Jean-Paul Chadourne est décédé le 29 décembre 2018. À l’occasion de son départ en retraite en 2011, Insula lui avait consacré cet article.
Son directeur, Jean-Paul Chadourne, part en retraite
Le 6 octobre 2011, l’université a rendu hommage à Jean-Paul Chadourne, directeur du Service commun de la documentation de Lille 3, à l’occasion de son départ en retraite, après dix-huit ans passés à Lille 3. Nous évoquerons ici quarante-six années passées dans le monde des bibliothèques.
Jean-Paul Chadourne aurait sans doute préféré partir sur la pointe des pieds, l’homme ne semblant pas goûter aux mondanités et aux effusions, mais ses collègues tenaient à le remercier pour les dix-huit ans passés à la direction du SCD de l’université Lille 3. Jean-Claude Dupas, le Président de l’université retraça la carrière du Conservateur.
Après une scolarité à Paris au Lycée Condorcet (1954-1963), puis au Lycée Henri IV (1963-1965), Jean-Paul Chadourne sort comme archiviste-paléographe de l’École des chartes (1965-1969). Il soutient une thèse en mars 1969 qui a pour sujet : Les bouchers parisiens au XVIe siècle : contribution à l’étude de la société marchande1. Ses années à l’École des chartes sont marquées par les événements de mai 68. Si, comme le souligne Jean-Paul Chadourne, il existe un décalage entre les événements et l’École2, celui-ci est l’un des chartistes les plus impliqués dans l’agitation qui secoue alors la vénérable institution. À côté d’actions un peu potaches, les revendications visent l’enseignement. Les Chartistes souhaitent en particulier ne plus seulement être considérés comme des auxiliaires au service des historiens mais aller au-delà, être eux-mêmes des historiens3.
En 1969, à sa sortie des Chartes, Jean-Paul Chadourne obtient son premier poste comme bilbiothécaire stagiaire à la Bibliothèque universitaire de Grenoble. En 1971, il est nommé Conservateur à la Bibliothèque centrale de prêt du Pas-de-Calais. La BCP (aujourd’hui BDP) du Pas-de-Calais est alors considérée comme une bibliothèque-pilote, « terme utilisé à l’époque par le ministère de l’Éducation nationale pour désigner les établissements – une demi-douzaine – jouissant de moyens plus importants et appelés à développer certaines politiques définies de haut »4. Jean-Paul Chadourne en devient le directeur en 1974.
Le 1er octobre 1976, il rejoint la Bibliothèque nationale où il est nommé Conservateur du Service des expositions5. Si les catalogues des expositions rendent compte de l’efficacité et du soin qu’il apporte à la tenue de ces événements, Jean-Paul Chadourne s’ennuie à ce poste. Une opportunité lui permet de quitter Paris pour le Nord de la France où il a été décidé d’y créer une Bibliothèque centrale de prêt : « N’ayant aucune vocation à végéter à la BN où je me trouvais alors, je décidai de prendre la direction d’un établissement à créer ex nihilo dans une région que je connaissais bien et que j’aimais particulièrement. Le défi me paraissait intéressant » écrit-il.6
En 1981, à son arrivée au Ministère de la culture, Jack Lang décide d’achever le programme de création des BCP manquantes, dont celle du Nord. Nommé directeur de la Bibliothèque centrale de prêt du Nord, Jean-Paul Chadourne cherche alors à irriguer le plus rapidement possible le maximum de communes dans tous les secteurs du département et dans les meilleures conditions possibles7 et, pour y parvenir, sillonne le département à la rencontre des élus. Le bilan de l’activité volontariste du premier directeur de la BCP du Nord est positif : « en dix ans la BCP du Nord était passée du statut d’embryon cultivé dans un modeste bureau de la DRAC à celui d’une médiathèque départementale ouverte à tous les supports de diffusion et concernant plus de la moitié des nordistes vivant dans des communes de moins de 10 000 habitants »8.
Désormais Conservateur général (22 octobre 1993), Jean-Paul Chadourne devient directeur du Service commun de la documentation de l’Université Lille 3 le 1er janvier 1994. Le SCD est composé d’une riche Bibliothèque centrale et d’un ensemble d’une quinzaine de bibliothèques associées d’UFR et de Centres de recherche. Sa direction intervient dans un contexte où les bibliothèques universitaires sont soumises à une profonde évolution qui modifie considérablement leurs modes de fonctionnement et, souligne Jean-Paul Chadourne, font du métier de bibliothécaire l’un de ceux qui aura le plus évolué en si peu de temps : évolution des supports de collections d’abord qui a monopolisé des années durant l’attention des professionnels (irruption du numérique, explosion de l’offre internet, dématérialisation totale de certains supports) et évolution des publics, les étudiants n’ayant plus rien à voir avec ceux des années 70/80 (démocratisation, rapport à la documentation modifié dans l’enseignement secondaire, pratiques « sauvages » de la recherche d’information, délaissement de l’imprimé etc..) souligne le directeur9. De fait, parmi les grands chantiers entrepris par Jean-Paul Chadourne, on peut citer l’informatisation du catalogue, prenant en compte les fonds des bibliothèques associées, contribuant ainsi à la constitution d’un catalogue et d’un « langage » commun au sein du SCD. Autre chantier important : Jean-Paul Chadourne n’a eu de cesse de démontrer l’intérêt d’une formation donnée aux usagers, défendant ce dossier devant les instances de l’université.
« En bibliothèques universitaires, les professionnels ont longtemps estimé que le public avait d’emblée les moyens intellectuels et les connaissances de base pour se débrouiller dans l’univers documentaire. Ce qui était sans doute déjà illusoire à une époque où les universités avaient des effectifs stables issus de milieux sociaux et culturels généralement favorisés, devenait totalement inopérant au fur et à mesure de la massification. D’où un souci de plus en plus grand de donner aux étudiants une initiation aux méthodes documentaires par des sessions de formation. Cette politique fut d’abord assumée par les bibliothèques seules puis reconnue par l’ensemble de la communauté universitaire »10.
En 2009, le SCD Lille 3 était reconnu dans l’un de ses domaines d’excellence et obtenait le label de CADIST en Langues, littératures et civilisations des mondes anglophones (îles britanniques).
Forte personnalité, Jean-Paul Chadourne a eu un engagement syndical. Il a laissé des textes dans des revues professionnelles où prime l’expérience du terrain (on pense en particulier à son billet d’humeur consacré à la décentralisation)11. Les discours à l’occasion de la remise des palmes académiques en 2003 ou de son départ en retraite ne livrèrent rien de la vie privée de l’homme, tout juste y a t-on fait allusion à sa passion du rugby, de la Baie d’Authie et de Berck. Pour achever son propre discours, Jean-Paul Chadourne a lu trois pages issues de « Notes brèves sur l’art et la manière de ranger ses livres » de Georges Perec et a terminé sur cette phrase : « Ainsi, le problème des bibliothèques se révèle-t-il un problème double : un problème d’espace d’abord, et ensuite un problème d’ordre »12.
Comme il avait quitté la BCP du Nord avant l’inauguration de sa médiathèque, Jean-Paul Chadourne quitte le SCD Lille 3 au moment où le bâtiment de la Bibliothèque centrale va connaître d’importantes modifications pour résoudre « un problème d’espace » et se muer en Learning center. Jean-Paul Chadourne laisse à son successeur, Isabelle Westeel, le soin de poursuivre ce chantier qu’il a contribué à initier.
- Ses examinateurs sont Jean Meuvret et Robert-Henri Beautier : École des chartes. In: Bibliothèque de l’école des chartes. 1969, tome 127. pp. 525-530. Voir sur Persée. [↩]
- « Nous vivions dans une espèce de bulle, complètement coupés de l’extérieur de la réalité sociale, de l’information, de la société, de ce qui se passait à l’extérieur » : Le Mai 68 des historiens : entre identités narratives et histoire orale, sous la direction d’Agnès Callu, Presses universitaires du Septentrion, 2010, p. 186. [↩]
- Cette revendication aura des incidences sur les programmes d’enseignements de l’École et trouvera une réalisation concrète dans l’écriture historique : Jean-Paul Chadourne édite le manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale (Fr 10973) relatant le procès des sorciers du carroi de Marlou qui sera l’objet d’une publication, à partir de 1972, dans la revue trimestrielle Anagrom, sous la direction de Maxime Préaud, Dominique Lesourd, Jean-Paul Chadourne, Denis Muzerelle et Pierre Janin, qui traite de sorcellerie, folklore, astrologie, alchimie : voir l’article de Dominique Coq, « Anagrom. Revue trimestrielle, sous la direction de Maxime Préaud, Dominique Lesourd, Jean-Paul Chadourne, Denis Muzerelle, Pierre Janin ». In: Bibliothèque de l’école des chartes. 1976, tome 134. pp. 272-273 [Persée : consulté le 30 novembre 2011]. [Voir notice Sudoc de la revue]. [↩]
- Jean-Paul Chadourne, « Vingt ans de mutation radicale », Bulletin d’informations de l’ABF, n°169, 1995, p.48-52. En ligne. [↩]
- Jean-Paul Chadourne organise en particulier les expositions « George Sand » (Bibliothèque nationale, 27 janvier-10 avril 1977), « O.V. de L. Milosz » (Bibliothèque nationale, 27 mai-26 juin 1977), « André Maurois » (Bibliothèque nationale, 2 octobre-4 décembre 1977), « Georges Bernanos » (28 septembre-5 novembre 1978), « Sonia et Robert Delaunay » (Bibliothèque nationale, 15 décembre 1977-29 janvier 1978), « Jules Romains » (Bibliothèque nationale, 10 février-26 mars 1978), « Roland Dorgelès » (Bibliothèque de l’Arsenal, 20 avril-24 juin 1978), « André Barsacq : cinquante ans de théâtre » (Bibliothèque nationale, 17 juin-1er octobre 1978), « Joseph Sima » et « Louise-Denise Germain » (Bibliothèque nationale, 23 mai-24 juin 1979), « Joris-Karl Huysmans » (Bibliothèque de l’Arsenal, Paris, 7 juin-22 juillet 1979). [↩]
- Jean-Paul Chadourne, « Vingt ans de mutation radicale », Bulletin d’informations de l’ABF, n°169, 1995, p.48-52. En ligne. [↩]
- Idem. [↩]
- Idem. [↩]
- Nous reprenons ici les grandes lignes d’une note interne. [↩]
- Jean-Paul Chadourne, « Le bouleversement de l’univers documentaire et l’avenir du service public (supports, accès, diffusion) », dans : Miscellanea, textes réunis par Annie Allain, Éditions du Conseil scientifique de l’Université Charles-de-Gaulle-Lille 3, 2006, p. 13-25. [Voir notice]. [↩]
- Chadourne, Jean-Paul, « Décentralisation et bibliothèques publiques », BBF, 1990, n° 1, p. 15-17
[en ligne] <http://bbf.enssib.fr/> Consulté le 03 novembre 2011. [↩] - Le texte « Notes brèves sur l’art et la manière de ranger ses livres » de Georges Perec, initialement paru dans la revue L’Humidité n° 25 en 1978, a été repris dans le recueil Penser/Classer : Georges Perec, Penser/Classer, (Textes du XXe siècle) Hachette, 1985 [voir notice]. [↩]
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « Une page se tourne au SCD Lille 3 », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 30 novembre 2011. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2011/11/30/jean-paul-chadourne/>. Consulté le 24 November 2024.
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