La Conduite publique, Livre III.
Les premières années à l’université, c’est aussi le temps, souvent, où l’on doit passer son examen de code de la route. Qu’en était-il il y a près de 2500 ans, dans une Athènes surpeuplée au début de la guerre du Péloponnèse ? Les chercheurs de l’université de Lille ont retrouvé un document exceptionnel : le procès-verbal de l’examen de code passé par Socrate en 427 av. notre ère, dans la prestigieuse école du sophiste Taxias. Il semble que le maître de conduite, devenu fou, se soit pendu peu après.
Taxias − Eh bien, Socrate, c’est maintenant à toi de parler, et je te prie de me répondre sans ruser et sans jouer sur les mots. Lorsque tu es à ce croisement de rues, peux-tu mener ton char plus avant, et gagner ainsi tranquillement l’ombre des platanes pour te reposer, comme si de rien n’était ?
Socrate − Absolument, Taxias.
Taxias − Et tu as tort, en vérité, Socrate, si bien que tu ne remportes pas l’épreuve du code ; car vois-tu, si tu agissais ainsi, d’une part, tu mènerais ton char à travers la voie d’un fantassin au risque d’écraser l’un de tes concitoyens, d’autre part, tu n’aurais pas honte d’avancer plus loin encore sans céder le passage au reste des chars qui circulent dans la Cité, comme il est convenu par la loi, et ce comportement serait tout à fait étrange.
Socrate − En vérité, je m’étonne de ta réponse, par le Chien ! Et je veux t’interroger, car, vois-tu, je suis tout à fait ignorant de ces conventions. Voyons, le tableau qui se trouve sur ma droite représente bien un fantassin ?
Taxias − Bien sûr, Socrate.
Socrate − Et ce fantassin, sur le tableau, est bien en train de traverser une rue sans encombre, totalement vide d’autres hommes et de chars ?
Taxias − C’est évident.
Socrate − Or donc, tu soutiens dans tes leçons publiques que ces tableaux que l’on trouve de tous côtés dans la rue, et qui ont été conçus par nos dirigeants les plus sages et exécutés par Zeuxis en personne, représentent ce que nous devons exactement faire, et pas autre chose ; est-ce bien cela que tu soutiens, Taxias ?
Taxias − Comment ne serait-ce pas le cas ?
Socrate − Alors, si un fantassin traversait la rue à ce moment, ne vois-tu pas qu’il aurait tort ? et ne vois-tu pas qu’il enfreindrait les lois les plus sages de la Cité, celles dans lesquelles ont été élevés mon grand-père, mon père et mes enfants, et qu’il faut respecter par-dessus tout ?
Taxias − Comment est-ce donc possible ?
Socrate − Mais, mon bon ami, c’est que suivant la loi, le fantassin, comme il a été représenté par une image sur le tableau, ne peut s’engager que lorsque la rue est absolument vide, sans aucun char ni autre homme à pied ; autrement, il ne se comporterait pas comme l’homme que Zeuxis a figuré sur le panneau, et de la manière que les dirigeants ont voulu qu’il agisse. Ainsi donc, si j’avance mon char et que cet homme traverse, assurément, il sera tout à fait en tort, et moi, non.
Taxias − Par Zeus, tu dis vrai, Socrate.
Le blog Insula poursuit sa nouvelle manière de parler des auteurs anciens : les faire intervenir sur des sujets contemporains. Les auteurs de ces billets écriront « à la manière de ». L’exercice n’est pas seulement frivole. En pastichant les Anciens sur des sujets actuels, ces textes peuvent révéler une manière d’écrire et de penser à l’aune de notre connaissance de ces mêmes sujets. Ils révèlent aussi notre rapport au texte par la traduction, avec ses imperfections et ses mécanismes qui peuvent eux-mêmes être objets de pastiche.
Lire aussi sur Insula :
Anne de Cremoux, « Socrate passe le code de la route, d’après Platon », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 6 avril 2017. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2017/04/06/socrate-passe-le-code-de-la-route-dapres-platon/>. Consulté le 6 October 2024.
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