Compte rendu du Mémoire d’étude de Cécile Arènes, enssib, janvier 2015.
Le site de l’enssib met en ligne les mémoires de fin d’étude du diplôme de conservateur des bibliothèques. Celui de Cécile Arènes, mis en ligne en janvier 2015, est consacré au dialogue que les bibliothécaires pourraient entretenir avec les chercheurs via les réseaux sociaux, ainsi que sur le rôle qu’ils pourraient jouer dans la diffusion et l’archivage pérenne des nouvelles formes de production de la recherche. Nous n’évoquerons ici que quelques points d’un mémoire très riche en informations.
On fête cette année les 350 ans de la création du Journal des sçavans créé pour « faire savoir ce qui se passe de nouveau dans la république des lettres »1. Il s’agissait alors de mettre en relation les savants de toute l’Europe, en leur offrant une communication bien plus large que les échanges épistolaires. Depuis 1665, la revue est restée le vecteur central de la communication scientifique, la publication d’articles demeurant parfois l’unique moyen pour les chercheurs d’être évalués par leurs pairs. Pourtant, depuis quelques années, les traditionnelles publications scientifiques ne sont plus qu’un des moyens pour le chercheur d’être visible et pour rendre publics les résultats de la recherche, celles-ci étant concurrencées par les réseaux sociaux : « billets de blogs, tweets, statuts Facebook, pour ne citer qu’eux, sont aujourd’hui des vecteurs d’échange des chercheurs qui prennent une place grandissante » note Cécile Arènes.
Chercheurs et réseaux sociaux
La proportion de chercheurs inscrits sur les réseaux sociaux ne cesse de croître, et leur usage fait désormais partie intégrante de l’activité professionnelle. Une enquête du CNRS réalisée en 2013 montre ainsi que 80% des chercheurs en SHS sont abonnés à des réseaux sociaux généralistes, Facebook et Twitter arrivant largement en tête. Cette présence est d’ailleurs revendiquée par les chercheurs, constate Cécile Arènes : « la consultation du CV du chercheur, en ligne sur Academia.edu, montre une utilisation assumée des réseaux sociaux : les comptes Twitter, Facebook, Skype et Academia figurent à la suite de son email, dans l’en-tête ». Le chercheur utilise généralement divers canaux sur la Toile : réseaux généralistes, académiques, blogs et microblogs, outils de gestion de références bibliographiques sont les exemples les plus représentatifs de la panoplie du scientifique sur le web. Nous en citerons ici quelques uns.
Les blogs
Les blogs − ou carnets de recherche − sont largement utilisés par les chercheurs car ils permettent d’exposer rapidement une recherche en cours et de susciter remarques et discussions, rendant possible le travail collaboratif ou une interaction par les commentaires, et d’élargir leur audience auprès du grand public par une « vulgarisation » du travail de recherche. Les « Carnets de recherches » d’Hypothèses.org, par exemple, ont apporté une réponse pertinente à de nombreux chercheurs en SHS qui cherchaient une solution d’écriture intermédiaire entre les publications scientifiques et l’écrit de vulgarisation. Cette plateforme compte aujourd’hui environ mille « Carnets de recherche ».
Twitter est un réseau singulier, que l’auteure compare à une radio ou à une chaîne télévisée d’informations en continu. Cécile Arènes souligne que l’utilisation de Twitter par les chercheurs contribue à la veille scientifique et leur ouvre de nouvelles possibilités pour diffuser l’information scientifique d’une manière rapide (signalement d’articles, ou de billets de blogs commentant les publications, …). Twitter permet également aux chercheurs de dialoguer avec leurs pairs, de créer un live-tweet de conférences, etc.
Les chercheurs utilisent également LinkedIn, viadeo, Google plus et SeenThis, que Cécile Arènes présente plus brièvement pour s’attarder avec raison sur les réseaux sociaux académiques, comme Academia.edu et ResearchGate.
Academia.edu et ResearchGate
Academia.edu est assurément le réseau social académique dont les chercheurs en sciences humaines et sociales sont le plus friands, tandis que les chercheurs en sciences dures se tourneront davantage vers ResearchGate. Les chercheurs déposent leurs travaux sur ces outils parce qu’ils sont simples d’utilisation, leur permettant de mettre en valeur leur CV et leurs publications. Dans les deux cas, les chercheurs soulignent la dimension internationale comme un trait essentiel de leur attrait pour ceux-ci. Cependant, ils ignorent souvent les clauses de ces sites quand ils y déposent leurs textes. « Les publications déposées sur les réseaux sociaux académiques qui sont des firmes privées, même si le « .edu » de Academia.edu induit beaucoup en erreur, ne sont pas archivées de façon pérenne et rien ne garantit qu’elles ne seront pas réutilisées sans que leurs auteurs puissent s’y opposer ».
Une nouvelle visibilité des chercheurs et de la recherche : altmetrics
Désormais, c’est le modèle de la conversation et du temps réel qui prend le pas sur la forme de l’article. Si la citation et l’évaluation par les pairs restent au centre des pratiques d’évaluation, elles sont englobées dans un espace de communication plus vaste, incluant les réseaux sociaux. Dans ce contexte, de nouveaux modèles émergent, comme celui d’altmetrics (mesures d’impact alternatives). « Se posant comme une alternative à l’évaluation par le facteur d’impact, les altmetrics prennent en compte les mentions des résultats de la recherche sur les réseaux sociaux, que les chercheurs utilisent de plus en plus massivement ». Certes, l’un des défauts souvent pointé est de considérer les altmetrics comme une mesure davantage basée sur le « buzz », ce qui peut générer un écart important entre la popularité d’un scientifique sur les médias sociaux et son autorité réelle dans sa discipline.
Bibliothécaires et réseaux sociaux
Les bibliothécaires sont également sur les réseaux sociaux, utilisant Twitter et Facebook. Comme les chercheurs, ils le font à titre privé et/ou professionnel. Pour argumenter son mémoire, Cécile Arènes a réalisé un questionnaire qui montre l’utilisation fréquente des réseaux sociaux par les professionnels, les répondants soulignant l’intérêt de pouvoir nouer des contacts avec leurs collègues par cet intermédiaire (70% des répondants utilisent donc les réseaux sociaux pour leur travail). L’auteure donne des exemples pertinents d’expériences de blogs ou de comptes Twitter administrés par des bibliothécaires. Concernant les blogs, Cécile Arènes les distingue en deux catégories : « ceux qui portent sur le champ disciplinaire de l’établissement d’un point de vue documentaire – ce sont les plus nombreux, et ceux qui témoignent des pratiques bibliothéconomiques de l’établissement ». Pour l’auteure du blog « Marlène’s corner », « les blogs ne sont qu’un moyen de rendre visible et accessible, à tous, un travail de veille qui est fait de toutes façons ». « La « biblioblogosphère » des bibliothèques universitaires en France montre la diversité des thématiques abordées et une absence apparente des thématiques liées à la recherche sur ces sites » constate encore Cécile Arènes.
Bibliothécaires et chercheurs s’ignorent sur les réseaux sociaux
L’enquête montre qu’une majorité des répondants déclare lire des blogs de chercheurs. Pour les professionnels des bibliothèques, suivre les réseaux sociaux des chercheurs permet de découvrir le quotidien des chercheurs « qu’il n’est pas aisé de percevoir autrement depuis les murs de la BU ». Par ailleurs, pour un bibliothécaire, suivre les réseaux sociaux des chercheurs n’est pas sans intérêt pour orienter les acquisitions de l’établissement par une connaissance plus fine de la recherche en train de se faire.
Il n’empêche : sur les réseaux sociaux, les bibliothécaires lisent surtout des sujets concernant leur sphère professionnelle. Quand ils lisent des blogs de chercheurs, les bibliothécaires ne participent pas pour autant aux débats dans les commentaires des billets. Seuls 3% des répondants à l’enquête cherchent à nouer des contacts avec des enseignants-chercheurs via les réseaux sociaux. D’un côté sujet de recherches, de l’autre pratiques professionnelles, on constate une absence d’échanges entre ces deux mondes. Les centres d’intérêt communs sont rares, note Cécile Arènes, sauf quand les sujets traités sont Zotero ou HAL : bibliothécaires et chercheurs trouvent là le plus petit dénominateur commun pour converser.
Quelle offre des bibliothécaires pour les chercheurs ?
Les chercheurs fréquentent moins les espaces physiques des bibliothèques que leurs aînés. L’informatisation des catalogues, par exemple, les a libérés des salles des catalogues des bibliothèques et de la consultation des fichiers, qui étaient des lieux de rencontres obligés. Les recherches documentaires s’opèrent désormais depuis le bureau ou le laboratoire, « quand elles n’ont pas lieu au domicile ou en mobilité à partir d’outils portables ». L’apparition de catalogues collectifs et l’évolution des interfaces de consultation ont rendu autonomes une grande partie des chercheurs qui ont développé leurs propres « savoirs documentaires » pour collecter, classer et diffuser le matériau de leur recherche, à tel point que Cécile Gardiès et Isabelle Fabre s’interrogent pour savoir s’il n’y aurait pas là un transfert de la méthodologie documentaire vers les chercheurs. Cécile Arènes souligne ce paradoxe : « plus les bibliothèques mettent en œuvre un accès aisé à la documentation, électronique notamment, plus elles se rendent invisibles ».
Formations et services personnalisés
Quand elles existent, les relations des bibliothécaires avec les chercheurs sont principalement liées aux acquisitions. Les Bibliothèques universitaires ont beaucoup investi dans le formation des premiers cycles, consacrant peu de temps aux services aux chercheurs, créant un vide occupé par les bibliothèques d’UFR et de laboratoires, comme le souligne Cécile Arènes, « où les professionnels de l’IST, issus pour la plupart de la BAP F du personnel ITRF, ont développé une compétence disciplinaire extrêmement pointue ».
Certes, des formations sont mises en place par les Bibliothèques universitaires sur des questions comme Zotero, HAL ou les normes bibliographiques, à destination des chercheurs ou, public souvent plus réceptif, des doctorants. Hormis pour les présentations des bases de données, souvent adaptées aux champs disciplinaires, l’auteure constate que les formations dispensées aux doctorants par les bibliothécaires restent extrêmement généralistes et promeuvent des usages standardisés, parfois inadaptés. Par exemple, les bibliothèques incitent et forment aux normes bibliographiques ISO 690, alors que ces normes ne sont pas utilisées par certaines disciplines qui ont leurs propres usages bibliographiques.
« Les services personnalisés, qui commencent seulement à se mettre en place, semblent aujourd’hui nécessaires pour recréer du lien entre les étudiants avancés, les chercheurs et les bibliothécaires », préconise Cécile Arènes, tout en admettant que le développement de ces modules de formations à la carte est chronophage et nécessite une grande réactivité des bibliothécaires. Cela rend nécessaire de connaître les besoins des chercheurs et, pour cela, de les connaître eux-mêmes pour ne pas avoir un discours stéréotypé, inadapté, voire condescendant. Il n’est désormais pas rare de trouver des séances de formation proposées par les bibliothèques à propos de l’identité numérique, des médias sociaux, ou des outils de publication en ligne, notamment les blogs. Ces formations adaptées à celui qui les sollicite n’ont d’ailleurs plus forcément lieu à la bibliothèque universitaire.
Archivage et documentarisation
Les réseaux sociaux académiques sont des réservoirs fermés qui n’offrent pas de garanties aux chercheurs pour les documents qui y sont déposés, en particulier sur l’utilisation qui pourrait être faite de leurs productions. Les bibliothèques pourraient offrir ou préconiser des solutions plus stables et respectueuses pour les chercheurs car elles se sont intéressées depuis longtemps à l’archivage du web, créant des identifications pérennes que Cécile Arènes présente. Citons en particulier le fichier d’autorité international de référence VIAF, le code international normalisé servant à identifier de manière univoque les personnes et les organismes, ISNI, ORCID ou encore IdRef, application web développée et maintenue par l’ABES. Les bibliothèques peuvent également assurer que les données soient dans des formats interopérables. Cécile Arènes reprend les arguments de Bénédicte Kuntziger à propos de la nouvelle version de HAL qui répond à trois exigences, à l’inverse des réseaux académiques privés : « la sécurité, puisque les données sont protégées du vol et du plagiat, la pérennité du dépôt et la qualité de la base, notamment en ce qui concerne les autorités ».
Les bibliothèques peuvent également optimiser l’usage du document en permettant un meilleur accès à son contenu et une meilleure mise en contexte. Les bibliothécaires sont en effet familiers de la « documentarisation » des documents, en les cataloguant, en les indexant.
Valorisation des documents
Les bibliothécaires doivent repenser la médiatisation des documents des chercheurs. Cécile Arènes cite un article de 2009 d’Olivier Tacheau encore trop rarement ou trop timidement illustré2 :
« Un peu éditorialiste, un peu journaliste et beaucoup plus documentaliste qu’auparavant, le bibliothécaire doit désormais proposer ses services et disséminer son offre de contenus, en lien avec la politique de valorisation physique de l’établissement, à l’endroit même où se trouve l’usager et dans les environnements qu’il utilise (bureau virtuel, bases de données, agrégateur de flux, Facebook, Netvibes, Twitter, SlideShare, blogs…)
Une enquête réalisée en 2012 par l’ADBU concluait sur la nécessaire évolution du métier de bibliothécaire, vers plus de veille technologique, vers la rédaction de publications numériques, avec une bonne connaissance des médias sociaux, mais aussi des aptitudes à communiquer sur les réseaux sociaux. Cette enquête mentionnait l’importance d’un soutien à la recherche, passant notamment par une bonne connaissance de l’environnement. « Les bibliothécaires auront un rôle à jouer dans l’aide à la publication, qu’il s’agisse de la promotion du recours à une signature normalisée ou de recommandations pour les publications en archives ouvertes. Ils pourront aussi intervenir dans les domaines de l’édition en ligne et dispenser des conseils en matière de propriété intellectuelle. »
En conclusion : vers une offre commune sur les réseaux sociaux ?
Les bibliothèques universitaires se rapprochent timidement des chercheurs. Certains bibliothécaires osent même sortir de leur bibliothèque, dit-on, pour se rapprocher des laboratoires et des écoles doctorales et estimer les besoins des chercheurs. Certaines structures créent même des postes dédiés aux « services aux chercheurs », avec une offre de services qui reste cependant souvent encore à construire.
Cécile Arènes propose divers champs d’action pour les bibliothécaires, dans des rôles finalement assez traditionnels appliqués à la recherche et aux chercheurs : d’une part la formation, la bibliothèque jouant un rôle important pour faire acquérir une littératie numérique à ses usagers, même avancés, d’autre part l’archivage et la documentarisation des données du web.
Dans son mémoire très riche, dont notre compte rendu ne traite que de certains aspects, l’auteure distingue réseaux sociaux des chercheurs et réseaux sociaux des bibliothécaires dont les relations ne se feraient que par le biais des commentaires. Ne peut-on pas aller plus loin ?
Il faut sans doute imaginer des objets communs aux chercheurs et aux bibliothécaires sur les réseaux sociaux. Pour ne prendre qu’un exemple, notre blog « Insula » est désormais rédigé par une trentaine d’ « Insulaires » qui sont des personnels des bibliothèques (corps des bibliothèques et ITRF), des ingénieurs, des enseignants-chercheurs, des doctorants, de jeunes docteurs qui écrivent sur les trois thématiques affichées du blog qui sont l’environnement même de la bibliothèque : l’Antiquité, les bibliothèques, l’Université de Lille.
La valorisation des collections et des acquisitions de la bibliothèque peut (doit ?) être faite en commun, sur des objets communs, en particulier sur les réseaux sociaux. On peut dès lors imaginer de nombreux blogs thématiques, des comptes Facebook et Twitter, des bibliographies qui seraient coproduits par les chercheurs et les bibliothécaires. Bref : qu’on ne crée plus de barrières à des réseaux qui en sont dépourvus.
À propos de ce mémoire
Cécile Arènes, Les modes de communication de la recherche aujourd’hui : quel rôle pour les bibliothécaires ?, mémoire DCB, enssib 2015.
http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/65046-… (pdf)
- En 1665 également, la Royal Society publie Philosophical Transactions. [↩]
- Olivier Tacheau, « Pour une bibliothèque universitaire réincarnée », Bulletin des bibliothèques de France, 6, 2009, pp. 66‑69 [↩]
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « Les modes de communication de la recherche aujourd’hui : quel rôle pour les bibliothécaires ? », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 18 février 2015. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2015/02/18/les-modes-de-communication-de-la-recherche-aujourdhui-quel-role-pour-les-bibliothecaires/>. Consulté le 6 October 2024.
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