imposée par décret, aucun texte n’oblige les universités à se doter de services en charge de la culture. » [↩]
- Notons également qu’en 2012 cinq fiches-emplois correspondant aux métiers de la culture au sein des établissements d’enseignement supérieur ont été ajoutées à la BAP F, désormais intitulée : « Information : documentation, culture, communication, édition, technologies de l’information et de la communication pour l’éducation (TICE) », reconnaissant ainsi de véritables compétences métier aux personnels. [↩]
- Le rapport rappelle que les bibliothèques universitaires sont à même d’offrir « une confrontation artistique très riche, mais aussi un dialogue avec la réalité sociale, économique et politique ». [↩]
- En 1989, le « Rapport Miquel » souligne le rôle culturel que devraient jouer les bibliothèques, en particulier par des expositions, manifestations autour du livre et de la lecture, nouvelles technologies de l’information sont autant d’actions culturelles qui font partie intégrante de la mission des bibliothèques universitaires. En 1991, les conclusions de la mission « Lecture étudiante » inspirent quelques initiatives en bibliothèques universitaires, en particulier les « Rencontres autour du livre pour « restaurer le goût de la lecture ». Ces premières manifestations sont suffisamment rares pour qu’on puisse parler d’« inactions culturelles » des bibliothèques universitaires ((L’expression est de Benoît Lecoq qui déplore que l’action culturelle soit « [au] mieux considérée comme un accessoire décoratif, un fleuron purement ornemental, au pire comme la “danseuse” de quelque conservateur en mal d’occupations ». [↩]
- Benoît Lecoq, « Les bibliothèques universitaires », dans Viviane Cabannes, Martine Poulain (dir.), L’action culturelle en bibliothèque, Éd. du Cercle de la librairie, 1998. [↩]
- Les enseignants sont en en revanche assez peu disponibles pour des actions qui ne seraient pas en rapport avec leur enseignement ou leur domaine de recherche. [↩]
- Christophe Hugot, « Les modes de communication de la recherche aujourd’hui : quel rôle pour les bibliothécaires ? », Insula [En ligne], mis en ligne le 18 février 2015. URL : <https://insula.univ-lille3.fr/2015/02/les-modes-de-communication-de-la-recherche-aujourdhui-quel-role-pour-les-bibliothecaires/>. Consulté le 1er avril 2015. [↩]
- Claude Poinssenot, « Publics des animations et images des bibliothèques », dans Bulletin des bibliothèques de France. Septembre 2011, 5. [↩]
- http://www.letudiant.fr/educpros/actualite/tresors-caches-des-universites-angers-et-ses-galeries-d-art.html [↩]
- Soulignons qu’il existe une importante communauté autour de la philosophie à Lille, qui se concrétise chaque année par le succès de Cité-Philo. [↩]
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « Action culturelle : quel(s) territoire(s) pour la bibliothèque universitaire ? », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 1 avril 2015. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2015/04/01/action-culturelle-quels-territoires-pour-la-bibliotheque-universitaire/>. Consulté le 21 November 2024.
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