Alors que l’université de Pau organise du 23 au 26 novembre 2011 le Premier colloque international sur « La bande dessinée historique », avec l’Antiquité en vedette, les amateurs de bandes dessinées qui s’intéressent aussi à l’Antiquité n’ont pas manqué la sortie, fin 2010, de la seconde partie du volume 3 du cycle épique reconstitué par Eric Shanower, L’Age de Bronze, chez Akileos.
Le projet
Le scénariste et dessinateur a relevé le défi de présenter la Guerre de Troie, tâche ambitieuse aux nombreux écueils : comment ne pas se perdre dans les méandres des récits mythologiques ? Comment en restituer la complexité ? Comment rendre compte d’une époque dont les seuls témoignages reposent dans la poésie homérique ? Eric Shanower, comme le montre le volume hors-série sur les coulisses de l’œuvre, s’est documenté, s’est inspiré des découvertes archéologiques (cf. par exemple la petite idole que vénère Hélène, dans le volume 1). Tous les éléments mythiques utiles à la compréhension sont fournis, par des retours en arrière, mais aussi par des planches qui condensent les maux de plusieurs générations, ce qui permet de recréer un récit dont les Anciens nous ont transmis des épisodes, de manière éparse et pas toujours cohérente -preuve de la vivacité de cette tradition-. La contre-partie de ce travail est que le lecteur aimerait, souvent, disposer des sources qui n’apparaissent pas ici. Néanmoins, par la seule ligne, par son dessin des corps et le travail des expressions, cet artiste américain donne chair, sans tabou, au « monde d’Ulysse ».
Un millier de navires
Le premier volume de cette série qui devrait en compter sept -Shanower pense achever ce projet en 2020- est consacré aux origines de la Guerre de Troie. Si le personnage d’Hélène hante le propos, c’est avant tout Pâris qui est omniprésent : sa vie chez le berger Agélaos, ses amours avec Oenone, son retour à Troie, la reconnaissance par Priam et Hécube de ce fils abandonné à la naissance, tout comme son arrogance, occupent toute une première partie de l’œuvre, alors que la suite narre le rapt d’Hélène. La dernière partie de ce premier volume juxtapose alors les récits relatifs aux nombreux rois ou guerriers (l’histoire d’Achille, par exemple, que sa mère Thétis aurait voulu protéger) qui accompagneront les Atrides sur la plaine de Troie et qui se réunissent à la dernière planche.
Sacrifice
Nous connaissons bien l’épisode du sacrifice d’Iphigénie à Aulis, réclamé par les dieux pour laisser partir la flotte contre Troie, grâce à Euripide, puis Racine. Eric Shanower, après avoir remis en contexte la situation, rend compte de ce moment décisif pour l’armée mais surtout pour Agamemnon, en travaillant notamment la dimension tragique et le déchirement d’un père et d’un chef. Iphigénie apparaît là encore dans sa noblesse, et Clytemnestre dans sa douleur. Mais l’auteur ne se contente pas de restituer les personnages les plus connus de ces mythes : toute son attention est portée sur tous ceux qui peuplent ce monde imaginaire. A ce titre, le personnage de Télèphe, auquel Euripide consacra une tragédie et dont une parodie apparaît dans deux pièces d’Aristophane, Les Acharniens et Les Thesmophories, prend véritablement vie, Shanower parvenant à nous faire partager le dégoût qu’inspire le personnage à cause de sa blessure pestilentielle.
Trahison
Le troisième volume a été publié en deux temps : la première partie alterne les points de vue, tantôt au sein de l’armée achéenne, tantôt à Troie. Du côté grec, c’est l’histoire de Philoctète qui est dessinée : Shanower montre comment Ulysse et les siens abandonnèrent et trahirent le héros, auquel Sophocle consacra une tragédie évoquant le retour d’Ulysse sur cette île. Du côté troyen, tous les descendants de Priam n’ont pas un nom, mais le dessinateur s’attache à donner une épaisseur à nombre d’entre eux, qui sortent ainsi du néant de l’oubli, ce qui constitue certainement la vertu majeure de cette bande dessinée. La seconde partie du volume se trouve pour ainsi dire sur tous les fronts : les premiers combats ont lieu, entrecoupés de scènes tantôt au palais troyen, avec surtout le personnage de Cressida, le fille de Calchas, tantôt dans le camp des Achéens, où la priorité devient vite celle du ventre : faute de nourriture, les guerriers ne pourront plus combattre et Thersite, sans doute aussi laid que la tradition le rapporte, attise leur haine contre les chefs. L’entremêlement des épisodes, avec des vignettes qui se suivent sans lien autre que la simultanéité, perturbe sans doute le lecteur, mais ajoute aussi à la violence des combats, par contraste avec les autres récits où les enjeux sont tout autre, entre désirs amoureux et faim.
Histoire(s) à suivre…
En savoir plus
Les quatre premiers volumes parus, édités par Akiléos, sont consultables à la Bibliothèque centrale de l’université Lille 3 : Un millier de navires (2004) [localiser l’ouvrage] ; Sacrifice (2005) [Localiser l’ouvrage] ; Trahison 1ère partie (2007) [Localiser l’ouvrage] ; Trahison 2ème partie (2010) [Localiser l’ouvrage].
Eric shanower a un site personnel. Voir également le site internet (en anglais) consacré à la série Âge de Bronze qui donne la possibilité de lire des pages au format pdf, des entretiens (y compris en français), et avoir la connaissance de l’actualité concernant cette série. Vous pouvez avoir Achille comme « ami » : Âge de Bronze a un compte Facebook.
Lire aussi sur Insula :
Marie-Andrée Colbeaux, « L’âge de bronze », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 24 novembre 2011. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2011/11/24/l-age-de-bronze/>. Consulté le 6 October 2024.