« À l’ombre bleue du figuier »

Notre fameux calendrier révolutionnaire nous offre une fois de plus l’occasion de taquiner nos papilles et notre curiosité avec le jour de la figue, célébré le 28 octobre. Si ce fruit fait nos délices, nature ou sublimée par nos plus grands chefs, ce plaisir n’est pas nouveau… Retournons quelques instants « à l’ombre bleue du figuier » chantée par Jean Ferrat pour nous remémorer quelques étapes de cette histoire.

La figue chez les Grecs

Photo : M-A Colbeaux

La figue, largement utilisée dans la cuisine grecque, se dit σῦκον, sukon. Dès la période archaïque, Homère décrit l’abondance que connaissent les Phéaciens, chant 7, vers 121, de l’Odyssée, et prétend que les figuiers produisent, chez ce peuple merveilleux, leurs fruits toute l’année. Hérodote, quant à lui, dans ses Enquêtes, 2, 40, raconte comment les Égyptiens farcissent leur bœuf sacrifié à Isis de figues.

Mais la figue sert aussi à nourrir le bétail, et en particulier, engraisser les porcs, dont le foie est alors apprécié, tel le foie gras de canard, que l’on cuisine aujourd’hui, si bien que le nom de ce mets ἦπαρ συκωτόν, hêpar sukôton, foie engraissé aux figues, est devenu ficatum en latin, où iecur, le foie, était sous-entendu, puis oublié. C’est ce ficatum qui est, après de nombreuses évolutions, à l’origine du mot qui désigne le foie, en français.

Le grec a néanmoins laissé des traces plus évidentes dans notre langue, à travers deux mots, le sycomore et les sycophantes. Le premier désigne un figuier, puis l’érable. Le terme de sycophante a fait coulé bien plus d’encre, car son sens est obscur et la question se pose depuis l’Antiquité, comme en témoigne Plutarque, dans la Vie de Solon, 24, qui reconstruit l’étymologie du mot. Solon aurait interdit l’exportation de figues et les délateurs étaient appelés « sycophantes » parce qu’ils faisaient apparaître, φαίνειν, phainein, ceux qui faisaient contrebande de figues, σῦκα. Mais avant ces considérations étymologiques, être sycophante à Athènes, c’est s’enrichir grâce à la délation, comme le dénonce avec véhémence Démosthène dans le discours Contre Aristogiton, 40.

La figue chez les Romains

Les Romains sont tout autant friands de la figue. Ils l’appellent ficus : bien qu’il soit difficile de dire que le terme latin vienne du grec, la proximité laisse à penser que les deux langues ont emprunté la même racine à un même groupe de langue.

De nombreuses anecdotes, où la figue joue un rôle non négligeable, sont rapportées par les historiens. Citons pour exemple Plutarque, dans la Vie de Caton l’Ancien, 27. En effet, pour montrer la proximité du danger que représentait Carthage, Caton l’Ancien montra au Sénat une figue qui venait d’y être cueillie, trois jours plus tôt.

Ficus microcarpa
Ficus microcarpa (photo : M-A Colbeaux)

Aujourd’hui

Le terme latin est passé dans la langue française pour désigner des plantes qui occupent nos intérieurs. Alors qu’elles pourraient être toutes appelées figuiers, c’est sous leur nom scientifique qu’on les connaît, ce qui n’est pas tout à fait commun, quand il est question de botanique. C’est ainsi que nous fréquentons de nombreux ficus, dont l’épithète nous donne la particularité, depuis le ficus elastica, appelé aussi caoutchouc, au microcarpa, dont les feuilles sont petites.

La figue chez les étoilés

L’occasion est belle d’adresser un clin d’oeil à deux belles institutions vichyssoises, à savoir la Maison Jouannet, boulangerie réputée, qui a eu l’obligeance de nous offrir cette photographie et  qui s’est associée au magicien qu’est le chef étoilé Jacques Decoret, pour créer ce dessert, « tube de sucre et mousse légère au pain brûlé, pâte de figues noires de Solliès, glace au lait concentré ».

Pour en savoir plus

Voir les dictionnaires étymologiques :

P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, 1977 [localiser l’ouvrage], et en particulier, l’article consacré à σῦκον, où Pierre Chantraine donne les principaux éléments de la discussion sur l’origine de « sycophante », dont nous n’avons rapporté ici que la proposition ancienne.

A. Ernout-A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, 1932.

Références d’auteurs anciens :

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Marie-Andrée Colbeaux, « « À l’ombre bleue du figuier » », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 28 octobre 2010. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2010/10/28/etymologie-figue/>. Consulté le 21 November 2024.