Un compte rendu de l’exposition.
Stéphane Benoist, Professeur d’histoire romaine à l’université Lille 3, présente et recommande l’exposition « Moi, Auguste, empereur de Rome » qui se tient au Grand Palais, du 19 mars au 13 juillet 2014.
Si la commémoration du bimillénaire de la naissance d’Octave (en 63 avant notre ère) fit particulièrement l’objet d’une ample mise en scène dans la Rome mussolinienne de l’année 1937 à des fins idéologiques évidentes, la célébration des 2000 ans de la mort d’Auguste (le 19 août 14 à Nola) se place dans un tout autre contexte, même si la réflexion sur les empires a connu un regain d’intérêt ces dernières années, le cas romain n’étant pas le moins intéressant afin d’aborder un modèle politique original et à portée universaliste, celui de cette république « impériale » sous la conduite du premier des sénateurs, le princeps senatus. Après une exposition romaine au Quirinal à l’automne dernier à l’initiative d’Eugenio La Rocca, la présentation parisienne qui s’est enrichie pour l’occasion de nombreuses pièces provenant des musées français se distingue par les choix scénographiques et muséographiques des deux commissaires, Cécile Giroire et Daniel Roger, conservateurs au Musée du Louvre. Avec près de 200 œuvres qui ont été réunies de manière tout à fait exceptionnelle à Paris, en un ensemble inédit qui permet à tous les visiteurs de se retrouver ainsi confrontés aux images « vivantes » de leurs livres d’histoire, c’est un moment-clé d’un passé méditerranéen commun qui nous est donné à découvrir, redécouvrir, décrypter, comprendre, voire méditer !
Signalons d’emblée l’élégance d’une mise en scène privilégiant le blanc et le gris (pour les socles métalliques accueillant les représentations d’Octavien-Auguste) que l’on doit à Véronique Dollfus et l’abondance des pièces retenues qui sont ainsi offertes aux yeux du public en un seul lieu, et pour certaines d’entre elles pour la première fois (en provenance de musées étrangers et de collections privées). En huit étapes (Introduction ; Octave et la guerre civile ; Le régime augustéen ; La Rome d’Auguste ; La diffusion d’un nouveau langage artistique de tradition grecque ; Le cadre privé à l’époque d’Auguste ; Auguste et les provinces ; Mort et apothéose), la vie et l’œuvre du fondateur du principat font l’objet d’un parcours didactique réussi et sont décryptées au travers des témoignages les plus significatifs de l’art de cette époque, volontiers célébrée par les poètes et historiens contemporains comme le « siècle d’Auguste ». Leçon d’histoire et plongée dans une « vie quotidienne » d’un monde romain au tournant des premiers siècles avant et après notre ère, cette célébration augustéenne est tout à fait réussie et je ne veux nullement prendre la posture assez vaine du spécialiste relevant les erreurs de certains cartels et les approximations historiques. L’essentiel est ailleurs : sachons donc nous offrir ce moment privilégié que je recommande sans réserve, en parcourant ainsi la Rome de la fin de la République et des débuts de l’Empire et en admirant des œuvres célèbres et moins connues que nous ne reverrons pas de sitôt regroupées en un tel ensemble sans équivalent.
Dès la première salle d’exposition, nous sommes introduits aux ambiguïtés du parcours politique du neveu et fils adoptif de César, ce C(aius) Octavius, devenu C. Iulius Octavianus par adoption testamentaire, mais qui choisit très tôt de se dénommer C. Caesar, le « César le Jeune » de nos sources littéraires, puis Imp(erator) Caesar, en faisant de l’appellation du général victorieux un véritable prénom, avant de recevoir par décision du Sénat, le 16 janvier 27 av. n. è., le surnom d’Auguste. Dans cette salle, la reproduction de l’inscription monumentale bilingue du temple de Rome et d’Auguste de la colonie d’Ancyre (Ankara), les fameuses Res gestae Divi Augusti, ou les « Hauts faits du divin Auguste » pour reprendre la traduction de John Scheid (CUF, 2007) qui est affichée in extenso, fait face à la célèbre statue de Prima Porta. La cuirasse de ce portrait officiel, modelé à partir du Doryphore de Polyclète, peut se lire comme le récit des exploits du vainqueur des guerres civiles ayant obtenu le retour des enseignes perdues par Crassus à Carrhae en 53 av. n. è. et rendues par les Parthes, après un accord diplomatique transformé en une véritable victoire en 20 av. C’est à cette date à peu de choses près que le princeps choisit d’abandonner son autobiographie au profit d’un exposé méthodique de son action, une histoire romaine personnelle, ce bilan qu’il peaufina tout au long de sa vie, et principalement des années 20 à l’année 2 av. n. è., quand son forum (Forum Augustum) fut inauguré et qu’il reçut le titre de père de la patrie, célébré dans le 35e et dernier paragraphe de l’inscription.
Cette période de transition d’une cité-État, dominée par le jeu de la compétition aristocratique au sein des institutions de la res publica, à une capitale d’empire, sous l’autorité d’un membre éminent de l’une de ces grandes familles de la noblesse, vainqueur qui plus est des guerres civiles, est admirablement illustrée par les choix opérés parmi les grandes œuvres d’un discours impérial en images et en mots (statuaire, inscriptions monumentales, monnaies aux légendes et scènes judicieusement choisies) rendues ainsi accessibles, tout autant que par les nombreux témoignages sur la vie quotidienne. Le visiteur plonge au cœur des stratégies augustéennes destinées à transformer une république, s’affirmant pourtant officiellement comme « restituée », en une monarchie déguisée : la domus Augusti, cette famille, de monnaies, ou de reliefs figurant une procession des membres de la gens des Iulii et des Claudii. Depuis Rome jusqu’aux différentes provinces d’un empire méditerranéen, les valeurs étroitement mêlées de la paix et de la virtus guerrière se conjuguent pour dire un monde qui célèbre le restaurateur de l’unité tout autant que le refondateur de la cité à laquelle il s’est identifié étroitement, la transformant matériellement et culturellement.
Je recommande vivement ce parcours très riche et judicieusement mis en scène au Grand Palais d’un monde romain qui se crut au bord de l’abîme, lors des décennies d’affrontements violents urbi et orbi des guerres civiles, et vécut la victoire d’Octavien sur Marc Antoine à Actium, le 2 septembre 31 av. n. è., puis l’installation de son principat, sous le nom d’Imperator Caesar Augustus, comme un moindre mal. Le peuple pouvait célébrer à Rome le retour à la paix et à une certaine prospérité, tandis que la noblesse romaine quant à elle se satisfaisait d’une forme de consensus retrouvé qui ne demandait plus qu’à s’ouvrir aux élites des cités provinciales. Le culte impérial de Rome et d’Auguste offrit un moyen de cimenter les populations d’un très vaste empire, autour de la personne de son princeps, grand pontife, souvent représenté la tête couverte comme lors des sacrifices publics, et des membres de sa famille. Tibère, le fils de Livie, adopté en 4 de notre ère, étroitement associé aux pouvoirs d’Auguste depuis lors, put recueillir l’empire à l’été 14 et procéder à la divinisation du fondateur du principat : celui-ci rejoignait ainsi son père adoptif dans l’éther, le divus Augustus incarnant désormais une figure de référence, modèle d’action politique et de comportement qui ne fut toutefois pas exempt de critiques (Tacite) mais demeura jusqu’aux siècles de l’antiquité tardive constitutif d’un régime ambigu entre république et monarchie.
Crédits iconographiques
Illustrations issues du dossier de presse.
Pour en savoir plus
- Exposition « Moi, Auguste, empereur de Rome »
Paris, Grand Palais, 19 mars-13 juillet 2014
www.grandpalais.fr - Le catalogue de l’exposition :
Auguste : Rome, Scuderie del Quirinale, 18 octobre 2013 – 9 février 2014-Paris, Grand Palais, Galeries nationales, 19 mars – 13 juillet 2014, Editions de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, 2014.
notice de bibliothèque.
Lire aussi sur Insula :
Stéphane Benoist, « Moi, Auguste, empereur de Rome… », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 10 juin 2014. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2014/06/10/moi-auguste-empereur-de-rome/>. Consulté le 10 December 2024.