d’après Lucien β.
Un nouveau feuillet du Dictionnaire mêlé portatif vient d’être dévoilé par le collectif chargé d’en diffuser des pages au gré des circonstances : cet extrait, malgré quelques lacunes, témoigne à la fois de l’attitude de Nicolas Lanas à l’égard des fables païennes et de l’importance de l’actualité dans ses digressions.
Amymonè [amimͻn] n. f. – du grec Amumonè t Fille de Danaos, prolifique roi d’Argos assoiffé. Partie chercher de l’eau dans une contrée exsangue à cause de la vengeance du dieu de la mer, elle s’endormit en plein champ. Un satyre survint qui la voulut violenter. Elle supplia donc Neptune de lui porter secours ce qu’il fit incontinent. Délivrée du satyre, c’est au dieu qu’elle accorda ensuite ses faveurs – hé quoi ! tu lèves les yeux au ciel, généreux lecteur, déjà tu t’échauffes, déjà tu écris une satire contre les femmes, mais rentre un instant en toi-même et dis-moi si, sauvé de l’étreinte d’un bouc, tu opposerais un prude refus à la bouche sublime d’une déesse qui désirerait ardemment une misérable créature comme toi ? Elle rejeta la violence du satyre et s’abandonna au dieu car les dieux sont aussi désirables que les satyres sont repoussants, et Neptune de son côté accorda aux Argiens l’eau qu’il leur refusait pourtant jusque-là en faisant sourdre une source dans les parages. Cette histoire est très morale et elle vaut bien une source, surtout pour celles qui vont chercher l’eau.
Cette fable rappelle un cas qui fit grand bruit, il y a maintenant trente ans, celui d’une actrice de l’Opéra qui, violée par un abbé, aurait voulu corrompre, pour quitter la France, un certain Persan de passage à Paris. Au plus fort du scandale, elle disparut sans laisser de traces : quelques médisants publient partout qu’elle a été vue aux Tuileries ou sur les marchés d’Alger, mais le capitaine d’Angeville dit l’avoir rencontrée en mer Égée : elle mange, dit-il, des cédrats dans l’île de Chio et récite du Sappho à l’ombre des tamaris, loin de la violence des doreurs de loge, des souffleurs d’arias, des composeurs de livrets, des confesseurs de ballet, des ministres de passage, des livreurs de perruques, des marquis… [LACUNE] Mais j’en veux surtout à Dantrecourt qui, dans sa tragédie en musique Amymone, a traité grossièrement au son des musettes et des chalumeaux une histoire déjà passablement grossière … [LACUNE]… j’ajouterai à la table de proscription le bel Apollon, Pan et le pesant Borée qui ont fatigué l’univers par leurs courses incessantes. Et Jupin ! ne dit-on pas que l’arrière-petit fils de ce même Danaos, grand besogneur au demeurant, dut construire une chambre de bronze pour protéger sa fille de ce pervers insatiable ? J’ai vu aussi ces vases étrusques où des femmes assaillies par des satyres s’en débarrassent à coups de thyrse : on ne saurait trop conseiller au ministère public d’en acheter quelques millions pour équiper le royaume ce qui aura aussi pour effet de relancer une industrie moribonde en développant l’innovation dans un secteur où jusqu’ici la demande était nulle.
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Le blog Insula poursuit sa nouvelle manière de parler des auteurs anciens : les faire intervenir sur des sujets contemporains. Les auteurs de ces billets écriront « à la manière de ». L’exercice n’est pas seulement frivole. En pastichant les Anciens sur des sujets actuels, ces textes peuvent révéler une manière d’écrire et de penser à l’aune de notre connaissance de ces mêmes sujets. Ils révèlent aussi notre rapport au texte par la traduction, avec ses imperfections et ses mécanismes qui peuvent eux-mêmes être objets de pastiche.
Lire aussi sur Insula :
Lucien B , « #balancetonsatyre », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 10 janvier 2018. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2018/01/10/balancetonsatyre/>. Consulté le 21 November 2024.