À l’occasion de l’exposition consacrée à la bande dessinée Le Casque d’Agris, présentée dans le hall de la Bibliothèque centrale de l’université Lille 3 jusqu’au 14 avril 2011, nous avons interrogé Laurent Libessart, le dessinateur des deux premiers tomes de la série. La série Agris cherchant à restituer l’univers des Gaulois vers le milieu du troisième siècle avant notre ère, notre entretien a porté essentiellement sur sa manière de travailler pour restituer en dessins les résultats de la recherche archéologique.
Christophe Hugot : Comment en es-tu venu à dessiner Le Casque d’Agris ?
Laurent Libessart : Je suis venu à cette série par hasard. Ce qui m’a intéressé, c’est que rien n’avait vraiment été fait sur cette période. Alors qu’il existe des dizaines de bandes dessinées sur d’autres époques, sur le Moyen Âge par exemple, rien de tel sur les Gaulois. Agris est la première bd ayant l’ambition de montrer les Gaulois avec un souci d’exactitude archéologique. Jacques Martin, avec la série Alix, a été en quelque sorte précurseur de cette démarche, il a sensibilisé le public, mais la série est déjà ancienne : il fallait se servir des connaissances les plus récentes.
Ch. Hugot : Précisément, comment Silvio Luccisano, le scénariste, et toi comme dessinateur avez-vous travaillé ?
L. Libessart : D’abord par des lectures. Mais ces dernières se sont rapidement révélées insuffisantes pour les besoins que nous avions. Comme les ouvrages des archéologues ne sont pas conçus pour servir à des reconstitutions, il a fallu les rencontrer pour leur poser des questions précises. Le premier des archéologues rencontrés dans ce but fut André Rapin. Ce qui a été intéressant avec André Rapin est qu’il dessine lui-même et qu’il a donc été sensible à notre démarche : il a ainsi pu nous faire des suggestions à la fois d’ordre visuel et archéologique. Il a également cassé certains a priori que je pouvais avoir sur les Celtes. Silvio a travaillé avec José Gomez de Soto, par exemple, et avec d’autres archéologues qui ont corrigé, supervisé nos propositions, avec qui nous avons fait des choix de reconstitution.
Ch. Hugot : Je suppose que certaines questions sont restées sans réponse. Par exemple, on ignore comment était constitué l’intérieur d’une maison gauloise. Comment avez-vous fait pour résoudre cette difficulté ?
L. Libessart : Les postulats des différents archéologues sur des mêmes données sont parfois contradictoires. Il a fallu trancher, prendre une option par rapport à une autre. Pour reprendre l’exemple de la maison gauloise, je sais que notre choix de mettre des poutres horizontales entre les poteaux verticaux a généré quelques débats. Pour l’organisation intérieure, c’est vrai que l’archéologie ne donne aucun élément. L’inspiration peut alors venir d’ailleurs. Pour dessiner l’intérieur de la maison, je suis parti d’une maison japonaise aperçue dans les Sept Samouraïs de Kurosawa. D’autres parallèles peuvent palier le manque d’informations archéologiques, comme des joutes équestres d’Indonésie ou des détails de la société tribale yéménite. Effectivement, je suis parfois contraint de compléter les informations manquantes, j’essaie alors de le faire par des choses qui ne contredisent pas les sources et qui restent « archéo-compatibles ».
Ch. Hugot : As-tu eu des retours d’archéologues ou spécialistes de cette période à la suite de leur lecture de ces deux albums ?
L. Libessart : Oui. Les retours sont d’abord positifs. Les spécialistes nous disent souvent leur satisfaction de voir que nous cherchons à donner une autre image des Gaulois que celle qui est véhiculée ordinairement. L’image des Gaulois en bande dessinée est faussée par le succès exclusif d’Asterix (qui n’avait d’ailleurs absolument pas de visées archéologiques) mais également par d’autres séries. Le journal Le Monde a récemment réédité la série de l’Histoire de France en bande dessinée sans revoir les albums ni ajouter le moindre commentaire. Le premier volume de cette série, paru initialement en 1976, donne pourtant une image complètement dépassée des Gaulois !
Ch. Hugot : Les critiques éventuelles à votre série ont-elles modifié certaines choses ?
L. Libessart : On nous a fait observer que notre bande dessinée comportait sans doute trop d’objets métalliques alors que dans les fouilles prédomine la poterie. On nous a fait des remarques sur la taille des fibules, par exemple. Ces critiques sont toujours les bienvenues et servent pour les volumes suivants.
Ch. Hugot : En dehors des travaux archéologiques et des rencontres avec les archéologues, l’archéologie expérimentale, ou l’archéologie vivante comme celle réalisée par les Ambiani, a t-elle joué un rôle pour la réalisation des dessins ?
L. Libessart : Effectivement, nous avons travaillé avec les Ambiani. Ce qui est intéressant, est qu’il existe un vrai dialogue. Nous faisons des propositions qui peuvent être adoptées par les acteurs de l’archéologie vivante, comme pour notre suggestion dans l’emploi des sangles pour les housses des boucliers ou les formes des tentes, et inversement nous reprenons certaines de leurs propositions. Nous avons ainsi travaillé avec la troupe des Leuki et – en particulier – avec Franck Mathieu. C’est à lui que nous devons la scénographie de la première bataille (tome 2), de nombreux détails concernant les armes, sur les cuirasses, les tenues, les chars qu’il réalise souvent lui-même. Le char de guerre qui apparait dans le tome 2 est ainsi très différent de celui qui est dessiné dans le tome 1. Autre exemple, des maisons réalisées par les Gaulois d’Esse dans le cadre du village gaulois de Coriobona serviront de modèles pour des dessins du tome 3 de la série Agris.
Ch. Hugot : Te sentais-tu parfois bridé par cette recherche du vrai ou était-ce au contraire une source d’inspiration ?
L. Libessart : Je ne sais pas dessiner quelque chose si je ne sais pas comment les choses sont faites, construites ou organisées. Pour réaliser la série, nous avions commencé par dessiner deux ou trois planches que nous avons soumises aux archéologues. Ils ont apporté tellement de corrections qu’il n’était pas possible de travailler ainsi. Alors, nous avons dessiné les personnages en pied, les décors, et avons fait valider ces dessins. Cela a ensuite servi pour réaliser les différents scènes. Evidemment, cette démarche de bien connaître ce qu’on dessine, dans les moindres détails, demande énormément de temps.
Ch. Hugot : Ce qui a occasionné le long délai entre deux volumes.
L. Libessart : Le premier album a été fait en quatre ans. Le deuxième en trois ans. Le troisième le sera en deux ans. C’est vrai que c’est très long. Nous avons pu nous permettre ces délais parce que l’éditeur n’est pas un éditeur professionnel tenu de faire des bénéfices. Assorbd est animé par des passionnés. Cette méthode de travail me handicape par ailleurs pour travailler chez d’autres éditeurs. Il m’avait été demandé de réaliser des planches pour un album dont l’action se passe à Jérusalem, en 70. Le délai qu’on me donnait pour le faire était trop court compte tenu du temps qu’il me fallait pour rassembler une documentation assez solide et contacter les personnes les plus qualifiées pour me renseigner. Ils ont dû trouver quelqu’un d’autre déjà plus spécialisé dans cette époque. Pour rester sur des exemples concernant la Gaule, j’aime beaucoup la série Vae Victis. Le talent de dessinateur et de raconteur de Jean-Yves Mitton n’est plus à prouver. Les volumes de la série paraissent à un rythme très soutenu mais la démarche n’est absolument pas la même que celle à l’initiative du Casque d’Agris et si Vae Victis est une très bonne BD d’aventure, le rythme de parution l’a forcément amené à devoir faire des approximations sur le plan archéologique. Cela étant dit, même si nous pouvons nous permettre d’être plus lents, nous avons perdu des lecteurs en cours de route qui avaient acheté le premier volume mais ne se sont pas procurés le second, en raison des délais trop importants entre les deux épisodes.
Ch. Hugot : Tu ne dessines pas le troisième volume d’Agris pour cette raison ?
L. Libessart : Oui. Il fallait aller plus vite. Comme j’ai d’autres projets en cours, je ne pouvais pas réaliser rapidement le troisième volume de la série. C’est désormais Claire Bigard qui dessinera Agris. J’y participe encore pour le cahier pédagogique notamment, mais je ne réalise plus les pages. Pour des projets archéologiques de ce type, je ne compte désormais me lancer que dans des récits en un volume pour éviter cet écueil du rythme contraint de parution.
Ch. Hugot : Silvio Luccisano et toi avez-vous d’autres projets liés à l’Antiquité ?
L. Libessart : Silvio a fait le scénario d’une bande dessinée consacrée à la bataille d’Alésia, dont Christophe Ansar est le dessinateur. J’en réalise l’encrage et j’interviens pour rectifier certains éléments. Chez Assorbd va également paraître une bande dessinée faite par Ludovic Gobbo, dans le contexte de la migration des Helvètes, prélude à la Conquête des Gaules par César. Là encore je fais l’encrage. J’ai aussi un vague projet autour du Cratère de Vix. Je trouve intéressant de varier les genres et de réaliser de la bd historique à côté des bandes dessinées de science fiction ou oniriques que je peux faire par ailleurs.
Ch. Hugot : Le Casque d’Agris est actuellement exposé dans le hall de la Bibliothèque universitaire de Lille 3, Murena de Delaby et Dufaux a fait l’objet d’une conférence à la Sorbonne, un colloque est annoncé à l’université de Pau en novembre 2011 sur la bd historique. Que penses-tu de cette entrée de la bd historique à l’université ?
L. Libessart : L’idée qu’on se fait de la bande dessinée évolue. La bd était trop souvent considérée comme de la lecture pour les enfants ou pas sérieuse. La série Agris sert à divulguer, à vulgariser, les résultats de la recherche. Par ailleurs, pour combler l’absence de sources, nous sommes contraints de dessiner des hypothèses qui peuvent elles-mêmes nourrir les réflexions des spécialistes. En remplissant des vides, on pose des questions.
Pour en savoir plus sur l’exposition
Exposition « Le Casque d’Agris : quand la BD redonne vie aux Gaulois », jusqu’au 14 avril 2011 , Hall de la Bibliothèque universitaire centrale de l’université Lille3. Entrée libre. Horaires : de 8h30 à 20h00, du lundi au jeudi (19h le vendredi) et de 9h00 à 12h00 le samedi. Y aller.
Autour de l’exposition
- Le samedi 26 mars 2011, de 14h00 à 18h00 : animations par les Ambiani : artisanat, armement, sépulture. Parc archéologique Asnapio, Villeneuve d’Ascq. Animations comprises dans le prix d’entrée. Y aller.
- Le 29 mars 2011 à 18h00 : conférence de José Gomez de Soto, « Le casque d’Agris : petite histoire de sa découverte, sa place dans l’art celtique », Salle de travail libre de la Bibliothèque universitaire centrale de Lille 3. Entrée libre.
- Le 12 avril 2011 à 18h00 : conférence de Philippe Marinval, « Des banquets d’Astérix face à l’archéologie, regards sur l’alimentation gauloise », Salle de travail libre de la Bibliothèque universitaire centrale de Lille 3. Entrée libre.
L’exposition ainsi que les différentes activités sont réalisées dans le cadre du Learning center archéologie / égyptologie. Responsables de la coordination : Ewa Wyremblewski, Camille De Visscher
courriel : learning-center.archeo.egypto [at] univ-lille3.fr
Sur la série en bande dessinée du « Casque d’Agris »
On pourra lire notre précédent billet Autour du Casque d’Agris. Voir également le site de l’éditeur Assor BD ainsi que le très joli blog consacré à la bande dessinée du Casque d’Agris.
Crédits
Merci à Laurent Libessart de nous avoir autorisé à reproduire l’ensemble des dessins de cette page.
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « Le Casque d’Agris : entretien avec Laurent Libessart », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 25 mars 2011. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2011/03/25/casque-d-agris-laurent-libessart/>. Consulté le 14 December 2024.
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