Alfredo Adolfo Camús face à la défaite de l’humanisme.
« “Latina latine sunt tractanda”. Alfredo Adolfo Camús ante la derrota del humanismo » est un texte de Francisco García Jurado, publié en novembre 2015 sur le blog « Reinventar la Antigüedad ». La traduction française inédite publiée sur « Insula » est réalisée par Khadija Ben Moussa, étudiante en Master « Traduction Spécialisée Multilingue » – TSM, de l’Université Lille 3.
Cela fait déjà un moment que nous avons abordé le personnage de Luis de Mata i Araujo, un homme à cheval entre le XVIIIe et le XIXe siècle qui a assumé jusqu’à son dernier souffle le devoir incertain de dispenser l’enseignement supérieur du latin et de sa littérature dans le contexte nouveau de l’université et qui, à travers Fernando VII, essayait de renaître de ses cendres. La discipline en question n’était autre que ladite Perfection du latin. Au moyen de la traduction et de l’imitation des meilleurs auteurs latins, le professeur dispenserait en plus quelques notions de littérature organisées autour de trois grands axes : poésie, éloquence et histoire. La matière était destinée tant aux étudiants de la Faculté de Philosophie et de Lettres qu’aux étudiants en Droit, et ici nous retrouvons déjà une des raisons pour laquelle l’ancienne approche humaniste n’a pas fonctionné. Le directeur général de l’instruction publique, Antonio Gil de Zárate, a dès le début précisé très clairement que ces nouveaux avocats et juristes n’avaient plus besoin d’écrire en latin, mais de disposer de certaines connaissances basiques de sa littérature, notamment en ce qui concerne les premiers documents de Droit romain, telles que la Loi des douze tables. Par conséquent, et tirant profit de la maladie de Mata i Araujo, il a encouragé le remplaçant du professeur, Ángel María Terradillos, à rédiger un manuel de Littérature Latine.
C’est ainsi et de manière improvisée qu’est apparu en Espagne en 1846 ce que l’on peut considérer comme le premier manuel moderne de Littérature latine. Il s’agissait d’une nouvelle manière de voir les Latinae litterae, désormais transformées en une matière imbue des principes romantiques de l’émergence du nationalisme. De ce fait, en Allemagne, l’Histoire de la Littérature romane s’était convertie en un modèle indiscutable dans l’élaboration des histoires modernes des littératures nationales. Les lettres latines ne sont plus connues comme étant « universelles ». Elles sont devenues un témoignage vivant de la biographie d’un peuple donné, le peuple romain. En termes pratiques, ce changement d’orientation de la matière a rendu possible l’étude de la littérature de manière indépendante en ce qui concerne la culture de sa langue correspondante. Inutile de parler de la joie que cette nouvelle circonstance a suscitée auprès des étudiants en Droit.
Lorsque Mata i Araujo retourne à sa chaire, il reprend à nouveau le modèle propre de la Perfection du latin, cependant les étudiants protestent publiquement en s’appuyant sur le fait qu’il ne s’agit pas de « Littérature latine », mais de « Latin ». Gil de Zárate continue en parallèle de solliciter l’abandon des compositions latines et, surtout, l’étude de la Littérature latine d’un point de vue historique et non rhétorique ou poétique. La modernité se fraye un chemin par la force.
Dans ce contexte tendu, Mata i Araujo meurt en 1848, et sa mort représente plus qu’une simple mort physique, puisqu’il emporta avec lui une façon de considérer l’enseignement supérieur du latin, reliée directement à l’ancien humanitas et au bon goût.
Cette même année 1848, les concours d’accès à la chaire de Littérature latine ont été organisés (qui n’est déjà plus Perfection du latin) et Alfredo Adolfo Camús les a remportés. Face à l’imparable progrès des nouveaux postulants historiques de la discipline, Camús entreprend quelque chose de curieux: un programme de Littérature latine rédigé en latin. Ainsi nait sa Synopsis lectionum, une tentative de récupérer le latin pour la nouvelle matière même comme langue académique. Pour la rédaction de son programme il se tourne vers les anciens érudits du XVIIIe siècle comme Funccius. Camús défendait que « les sujets latins devaient être étudiés en latin », mais imaginons que le manque de connaissance de cette langue classique de la part des nouveaux étudiants de l’université ne transforme cet acharnement en mission impossible.
Toutefois, nous ne voulons pas perdre de vue le caractère de cette histoire qui, bien que subtil, ne cesse d’être intéressant. Nous avons pris l’habitude d’analyser l’Histoire selon notre présent, lorsque nous connaissons déjà la portée des essais et des tentatives. Toutefois, lorsqu’un projet échoue, nous oublions aussitôt les raisons qui ont pu l’encourager et l’alimenter. Face au progrès fataliste de l’Histoire, face à la fin de l’humanisme en tant que modèle éducatif reposant sur l’enseignement du latin, Camus a essayé d’exercer son droit d’homme libre en tentant de changer le cours des choses. L’Histoire n’est pas seulement le décompte froid des succès et des échecs, c’est également l’exploit de l’exercice de la liberté.
Traduction réalisée par Khadija Ben Moussa,
étudiante du Master « Traduction Spécialisée Multilingue » – TSM, de l’Université Lille 3.
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Lire aussi sur Insula :
Francisco García Jurado, « « Latina latine sunt tractanda » », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 13 janvier 2017. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2017/01/13/latina-latine-sunt-tractanda/>. Consulté le 3 December 2024.