Des “Mythes fondateurs” au Louvre

Exposition à découvrir au Louvre jusqu’au 5 juillet 2016.

Une exposition sur le thème des « Mythes fondateurs, d’Hercule à Dark Vador » se tient jusqu’au 5 juillet 2016 dans la Petite Galerie du Louvre. Elle présente environ 70 œuvres sur les mythes du monde entier, issues du Louvre mais aussi des grands musées parisiens. Son but est aussi très précis : pédagogie et accessibilité, pour petits et grands.

Compte rendu muséologique par Cyrille Ballaguy, doctorant à l’université Lille 3, dont le sujet de thèse porte sur la valorisation de la mythologie dans les musées du Nord [voir theses.fr].

La Petite Galerie

affiche mythes fondateursLe Président-directeur du Louvre, Jean-Luc Martinez définit ainsi la Petite Galerie, nouvel espace du musée : « un lieu privilégié d’initiation à l’art, une véritable « école du regard ». Grâce à une scénographie et une médiation repensées, le visiteur est invité à « apprendre à regarder » des œuvres, à les comparer »1.

Basée sur le principe d’une grande exposition construite chaque année avec des musées partenaires, la Petite Galerie propose une thématique transversale où l’exposition est liée à une série de médiations : site internet, application mobile, dossiers téléchargeables, etc. Le premier grand sujet traité est consacré aux mythologies. Au-delà de l’effet d’annonce aguicheuse de l’affiche (mettre Dark Vador à côté d’une statuette en bronze d’Héraklès d’après Lysippe), qu’en est-il du contenu de cette exposition ? Celle-ci réussit-elle son pari d’allier art, accessibilité et nouvelles médiations, au sein d’un même espace ?

La visite de l’exposition

Avec cette exposition, nous entrons directement dans un monde. Dès l’escalier, de petites étoiles sont placées sur les marches avec des verbes : « observer », « écouter », « s’émerveiller »…

Puis nous arrivons dans l’exposition proprement dite, introduite par deux thématiques. Sur la droite, « l’aube du monde  » avec une définition : « Toutes les civilisations ont inventé des histoires pour raconter l’origine du monde et comprendre la place de l’homme dans l’univers. Ce sont des mythes. Ils sont au cœur de la création artistique« . Une Aphrodite en marbre est présentée, faisant le lien avec sa naissance issue des flots. L’exposition est dans une certaine pénombre, pour donner sans doute une ambiance mystérieuse à l’ensemble. D’un point de vue de médiation, les cartels sont simples et colorés. Les explications sont faites de phrases courtes, de polices et tailles différentes. L’enfant peut récupérer gratuitement un livret-jeu et s’amuser avec ce que le musée appelle ses « salières ». Ces dispositifs proposent quatre activités ou questions. Par exemple autour de l’œuvre citée plus haut : « Mime la position des bras de Vénus », « Choisis 2 ou 3 mots pour cette œuvre ». On peut aussi toucher deux types de marbres.

Une salière de l'exposition
Une salière de l’exposition

L’accent est donc vraiment mis sur la diversité des activités, pour permettre à chacun d’expérimenter ce qu’il voit. Parmi les œuvres présentées, la partie sur la gauche « Mondes créés » est très riche d’œuvres diverses : masque de la culture Dogon, crocodile en bois de Papouasie-Nouvelle-Guinée, tablette mésopotamienne… Cela permet de nous faire une idée assez complète des différents mythes, de leur diversité mais aussi de leur unité.

Panneau jour/nuit
Panneau jour/nuit

Nous avançons dans l’exposition et là encore deux thématiques sont présentées de chaque côté de l’allée centrale. Sur la gauche nous entrons dans « le Jour et la Nuit ». Comme précédemment, la comparaison est très bien faite entre l’Hélios grec, le dieu Rê et Mithra. La muséographie est bien pensée jusque dans l’écriture du texte qui forme une pleine lune composée de deux croissants, le texte français et celui anglais. Avec la sablière, nous pouvons actionner des lumières autour de la peinture La Nuit et l’Aurore de Jean-Baptiste de Champaigne, et voir ainsi les différents effets sur une œuvre dont c’est précisément le sujet.

Sur la droite, nous entrons dans le monde de la « Magie et Crainte ». Aussi et, sans mauvais jeu de mot, voilà notre première crainte : cette partie abandonne l’idée de dialogue entre œuvres de différentes civilisations pour ne s’intéresser qu’au mythe de Circé et d’Ulysse. Cela reste très bien fait et toujours didactique. La médiation permet quelques explications sur des personnages et notions : Circé, la céramique grecque… Les œuvres sont aussi très belles, comme ce miroir du IVe siècle avant J.-C. Puis nous continuons dans un petit corridor où est montrée une œuvre d’art contemporaine : 7e continent de Christophe Berdaguer et Marie Péjus. Il s’agit d’une demi-sphère lumineuse, liée aux thématiques précédentes.

Berdaguer et Péjus, Septième continent, 2001. Demi-sphère en plexiglas, dispositif électronique et câble électrique. Diamètre : 320 cm. Paris, Musée national d'art moderne - Centre Pompidou © Adgap, Paris, 2015. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Migeat
Berdaguer et Péjus, Septième continent, 2001. Demi-sphère en plexiglas, dispositif électronique et câble électrique. Diamètre : 320 cm. Paris, Musée national d’art moderne – Centre Pompidou © Adgap, Paris, 2015. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Migeat

Nous entrons alors dans la dernière grande partie de l’exposition. Notre première crainte s’avère alors fondée. La première thématique s’intitule sobrement « Les Héros » et le texte, encore une fois très didactique, montre leur importance dans les mythes. Or, lorsque l’on considère les œuvres présentées, il ne s’agit que de mythologie grecque, excepté une petite statuette de Gilgamesh. Puis concernant cette mythologie, seuls deux héros sont mis en avant, Héraclès, avec dix œuvres montrant ses différents exploits et trois sur Icare (et Dédale). Si le premier est effectivement un grand personnage reconnu par tous, la présence des deux architectes paraît étrange. Thésée n’aurait-il pas eu plus sa place ici ? Puis, quid des grands héros des autres mythologies ?

Héraklès et le lion de Némée. début Ve siècle avant J.-C. Pyrgos. calcaire, traces de polychromie. 25,5 x 10,20 x 6,50 cm. Musée du Louvre © RMN - Grand Palais (musée du Louvre) / Christophe Chavan
Héraklès et le lion de Némée. début Ve siècle avant J.-C. Pyrgos. calcaire, traces de polychromie. 25,5 x 10,20 x 6,50 cm. Musée du Louvre © RMN – Grand Palais (musée du Louvre) / Christophe Chavan
Pierre Boucher, Serge Lifar dans la Chute d'Icare 1938, Épreuve gélatine-argentique, 30,8 x 29 cm, Fonds national d'art contemporain Centre Pompidou-Musée national d'art moderne-Centre de création industrielle © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / George Meguerditchian © Fonds Pierre Boucher
Pierre Boucher, Serge Lifar dans la Chute d’Icare 1938, Épreuve gélatine-argentique, 30,8 x 29 cm, Fonds national d’art contemporain Centre Pompidou-Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / George Meguerditchian © Fonds Pierre Boucher

La suite de l’exposition est encore moins claire. Nous arrivons dans une partie avec des œuvres de Star Wars avec un documentaire sur « Le retour de Dark Vador » puis le fameux masque. Celui-ci apparaît dans une nouvelle thématique sur « Monstres et démons ». Mais quel lien avec ce que nous avons vu auparavant ? Seul, après coup, le catalogue d’exposition répond à cette question en ajoutant la partie sur le « Spectacle du mythe »2 incluant de fait − et de manière beaucoup plus légitime − l’univers de George Lucas.

Masque et casque de Dark Vador, 1979, métal plastque et cuir, 40 x 35 x 40 cm, Lucas Museum of Narrative art © and ™ All rights reserved Lucasfilm Ltd. Used under authorization
Masque et casque de Dark Vador, 1979, métal plastque et cuir, 40 x 35 x 40 cm, Lucas Museum of Narrative art © and ™ All rights reserved Lucasfilm Ltd. Used under authorization

La partie sur les « Monstres et démons », quant à elle, revient à une muséographie beaucoup plus simple et riche, à l’image du début de l’exposition : des chapiteaux romans sont placés à côté d’un autel portatif du Bénin, de Tanuki japonais… La visite se termine par de multiples affiches de films montrant des mythes d’hier à aujourd’hui puis par des silhouettes de personnages mythologiques issues des collections.

Bilan muséographique

De prime abord, la visite de l’exposition laisse un avis mitigé. Les œuvres sont, comme toujours dans les expositions du Louvre, magnifiquement et parfaitement présentées. Les outils de médiations proposés in situ sont eux aussi très bien pensés. Enfant ou adulte, tout le monde s’amuse et réfléchit en même temps. Le concept des salières, à la fois simple et innovant, permet de montrer les diverses manières d’appréhender l’Art. Art, ou plutôt arts, tant le dialogue est riche au début et à la fin de l’exposition entre les chefs-d’œuvre des différents continents, de différentes périodes, réunis sous des thématiques communes.

Cependant, plusieurs points méritent d’être soulevés. Tout d’abord, une simple question préliminaire : Quel est le lien entre le titre, les œuvres présentées et le discours ? À aucun moment, le concept de « mythe fondateur » n’est expliqué. Cela m’avait gêné dès l’aperçu de l’affiche. En quoi Hercule et a fortiori Dark Vador sont-ils des mythes fondateurs ? Fondateurs à quel niveau ? Dans quelle dimension ? Hercule est effectivement reconnu comme le créateur de villes, et comme étant un héros panhéllenique. Dark-Vador et l’univers Star Wars sont sans doute à la base d’une culture de l’entertainment dans la société occidentale. Mais comment les réunir sous cette dimension ? Le lien est explicité3 mais aurait dû être plus central et développé.

Tanuki, Japon. Bois sculpté et peint, cordon, papier. 21 x 10 x 9 cm. Musée du Quai Branly. © 2015. Musée du quai Branly, photo Claude Germain/Scala, Florence
Tanuki, Japon. Bois sculpté et peint, cordon, papier. 21 x 10 x 9 cm. Musée du Quai Branly. © 2015. Musée du quai Branly, photo Claude Germain/Scala, Florence

Le second problème, qui en découle, est la part de la culture occidentale dans une exposition se voulant à vocation universelle. Nous l’avons vu, une bonne moitié de l’exposition permet un riche dialogue avec des œuvres du monde entier, ainsi la mission est remplie. Mais pourquoi ces focus délibérés sur Circé et Ulysse, Hercule, Icare et Dark Vador ? Cela est vraiment visible à propos de la figure d’Hercule suscitant un discours généraliste et développant une focalisation extrême sur le héros. Pourtant les autres civilisations sont riches en personnages de ce genre. Ainsi au lieu de nous servir une sorte de « making-off » d’un Star Wars, un court métrage d’animation actuel comme Sanjay et sa super équipe, qui montre un jeune Indien mélanger dans son imaginaire des super-héros américains avec des divinités de l’Hindouisme, aurait eu toute sa place et pris tout son sens ici.

Face à ces interrogations, il est vrai que la « Petite Galerie » permet un grand nombre d’approfondissements par le biais de son site Internet très bien conçu qui permet de télécharger des dossiers thématiques, de voir des vidéos sur les acteurs de l’exposition ou d’accéder à une bibliographie conséquente. Aussi − et malgré quelques réserves − cette nouvelle partie du Louvre permet un dialogue et un enrichissement bienvenu. Cette exposition nous renvoie à un débat constant entre la forme et le fond, mais à voir le nombre d’enfants s’amusant dans l’exposition, on se dit que celle-ci a réussi sa mission.

Pour en savoir plus

Exposition, Musée du Louvre, Petite Galerie, 13 octobre 2015 au 4 juillet 2016

  • Voir le site consacré à la Petite Galerie : petitegalerie.louvre.fr
  • Catalogue de l’exposition : Dominique de Font-Réaulx, Frédérique Leseur, Mythes fondateurs, d’Hercule à Dark Vador, Paris, Louvre éditions-Seuil, 2015. 161 pages.
    [voir la notice bibliographique]

mythes

 

  1. Mythes fondateurs : d »Hercule à Dark Vador, exposition Musée du Louvre, Petite Galerie, 13 octobre 2015-4 juillet 2016, Louvre éditions, Seuil, Paris, 2015, p. 10. []
  2. Ibid., Chapitre p. 128-141. []
  3. Ibid., « Par sa force surhumaine, par esprit coléreux, le caractère d’Anakin Skywalker tient d’Hercule. », p. 136. []

Lire aussi sur Insula :

Citer ce billet

Cyrille Ballaguy, « Des “Mythes fondateurs” au Louvre », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 5 avril 2016. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2016/04/05/des-mythes-fondateurs-au-louvre/>. Consulté le 21 November 2024.