Postcolonial Amazons : Female Masculinity and Courage in Ancient Greek and Sanskrit Literature.
Dans un article paru sur le Blog d’Oxford university press en juillet 2017, Walter Duvall Penrose Jr. analyse le film Wonder Woman en comparant les Amazones de l’Antiquité et celles du 21e siècle. La traduction française inédite est réalisée pour Insula par les étudiants du Master en « Traduction spécialisée multilingue » (TSM) de l’Université de Lille.
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L’incontournable blockbuster de cet été [2017], Wonder Woman, est un délice composé d’effets visuels, de batailles épiques et d’Amazones. Nous apprenons assez vite que la jeune Diana, « Wonder Woman », n’est pas une Amazone comme les autres. En réalité, bien qu’elle ait été élevée par la reine des Amazones, Hippolyte, et entraînée pour devenir une redoutable guerrière par sa tante Antiope, toutes deux régulièrement représentées comme des Amazones dans la mythologie grecque, Diana n’est définitivement pas une Amazone, mais un dieu dont Zeus leur a confié la garde. (Dans le contexte féministe du XXIe siècle, elle est appelée « dieu » et non « déesse ».) Étant donné que Diana est un dieu, ses prouesses de super-héros n’ont rien d’étonnant, mais même les simples Amazones de Themyscira sont à la hauteur de leur réputation légendaire qui stipule qu’elles sont « plus rapides, plus intelligentes et meilleures que les hommes ». Dans la scène la plus évocatrice de la légende grecque, l’amazonomachie, en d’autres termes un combat entre les Amazones et les hommes, les super-guerrières s’élancent des falaises de leur île pour vaincre leurs ennemis. L’alliance de lances, d’épées, d’arcs, de flèches et de lassos magiques leur permet de venir à bout des Allemands dont les techniques de la Première Guerre mondiale ne sont pas à la hauteur de l’arsenal amazonien. Cependant, le frisson de la victoire est de courte durée car Antiope, la plus grande guerrière des Amazones, tombe au combat après avoir reçu une balle allemande dans la dernière scène de l’amazonomachie.
Contrairement à Diana, les Amazones sont des êtres mortels, comme l’illustre la douloureuse mort d’Antiope. Dans la tradition de la Grèce antique, ces guerrières se battaient comme quelconque mortel même si elles étaient appelées « filles d’Arès », le dieu de la Guerre. Le caractère belliqueux de ces êtres est dépeint par cette épithète probablement métaphorique. Les Amazones de la Grèce antique ont a priori existé pour faire la guerre, alors que leurs homologues dans Wonder Woman, bien qu’elles s’entraînent à cet art au quotidien, ont été placées sur terre par Zeus pour un tout autre destin : apporter la paix en défendant tout ce qui est bon dans le monde. En réalité, bien plus que les « filles d’Arès », elles sont ses pires ennemies. Ce revirement ne devrait pas être une surprise : pour les Grecs de l’Antiquité, la guerre était un mode de vie. Cependant, avec l’arrivée des vingtième et vingt-et-unième siècles, le potentiel de destruction massive devrait faire de nous tous des pacifistes.
Compte tenu de la mission de sa tribu d’Amazones, il n’est pas étonnant que lorsque Diana quitte son île natale pour rejoindre le monde des hommes, sa faction multiculturelle et elle-même veuillent réaliser un projet postmoderne. Celui-ci vise à mettre un terme à la guerre et à réprimer l’oppression, même si notre héroïne et ses nouveaux camarades masculins ont des idées qui divergent concernant la réalisation de telles tâches. Le postmodernisme devient rapidement postcolonialisme lorsque nous rencontrons un des nouveaux frères d’armes de Diana. Nous sommes face à un Amérindien surnommé « Chef » qui lui raconte les malheurs de son peuple, causés par les Européens. La guerrière est touchée par son histoire qui relate le départ de son pays natal, et l’épopée prend alors des proportions mondiales.
En effet, le film fait rapidement la transition entre la focalisation locale et celle mondiale : de Themyscira, paradis de toutes les femmes, aux champs de bataille oppressants dominés par les hommes de la Première Guerre mondiale. Mais le meilleur n’est pas gardé pour la fin. Dès les premières scènes du film, le spectateur ne peut que s’émerveiller de la beauté époustouflante de Themyscira, la ville légendaire des Amazones. Ce lieu est dépeint comme la principale colonie de « l’île du Paradis », rempli de paysages luxuriants, de chutes d’eau et de champs de bataille réservés aux femmes. Une telle île amazonienne a été mentionnée dans les Argonautiques d’Apollonios de Rhodes, comme un lieu perdu au milieu de la mer Noire. Les Amazones y avaient voué un culte à nul autre que le dieu Arès, par l’intermédiaire d’un rocher noir et sacré (bien qu’il ne se soit jamais agi du site de Themyscira, qui se trouve au cœur du pays amazonien sur le fleuve Thermodon de la Turquie actuelle).
Bien que le film commence clairement dans un environnement « queer », celui des femmes amazones qui fuient les hommes, il dérive rapidement vers l’hétéronormativité puisque Diana tombe amoureuse de Steve Trevor. En ce sens, il s’agit d’une version moderne du conte d’Antiope, l’ancienne Amazone qui tomba amoureuse d’un séduisant citoyen grec, Thésée, mais avec une fin très différente. Tandis qu’Antiope épouse Thésée et porte son enfant, Diana reste finalement seule pour lutter au nom de la justice. Si le patriarcat régnait dans la mythologie grecque, dans Wonder Woman, il est violemment mis à mal. Par exemple, Diana confie à Steve qu’elle a lu les douze volumes du traité de Clio sur l’érotisme qui expliquent que, dans la pure tradition amazone, les hommes sont vitaux pour la reproduction, mais inutiles pour les plaisirs charnels. Bien sûr, les idées exprimées dans ces prétendus tomes rappellent les légendes des Amazones qui, dans la tradition grecque, n’utilisaient les hommes qu’une fois par an pour procréer ou, si elles les trouvaient un peu plus nécessaires au quotidien, elles les conservaient comme esclaves domestiques. Tandis que Clio, et non Éros, était la muse de l’Histoire, les manuels de pratique sexuelle de la Grèce antique existaient bel et bien à cette époque. Un manuel, attribué à une auteure du nom de Philénis, pourrait avoir abordé le sujet des femmes appréciant la compagnie d’autres femmes, comme il est certainement le cas dans d’autres volumes. À présent, l’intégralité de ces écrits a disparu. Quoi qu’il en soit, ces informations n’empêchent pas Diana de tomber amoureuse de Steve Trevor, même si les circonstances finissent par les séparer.
Wonder Woman prend une tournure féministe à chaque fois que l’opportunité se présente, en revisitant les rôles stéréotypés des hommes et des femmes. Bien que Diana ne devienne pas tout à fait le leader de facto du cadre masculin auquel elle se joint pour combattre les Allemands, elle est acceptée avec ses propres conditions comme une guerrière. Ayant quitté l’île du Paradis avec naïveté dans l’espoir de ne pas se contenter de combattre le mal, mais d’y mettre fin, Diana apprend trop brusquement que le but de ses Amazones, celui d’apporter la paix sur Terre, est futile. Bien que ses nouveaux amis masculins et elle-même parviennent à mettre fin à la Première Guerre mondiale, il lui est finalement clair que le libre arbitre règne en maître. Néanmoins, l’affirmation de la jeune Diana selon laquelle seul l’amour peut sauver le monde lui permet de poursuivre la lutte pour la justice. Ce film, un préquel de la série télévisée autrefois populaire, ne manque pas de générosité lorsqu’il s’agit de femmes en action, et, même si la fin n’est pas aussi édifiante que l’on pourrait l’espérer, voir ces guerrières en plein combat ou dans les airs est très divertissant. À l’image des Amazones de la tradition grecque, celles de Diana démontrent que les femmes peuvent être de redoutables adversaires. Alors que Wonder Woman peut être fantaisiste dans ses représentations des Amazones, les questions que le film soulève sont réelles, à l’instar de celles posées par les auteurs d’autrefois. Les femmes peuvent-elles et doivent-elles être entraînées au combat ? L’auteur antique romain Musonius affirmait, il y a longtemps, que les Amazones étaient la preuve que les femmes pouvaient être préparées à la guerre et, probablement le plus important, à se défendre. Bien que Diana ne soit pas une Amazone ordinaire, elle en est une dans son cœur, et le message qu’elle livre est puissant : les femmes peuvent se défendre.
Walter Duvall Penrose, Jr. est un professeur agrégé d’histoire à l’université d’État de San Diego. Il est l’auteur de Postcolonial Amazons: Female Masculinity and Courage in Ancient Greek and Sanskrit Literature
Traduction réalisée par les étudiants du Master en « Traduction spécialisée multilingue » (TSM) de l’Université de Lille au cours d’un Skills Lab.
Un Skills Lab est une agence virtuelle de traduction, qui permet aux étudiants de gérer des projets de traduction en totale autonomie. L’objectif est de recréer les conditions de travail d’une agence de traduction au sein même de l’université et d’évaluer les compétences des étudiants pour les différentes étapes de la gestion d’un projet : préparation des fichiers et des ressources, traduction, révision, livraison, relation client. Un descriptif du Skills Lab mis en place au sein de la formation « Traduction Spécialisée Multilingue » est disponible ici :
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Lire aussi sur Insula :
Walter Duvall Penrose Jr., « Plus qu’une simple Amazone : Wonder Woman », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 28 mai 2018. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2018/05/28/plus-quune-simple-amazone-wonder-woman/>. Consulté le 21 November 2024.