Les identités LGBT et la Rome antique.
« What have the Romans ever done for us ? LGBT identities and ancient Rome » est un texte de Jennifer Ingleheart, publié en novembre 2015 sur le blog de l’éditeur Oxford university Press: « OUPblog ». La traduction française inédite publiée sur « Insula » est réalisée par Pauline Vuillemin, étudiante en Master « Traduction Spécialisée Multilingue » – TSM, de l’Université Lille3.
Contrairement aux autres billets publiés par « Insula », les traductions issues de « OUPblog » ne sont pas publiées sous une licence en libre accès.
Qu’est-ce que les Romains ont fait pour nous ? La Rome antique est célèbre pour sa contribution au monde moderne dans des domaines tels que l’hygiène publique, les aqueducs, et les routes, mais son influence sur la pensée moderne à propos de l’identité sexuelle est loin d’être aussi largement reconnue.
Bien que les personnes de la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres) doivent beaucoup aux Romains, l’importance de Rome à cet égard a été largement négligée par les historiens. L’accent a plutôt été mis sur la Grèce antique comme un modèle d’une société dans laquelle les relations homosexuelles étaient acceptées et même rendues publiques. Oscar Wilde, célèbre pour sa défense à son procès pour son orientation sexuelle en faisant référence au philosophe grec Platon, qui avait fait de l’ »affection d’un aîné pour un homme plus jeune (…) le fondement même de sa philosophie. » Les premiers militants homosexuels de la fin des XIXe et XXe siècles, tels que John Addington Symonds, George Cecil Ives et Edward Carpenter, ont également minimisé l’importance de l’élément sexuel dans les relations homosexuelles en promouvant un idéal tout aussi noble de la Grèce, où l’amour entre les hommes a joué un rôle important dans l’éducation des jeunes citoyens.
Cette vision de Rome comme une société décadente était effroyable pour certains, mais il était aussi facile de voir pourquoi elle paraissait attrayante pour d’autres. Oscar Wilde parlait de Platon en public mais s’était aussi fait couper les cheveux dans le style d’un empereur décadent et se référait en privé aux jours avant sa chute comme ses « heures néroniennes ». Teleny, le roman pornographique publié de manière anonyme en 1893 (qui a parfois été attribué à l’auteur irlandais), fait des liens clairs entre sa propre fascination pour les grands pénis et les préoccupations priapiques de Rome. Les anciens Grecs, en revanche, avaient représenté dans leur art des jeunes hommes avec de petits pénis comme une vision de la beauté parfaite masculine. Teleny présente également une orgie masculine au cours de laquelle les participants (dont certains sont travestis) sont excités par des images recréant des peintures murales romaines sexuellement explicites. Les amants maudits masculins et pourtant fidèles au cœur de ce roman sont joués par l’empereur Hadrien et son bien-aimé condamné, Antinoüs, le beau jeune homme commémoré par Hadrien en statues et images partout dans l’empire. À ce jour, les illustrations de l’empereur et de son esclave, le gladiateur romain et le légionnaire, restent des éléments de base de la pornographie gay, érotisant les différences de pouvoir entre les hommes et leur insertion dans une esthétique gay moderne qui accorde une grande valeur à l’hypermasculinité.
Le désir lesbien et les femmes le ressentant sont mentionnés à plusieurs reprises en termes hostiles dans la littérature romaine. Le poète satirique Juvénal est particulièrement cinglant sur les femmes qui ont des rapports sexuels avec d’autres femmes, mais sa désapprobation n’a pas empêché Anne Lister (1791-1840) de Shibden Hall, près de Halifax de trouver excitante sa poésie sur ce thème. Elle a également utilisé le travail de Juvénal et des références à d’autres poètes romains qui avaient discuté du désir lesbien pour sonder les tendances des autres femmes.
Rome propose également des modèles pour les identités transgenres, la fluidité sexuelle et une gamme de configurations et possibilités sexuelles. La poétesse lauréate Carol Ann Duffy, par exemple, joue sur le portrait d’un des nombreux personnages androgynes du poète Ovide de ses nombreux personnages androgynes de ses Métamorphoses, dans son poème publié en 1999 « From Mrs Tiresia » (dans la collection The World’s Wife). Le personnage Tirésias d’Ovide a été transformé d’homme en femme, puis de nouveau en homme, et profite clairement de cette fluidité entre les sexes, car il révèle que le sexe est plus agréable en tant que femme.
Rome, de ce fait, a offert aux personnes de la communauté LGBT à travers l’Histoire un modèle d’une société dans laquelle les désirs pour le même sexe étaient très visibles et ouvertement discutés, ainsi qu’un certain nombre d’auteurs qui avaient en effet leur franc-parler sur le sexe et la sexualité. Ils ont écrit sur un sujet tabou dans beaucoup d’autres traditions, comme le travestissement, les personnes transgenres et les changements de sexe.
Aujourd’hui, Rome nous offre une vision positive aux multiples facettes du sexe et des possibilités et permutations sexuelles remettant en question la version la plus célèbre, mais aussi plus limitée, de l’homosexualité grecque qui a joué un rôle si important dans l’histoire LGBT.
Traduction réalisée par Pauline Vuillemin,
étudiante du Master « Traduction Spécialisée Multilingue » – TSM, de l’Université Lille 3.
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Lire aussi sur Insula :
Jennifer Ingleheart, « Qu’est-ce que les Romains ont fait pour nous ? », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 25 novembre 2016. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2016/11/25/identites-lgbt-et-la-rome-antique/>. Consulté le 7 October 2024.