Voyage chez les Dunkerquois, d’après Lucien

Histoires presque véritables (extraits).

Quelles impressions aurait Lucien de Samosate, auteur du IIe siècle de notre ère, s’il venait à tomber au beau milieu du Carnaval de Dunkerque ?

Le blog Insula poursuit sa nouvelle manière de parler des auteurs anciens : les faire parler sur des sujets contemporains. Les auteurs de ces billets écriront « à la manière de ». L’exercice n’est pas seulement frivole. En pastichant les Anciens sur des sujets actuels, ces textes peuvent révéler une manière d’écrire et de penser à l’aune de notre connaissance de ces mêmes sujets. Ils révèlent aussi notre rapport au texte par la traduction, avec ses imperfections et ses mécanismes qui peuvent eux-mêmes être objets de pastiche.

Ce billet a été écrit « à la manière de… » par Marie-Andrée Colbeaux.

hareng et clet'che au carnaval de Dunkerque - Photographie de Mageonyme (Wikimedia Commons)
hareng et clet’che au carnaval de Dunkerque – Photographie de Mageonyme (Wikimedia Commons)

Je vous raconterais bien ce que j’ai vu, transporté par Borée, aux confins des limites de ce territoire, mais de peur que vous ne m’accordiez crédit, je me limiterai à ce que d’autres ont rapporté par ailleurs. Quand Borée me fit tomber, j’atterris, dans une pluie de harengs, de petits poissons à l’odeur forte qui ne sont consommés que dans les régions les plus septentrionales, au milieu de ce qui me sembla une mêlée, remarquable par ses êtres étranges. Sur la droite, une ligne de bataille formée par des soldats non pas vêtus comme on les voit habituellement, mais dont la tenue était, pour ainsi dire, bigarrée ; les visages, en effet, sans doute pour effrayer l’ennemi, étaient couverts d’une épaisse couche de couleur fort voyante ; sur la gauche, des hommes munis de longues tiges, surmontées de larges chapeaux de champignons. Ah non, ils n’étaient pas en ordre, ceux-là, mais allaient en tous sens, au son du tambour. Les uns et les autres accompagnés de musiques tonitruantes et portant à leur bouche une boisson aux relents puissants semblaient s’échanger des chants amébées, dont j’aurais volontiers rapporté les paroles si évocatrices, si une troupe ne m’avait emporté dans son mouvement. Je perdis alors pied jusqu’à retomber plus loin, où les cris des porte-champignons ne cessèrent que pour entonner un chant des plus mélodieux – des musiciens, en effet, qui n’utilisent pas la flûte de nos contrées mais un instrument beaucoup plus fin qu’on appelle fifre s’étaient attroupés là- . J’étais alors au pied d’un géant qui m’engloutit avant que je pusse réagir. Chose étonnante, un beffroi, car c’est ainsi qu’on nomme à cet endroit de hautes tours qui hérissent les campagnes, se dressait à l’intérieur du géant. C’est son carillon qui me ramena à la vie, mais ce séjour à l’intérieur du géant est une autre histoire que je vous conterai plus tard…

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Citer ce billet

Marie-Andrée Colbeaux, « Voyage chez les Dunkerquois, d’après Lucien », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 9 février 2016. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2016/02/09/voyage-chez-les-dunkerquois-d-apres-lucien/>. Consulté le 28 March 2024.