Un fragment de comédie grecque oubliée.
Le hasard nous a fait découvrir une édition d’un fragment de comédie grecque, intitulée « Les Perses comiques » par son premier éditeur. Nous en donnons pour Insula une traduction inédite qui en révèle toute l’actualité.
Introduction
Nous savons peu de choses du contexte de ce texte. Rédigé en grec, il aurait été inscrit sur un papyrus récupéré au début des années 1930 en Égypte, par un journaliste belge, dans le tombeau de Kih-Oskh. Ce papyrus, qui apparait dans un inventaire de l’Université catholique de Louvain (P.Eg. Kih-Osk. R.G. – 1934) a disparu, vraisemblablement durant la Seconde Guerre mondiale.
C’est à l’occasion d’un récolement dans les archives d’un Musée de Louvain-La-Neuve que fut retrouvée une transcription réalisée par le professeur Hyppolite Bergamotte, sans doute peu après la découverte du papyrus. C’est cet éminent savant qui donna au fragment le titre de « Perses comiques », que nous lui reprenons.
Il semble que le professeur Bergamotte chercha à publier son édition, comme le suggère une note manuscrite mentionnant le Conservateur du Musée du Caire (« Envoyé pour publication à Ahmed Rassim Bey »). On sait que le Professeur Bergamotte délaissa ensuite ses passions premières pour les momies égyptiennes et la papyrologie, accaparé qu’il fut par ses recherches sur les peuples précolombiens (on lui doit en particulier un essai sur les momies incas qui fait encore autorité).
Comme le Professeur Bergamotte, nous voyons dans cet extrait de comédie une allusion aux Perses d’Eschyle, mais il est impossible d’en tirer une conclusion quant à la datation de sa création.
Nous donnons ici, sans doute, la première traduction moderne de ce fragment. Cette publication s’avère opportune, tant cet extrait semble d’actualité.
Traduction du Fragment P.Eg. Kih-Osk. R.G. – 1934
Le vieux garde
Qui dois-je annoncer ?
Le satrape
Le satrape. Conseiller du Grand Roi
Le vieux garde
Un Conseiller du Grand-Roi ?
Plutôt un emploi fictif ! Il n’écoute plus personne, sauf les flagorneurs et les mendiants qui se mettent à genoux.
Le satrape
Dépêche-toi de m’annoncer. J’ai hâte de retourner chez moi avec ma rétribution
Le vieux garde (en criant)
Oh Grand Roi ! Un Satrape est là pour te parler.
Le Roi
Ah ! Ce n’est pas trop tôt !
Cela fait une éternité que j’attends qu’on me dise que nous avons gagné la guerre.
Mes soldats sont partis il y a plus de cent jours.
Où sont-ils ?
Pourquoi ne sont-ils pas encore revenus ?
C’est avec moi qu’ils doivent fêter la victoire !
Le vieux garde
Lui ça fait cent jours qu’il attend, mais les femmes ça fait cent nuits qu’elles s’impatientent. Chaque soir elles viennent à la fin de mon service pour avoir des nouvelles.
Les pires à se plaindre, ce sont les mères. Il est où mon Amistrès ? Qu’est devenu Artaphrénès ? Quand reviendra Mégabatès ? Avez-vous des nouvelles de mon bel Astaspès ?
Le Roi
Alors ? Où en sont les préparatifs du défilé de la Victoire ?
Mon baldaquin est-il installé ?
Le satrape
C’est que nous n’avons pas encore gagné, Grand Roi.
Le Roi
Que dis-tu ?
Le satrape
Mais nous n’avons pas encore perdu !
Le Roi
Que dis-tu ? Je n’entends rien. Parle plus fort, bon sang !
Le satrape
C’est que vous êtes très loin, Grand Roi.
(au garde) Ne peut-on pas s’approcher plus près de lui ?
Le vieux garde
Malheureux, on ne s’approche plus du Grand Roi !
Pourquoi ? Je l’ignore, mais c’est interdit, ça je le sais !
Certains prétendent qu’il a peur qu’on lui refile la peste.
D’autres qu’il pue depuis qu’il ne peut plus acheter ses parfums d’Occident.
Le Roi
Alors ? Que dis-tu ? Je ne t’entends pas.
Où sont mes belles armées ? Où sont tous mes chars ? Et mes jolis bateaux qui vont sur l’eau ? Pourquoi mes archers ne paradent-ils pas encore sous mes fenêtres ? Les cités ennemies ont-elles ouvert leur porte à nos ambassades ?
Me répondras-tu enfin, au lieu de ne rien dire !
Faut-il que je t’envoie un messager pour avoir une réponse ?
Le satrape
N’en faites rien, Grand Roi !
Le messager pourrait mourir d’épuisement avant d’avoir fini de faire le tour de cette table.
Depuis octobre 2015, le Blog Insula publie des pastiches. Il s’agit de proposer une nouvelle manière de parler des auteurs anciens : les faire parler sur des sujets contemporains. Les auteurs de ces billets écrivent « à la manière de ». L’exercice n’est pas seulement frivole. En pastichant les Anciens sur des sujets actuels, ces textes peuvent révéler une manière d’écrire et de penser à l’aune de notre connaissance de ces mêmes sujets. Ils révèlent aussi notre rapport au texte par la traduction, avec ses imperfections et ses mécanismes qui peuvent eux-mêmes être objets de pastiche.
Anne de Cremoux et Christophe Hugot
Lire aussi sur Insula :
Christophe Hugot, « Les Perses comiques », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 23 mai 2022. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2022/05/23/les-perses-comiques/>. Consulté le 9 November 2024.