de la difficulté d’acquérir un livre sur les portraits des Tétrarques
La damnatio memoriae est un terme employé par les modernes pour définir l’effacement de la mémoire qui, à Rome, frappait les individus déchus : les portraits sculptés de ces personnes devenues infamantes pouvaient être renversés, martelés. Parmi ceux qui subirent la damnatio memoriae figure Maximien Hercule, l’un des Tétrarques : Constantin décida en effet de détruire les inscriptions faisant mention de son nom et fit supprimer toute œuvre publique représentant son image.
Aujourd’hui, c’est une autre damnatio memoriae qui frappe Maximien et l’ensemble des Tétrarques, celle de ne pas pouvoir joindre leurs portraits à ceux des Julio-Claudiens dans les rayonnages des bibliothèques publiques. Explication.
Le (très beau) Musée Saint-Raymond de Toulouse possède une importante collection de bustes d’empereurs romains et de membres de la famille impériale provenant des fouilles d’une riche villa qui s’élevait au lieu-dit « Chiragan » à Martres-Tolosane (Haute-Garonne).
Il a été entrepris l’heureuse initiative de réaliser le catalogue raisonné de ces portraits, lequel sera réparti par ordre chronologique en six volumes :
1. Époque julio-claudienne ; 2. Siècle des Antonins ; 3. Époque des Sévères ; 4. Des Sévères à la Tétrarchie ; 5. Tétrarchie ; 6. Époque théodosienne.
Deux volumes sont déjà parus : l’époque julio-claudienne en 2005 et la Tétrarchie en 2008. Les deux ouvrages ont pour auteurs Jean-Charles Balty et Daniel Cazes. Ce n’est pas l’objet de ce billet de juger la qualité – réelle – de ces deux ouvrages mais de poser cette question :
Si on considère le catalogue du Sudoc, on s’aperçoit en effet que le volume sur les portraits des Tétrarques ne se trouve qu’à Toulouse (évidemment), Lille et deux bibliothèques parisiennes, alors que le volume sur les julio-claudiens se trouve également à Bordeaux, Nantes, Tours et dans quatre bibliothèques parisiennes. Une seule bibliothèque possède cet ouvrage dans le catalogue Frantiq, qui est une coopérative de centres de recherches du CNRS, des Universités et du Ministère de la culture, mettant en commun des bases de données sur les sciences de l’Antiquité. Le constat est identique en interrogeant de multiples catalogues de bibliothèques étrangères : si le volume paru en 2005 est bien représenté, celui paru en 2008 n’apparait pas, ou peu, y compris dans les plus importantes bibliothèques.
Rien ne distingue pourtant le volume de 2005 de celui de 2008, à une exception près (si on ne tient pas compte du nouveau préfacier, en raison du changement de majorité municipale et donc de maire entre les deux volumes) : le volume 1 mentionne une co-dédition (Musée Saint-Raymond ET Editions Odyssée) tandis que le volume 2 ne mentionne que le Musée Saint-Raymond comme éditeur. C’est sans doute là où le bât blesse. En ne prenant pas d’éditeur (et/ou de diffuseur), lequel est censé faire un minimum de publicité et rendre plus accessible le livre aux libraires, le Musée rend extrêmement difficile la diffusion de son ouvrage aux bibliothèques. En effet, ces dernières doivent parfois obligatoirement passer par un libraire patenté pour acquérir les livres, libraire qui a été choisi après la procédure du marché public, et ne peuvent acheter « en direct » aux éditeurs. C’est notre cas. Les bibliothèques ont en effet parfois des difficultés à faire admettre à leur administration que 2% de leur budget peuvent être dépensés hors marché (comme nous l’avons rappelé dans un précédent billet).
Si l’ouvrage est à Lille 3, à la Bibliothèque des sciences de l’Antiquité, c’est au prix de mois de correspondance avec notre libraire, d’insistance et de patience pour enfin l’obtenir. Heureusement, le personnel du Musée a été très coopératif et a donné tous les renseignements utiles pour que le libraire, muni des précieuses informations (y compris le montant de la remise accordée au librairie, pour rétribuer le travail qu’il était censé faire et que nous avons réalisé à sa place), puisse enfin commander l’ouvrage à notre intention, que le chèque parvienne dans les caisses du Trésor Public et le livre dans nos rayons.
Le constat ne vaut évidemment pas que pour le Musée Saint-Raymond de Toulouse. Trop souvent, les musées, les associations, les collectivités territoriales, les universités et les laboratoires de recherche font le (mauvais ?) calcul de se passer des frais d’un intermédiaire – éditeur et/ou diffuseur – pour vendre leurs livres. De fait, ils se privent des acquéreurs institutionnels. Le prix du livre du Musée Saint-Raymond de Toulouse, très modique pour un ouvrage de cette qualité (117 figures en noir et en couleur imprimées sur du beau papier pour 21 euros prix public), aura décuplé si on y ajoute le temps de travail pour l’obtenir. Le livre eut été moins fondamental, y aurait-on consacré autant de temps ?
Pour obtenir le volume 5 de la série des Portraits romains de Chiragan : voir les publications du Musée sur son site internet.
Nous essayerons d’acheter le catalogue de la prochaine exposition temporaire « Ex-pots cassés » du Musée Saint-Raymond qui, à partir du 18 décembre, sera consacrée au travail de restauration et aux restaurateurs des vases grecs et italiotes …
Jean-Charles Balty et Daniel Cazes, Les portraits romains. 1, Époque Julio-Claudienne, (Sculptures antiques de Chiragan, Martres-Tolosane ; 1) Musée Saint-Raymond, musée des Antiques de Toulouse-Odyssée, 2005. [Localiser l’ouvrage] ; Jean-Charles Balty, Les portraits romains. 5, La Tétrarchie, introduction de Daniel Cazes, (Sculptures antiques de Chiragan, Martres-Tolosane ; 1) Musée Saint-Raymond, musée des Antiques de Toulouse, 2008. [Localiser l’ouvrage].
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « Une nouvelle “damnatio memoriae” ? », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 2 décembre 2010. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2010/12/02/damnatio-memoriae/>. Consulté le 21 November 2024.
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