L’exemple d’une exposition nord-américaine.
Dans le cadre de nos recherches sur la mythologie gréco-latine dans les musées du Nord de la France, l’opportunité d’un séjour au Québec et États-Unis en mars dernier nous a permis d’étudier une autre vision de ce type d’œuvres et une manière propre de les aborder envers les publics. Nous aborderons ici l’exposition « Les Maîtres de l’Olympe : Trésors des collections gréco-romaines de Berlin », qui s’est tenue au Musée de la Civilisation de Québec, du 5 juin 2014 au 15 mars 2015.
Le Musée de La Civilisation de Québec est une institution qui est née en 1988 et qui se donne pour tâche, par le biais de nombreuses expositions temporaires et permanentes, de faire réfléchir les visiteurs québécois sur leur Histoire mais aussi l’ensemble des visiteurs sur les nombreux champs du savoir humain. Comme la chargée d’exposition a pu nous le confier, cela faisait de nombreuses années que le musée voulait consacrer une exposition aux mythes grecs : une collaboration avec l’Antikensammlung de Berlin, qui proposait le prêt de certaines de ses œuvres pour un temps assez long, a permis de concrétiser ce souhait, l’exposition se poursuivant ensuite au Musée des beaux-arts de Winnipeg du 26 avril 2015 au 17 avril 2016.
Environ 160 objets sont exposés dans l’exposition « Les Maîtres de l’Olympe ». Il s’agit principalement de sculptures, de vases et de reliefs prêtés par Berlin pour permettre au Musée de créer le parcours muséographique qui lui semblait le plus approprié. Le but principal du parcours est de « monter physiquement vers l’Olympe, pour rejoindre un autre univers », selon Michel Côté, le directeur du musée. Deux dispositifs sont liés à ce parcours : un audioguide, qui s’active automatiquement devant certaines œuvres, et un livret-jeu prêté à l’entrée ; nous y reviendrons par la suite.
Cheminement
Essayons maintenant de nous mettre à la place d’un visiteur et de suivre cette exposition. Dès l’entrée, un grand panneau introduit la thématique : le visiteur entre dans le monde des dieux. Il embrasse du premier coup d’œil l’ensemble de la muséographie, qui est un espace assez ouvert.
Un énorme pied, vestige d’une ancienne statue, attire d’emblée l’attention. Celui-ci est installé sur un piédestal rond, translucide, évoquant l’eau des jardins et des fontaines antiques. En faisant le tour, on peut déjà consulter le catalogue d’exposition sur des banquettes. Il y a aussi quelques bustes de divinités, la plupart indéterminées. Le regard du visiteur se porte ensuite sur les photographies de bustes représentant Homère et Hésiode, les deux sources principales pour cette exposition, qui ont un rôle prépondérant dans l’audioguide. Les dieux peuvent être replacés dans leur contexte grâce à une généalogie et une carte de la Grèce, elles aussi imprimées sur les murs.
Une « ascension vers le ciel »
Ayant fait le tour du grand piédestal, le visiteur arrive vers l’« idée maîtresse » de l’exposition, à savoir cette « ascension vers le ciel »1, monde des dieux et héros. Celle-ci est composée en deux parties. Le visiteur emprunte tout d’abord une pente douce qui présente les douze dieux du Panthéon grecs, six de chaque côté de cette allée. Chacun des dieux est représenté par une statue ou un buste antique, puis par la reproduction à l’horizontale d’un tableau réalisé entre le XVIe et le XIXe siècle, identifié par son nom grec et romain. On commence par aborder les plus importants : Zeus et ses frères et sœurs, Poséidon, Déméter, Héra et Hadès. Il est à noter que ce dernier n’a pas de statue, mais se trouve symbolisé par une sorte de cavité avec un écran montrant l’Enfer2. Les sept autres dieux présents sont les enfants de Zeus avec, dans l’ordre du parcours : Aphrodite, Artémis, Apollon, Athéna, Hermès, Asclépios et Dionysos.
Après être parvenu au sommet de l’Olympe, le visiteur doit descendre quelques marches. Devant lui, se dresse la deuxième partie du concept : une rangée de huit statues (deux Aphrodites, un satyre, une danseuse, un Hermès….) placées devant un grand écran large incurvé représentant un grand ciel bleu rempli de nuages blancs. Le muséographe de l’exposition, Daniel Castongay explique ainsi ce parcours ((Catalogue, p 110.)) :
« Nous aimerions que le visiteur ait en perspective cette vision ultime, au fond de la salle, en stimulant sa propre perception, de façon à ce qu’il comprenne le message que nous voulons lui transmettre : les dieux ont une influence importante sur nous. Nous nous réclamons de leurs gestes, mais ils habitent ailleurs, dans le ciel ».
Une promenade dans « l’ambiance des jardins, du théâtre »
La suite de l’exposition est beaucoup plus libre. À ce point de son parcours, le visiteur connaît les principaux dieux et leurs actions, il peut dès lors visiter le reste de l’exposition, présenté sous forme de petites thématiques, dans l’ordre qu’il souhaite3. Si, au sortir de l’Olympe, il va à droite, il voit des œuvres en lien avec des processions, ainsi que des sculptures dans le contexte des jardins romains, puis la sortie. S’il prend à gauche, il fait face à une grande rangée de vases attiques à figures rouges et noires racontant le jugement de Pâris et les exploits d’Héraclès. Certains vases sont exposés de telle sorte qu’on puisse en faire le tour et voir leurs deux faces.
Ensuite, le visiteur découvre plusieurs petites statuettes des dieux, des bijoux, des exemples de la couleur sur les statues… Le tout avec une phrase en grec inscrite en hauteur sur le mur. En passant par une grande ouverture, il peut soit découvrir les trésors et offrandes des sanctuaires, soit plonger dans le monde dionysiaque. On parvient à celui-ci en longeant quelques œuvres consacrées à son cortège de ménades et de satyres jusqu’à une autre structure ronde, laquelle fait pendant à celle installée au début du parcours, soutenant le pied colossal. Cette structure est ici liée au théâtre avec une statue d’acteur placée au centre et de nombreux masques et statuettes autour. Le visiteur peut alors choisir de revenir sur ses pas ou traverser de nouveau l’exposition, vers les jardins romains. La sortie est à ce niveau. Cette deuxième partie a pu dérouter certains visiteurs, mais elle permet aussi de pérégriner et « retrouver l’ambiance des jardins, du théâtre » ((Catalogue, p 9.)).
L’audioguide
L’audioguide fait partie de la muséographie et a été pensé très rapidement comme un complément presque indispensable à la visite. L’appareil est composé d’un casque audio relié à un boîtier que l’on peut tenir à la main, accrocher à sa ceinture ou mettre dans sa poche. Une fois installé, il n’y a plus rien à faire, les commentaires s’activent dès que l’on s’approche de certaines œuvres reconnues par un petit pictogramme dans l’exposition.
Une visite en compagnie d’Homère et Hésiode
Les commentaires ont été réalisés sous la forme d’un dialogue didactique entre les personnages d’Homère et d’Hésiode. Le directeur du musée s’en explique :
« En plus de montrer l’aspect plastique des sculptures, l’idée est de raconter la mythologie grecque par la parole, l’écriture et la poésie. […] Au lieu d’avoir un cartel qui décrit l’objet, vous avez l’explication de deux auteurs qui sont une référence culturelle universelle et qui rendent ainsi les choses plus claires. »
Dès l’entrée dans l’exposition, les deux personnages commencent ainsi à parler au visiteur :
Homère : Je suis Homère, poète de l’Antiquité. Bienvenue à cette rencontre avec les dieux de l’Olympe. J’aurai le plaisir de vous y accompagner avec mon ami le poète Hésiode, à qui je demande d’expliquer brièvement ce qu’est la mythologie grecque.
Hésiode : Mon cher Homère, vous le savez, le système religieux grec comprend plusieurs dieux…
Tout au long du parcours, les informations données sont de plusieurs ordres. Analysons, par exemple, ce qui est dit de la statue d’Hermès dans le panthéon ainsi recréé : Hésiode commence par une définition des fonctions du dieu lui-même sans lien avec la statue ou la peinture représentée. Homère résume ensuite brièvement le mythe de la naissance d’Hermès, décrit justement dans l’Hymne homérique à Hermès. Hésiode reprend la parole pour exprimer des pensées religieuses sur ce dieu, liées à sa fonction de psychopompe. Homère décrit ensuite les attributs qui caractérisent Hermès d’un point de vue iconographique puis passe à l’histoire de l’art afin de montrer l’évolution de style entre l’Hermès barbu (lié à la borne hermaïque présentée) et l’éphèbe (sur la peinture). Hésiode conclut en parlant du caducée qu’il rattache aux professions médicales. On voit ainsi la diversité des informations données par l’audioguide qui, lié à la forme du dialogue théâtral, donne un certain rythme appréciable. D’ailleurs, s’il a d’abord été pensé pour le public adulte, les enfants l’utilisent beaucoup en complément de leur livret-jeu.
Concernant les œuvres prises en compte par l’audioguide, on en retrouve une forte concentration au début de l’exposition, avec une explication au sujet des douze dieux du panthéon. Pour la suite de l’exposition, les informations données par l’audioguide sont plus aléatoires, avec une explication par espace. S’il y a une introduction, l’audioguide ne donne pas de conclusion. Par ailleurs, le visiteur ne dispose d’aucun plan pouvant lui permettre de savoir à l’avance où se situent les explications sonores.
Entre les œuvres, l’appareil n’est toutefois pas muet et émet le bruit de petits oiseaux. La volonté des concepteurs est de pouvoir se rapprocher de la Grèce. Outre le ciel bleu, l’Olympe, le bruit des oiseaux, de nombreuses bandelettes de tissus blancs délimitent les espaces : elles sont censées représenter les branches de cyprès très présentes autour de la Méditerranée. On remarque aussi la blancheur des statues de marbre renforcée par celle des piliers et des murs.
Le livret-jeu
Le livret-jeu est prêté au même endroit que l’audioguide. Il commence de la façon suivante :
Il était une fois, il y a très longtemps,
des dieux grecs fort étonnants !
Ils lançaient souvent des défis
Que bien des héros ont réussis !Veux-tu devenir une héroïne
ou un héros de cette exposition ?
Voici pour toi 25 énigmes et questions !
Il s’ensuit une série de petites questions, portant toutes sur une œuvre et parfois regroupées avec d’autres. Elles sont souvent liées à la distinction de détails ou des attributs des dieux. D’autres questions portent sur la lecture du cartel. Ainsi la question 16 porte sur un des vases du jugement de Pâris :
Qui est ce prince troyen qui doit accorder la pomme d’or à la plus jolie déesse ?
La description près de cette hydrie* te révélera la réponse.
Enfin, quelques autres questions ont un caractère assez inédit. La 21 invite l’enfant à trouver le nom en latin d’Aphrodite ou la 24 est une question à réponses multiples sur la forme des vases.
Chaque question est mise sur une page. Chaque page est très colorée, avec de nombreux dessins ou photographies. Comme nous l’avons vu avec la question 16 citée précédemment, certains mots compliqués portent un astérisque (*) qui renvoie à une petite définition au bas de la page.
Pour aider l’enfant à ne pas se perdre, il bénéficie d’un plan au début du livret avec la place des différentes pastilles liées aux œuvres qu’il doit retrouver. À la fin de la vingt-cinquième énigme, le livret se termine ainsi :
Bravo! Tu as réussi !
Tu veux continuer de t’amuser sur
le thème des dieux grecs et romains ?
Rends-toi dans L’atelier des muses.
D’autres activités t’y attendent !
N’oublie pas de rapporter ce livret là où tu l’as pris.
Pour résumer, cette muséographie est vraiment très riche. Par son approche globale du monde de la mythologie grecque, elle offre une perspective inédite sur la façon de montrer dieux et héros présents sur les œuvres antiques. Son cheminement est de deux ordres : la première partie de l’exposition est très cadrée, afin de donner les bases de ce monde lointain tant dans le temps que l’espace. La barrière est alors franchie, puisque le visiteur va même jusqu’à traverser l’Olympe. Ensuite le parcours est plus libre et centré sur la richesse plastique des œuvres avec des îlots thématiques pouvant être appréhendés indépendamment les uns des autres.
Après quelques entretiens informels, nous avons alors noté que cette approche muséographique avait ses détracteurs. Le fait qu’un soin tout particulier ait été attaché à introduire cette exposition et non à la conclure nuit pour certains visiteurs au discours global de l’exposition. De plus, alors que certaines œuvres et discours veulent faire réfléchir sur certains stéréotypes − comme la non-utilisation de la couleur − l’ensemble renvoie globalement à une image d’Épinal de l’art grec, vue comme un monde blanc et lisse. Des éléments comme les rubans sont rarement compris et le caractère multiple de la deuxième partie suscite une certaine incompréhension chez certains visiteurs. Incompréhension et distance réduites il est vrai, par la richesse des audioguides et livrets-jeux qui permettent une approche rythmée de l’exposition. Ces deux outils s’avèrent alors très utiles et complémentaires, tant pour se situer dans l’exposition que pour l’apprécier sous ses différents aspects.
Pour en savoir plus sur l’exposition
Site de l’exposition : https://www.mcq.org
Catalogue de l’exposition : Les Maîtres de l’Olympe : Trésors des collections gréco-romaines de Berlin, ouvrage collectif, TTM Éditions, 2014.
Remerciements
Nous remercions chaleureusement Mme Lucie Daignault, Responsable de l’évaluation et des stages au Musée de la Civilisation de Québec, ainsi que tout le personnel du musée pour leur accueil.
Lire aussi sur Insula :
Cyrille Ballaguy, « La mythologie grecque au musée », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 20 octobre 2015. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2015/10/20/la-mythologie-grecque-au-musee/>. Consulté le 9 November 2024.
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